Un certain proverbe dit : Le «nul» est censé ignorer la loi. Pour les autres, il y a la prescription, le sursis... et l'amnistie. Amnistie. Voilà un mot qui nous ramène en 1998, date à laquelle le gouvernement marocain avait mis en branle sa fameuse amnistie fiscale. Près de 16 ans plus tard, les politiques ont été rattrapés par la nostalgie. Le week-end dernier, l'argentier du Royaume avait, en effet, déposé un projet d'amendement de la Loi de Finances 2014 afin d'amnistier les personnes physiques et morales domiciliées au Maroc, coupables d'infractions fiscales et de change, au titre d'avoirs immobiliers ou financiers détenus illégalement à l'étranger (voir page 10). En langage plus compréhensible pour les néophytes que nous sommes, cela voulait dire : «Fraudeurs, confessez vos fautes et obtenez notre pardon». De surcroît, «vous ne serez ni réprimandés, ni punis, ni vilipendés sur la place publique. Nous vous déroulons le tapis rouge et vous réservons un accueil sur-mesure, personnalisé, dans la plus grande confidentialité. Personne ne saura que vous êtes malhonnêtes et que vous avez triché et dribblé le fisc. Nous vous demandons juste de nous donner un petit chwya de ce que vous avez planqué à l'étranger : entre 5 et 10% à titre de contribution libératoire, c'est selon». Le message était clair. A la limite, certains pourraient même dire que c'était pathétique. Car, en contrepartie d'une impunité totale, l'Etat avait tout l'air de supplier tous ses «évadés fiscaux» de lui donner un peu de ce qu'ils cachent frauduleusement à l'étranger. Au nom de quoi ? Au nom, soi-disant, de l'intérêt de l'économie nationale. Parce que les finances publiques sont chahutées et, malgré les nombreux tours de passe-passe du gouvernement, le déficit budgétaire demeure persistant et les réserves de change peinent à décoller. Selon certaines estimations, cette amnistie fiscale devait ainsi permettre à l'Etat de récolter, au bas mot, entre 4 et 5 milliards de dollars. En ces temps de disette financière, ce n'est pas rien. Mais cette mesure, à la portée controversée, n'a pas du tout séduit la Chambre des conseillers. Au moment où nous mettions sous presse, les députés avaient tout bonnement mis leur veto sur cet amendement. La pilule sera forcément dure à avaler pour certains. Mais c'est aussi l'occasion de se poser certaines interrogations. Y aurait-il eu amnistie fiscale si, au demeurant, les finances publiques n'étaient pas en berne ? Cette proposition n'est-elle pas un aveu d'impuissance du gouvernement face à des pratiques administrativement et judiciairement répréhensibles ? Si cet amendement était passé, n'aurait-il pas nourri un sentiment d'injustice et d'iniquité chez les honnêtes citoyens, ces modèles de probité qui, même s'ils sont fiscalement oppressés, ont su rester des contribuables dignes et sans reproche ? Pour autant, s'il nous était donné de savoir ceux qui allaient souscrire à cette amnistie fiscale, c'est clair que nous aurions été bien étonnés. Cette liste comprendrait à coup sûr des politiques, mais aussi des hommes d'affaires reconnus qui, paradoxalement et, le plus souvent, s'érigent en donneurs de leçons.