Arrivés au Maroc, nous nous sentons soulagés. Cela dit, si les Marocains n'ont eu aucun problème à traverser le poste frontière, il n'en est pas de même pour Momar, notre journaliste sénégalais qui a souffert pour regagner le territoire marocain. Voici son récit. Après avoir parcouru 3 km en 12 minutes, nous étions enfin aux portes du Maroc. Il était 11h30. Ce nouveau décor contrastait radicalement avec le paysage désertique et, du coup, nous lui avions trouvé beaucoup de charme. L'atmosphère dans notre vieille Mercedes s'était subitement détendue. Chose normale car la majorité des passagers était des Marocains qui ne faisaient que regagner leur terre natale. Même Driss, le Sénégalais, était détendu. Il confie qu'il a toujours eu ce sentiment en arrivant ici. Nous sommes au poste frontière de Bir Guendouz à 380 km au sud de Dakhla et à 800 km au sud de Laâyoune. Devant le premier bureau d'enregistrement, les formalités à accomplir concernant les Marocains se faisaient avec une grande facilité. En ce qui nous concerne, nous nous étions plutôt bien sortis des formalités à effectuer au niveau de ce premier check-point où les mentions essentielles figurant sur le passeport étaient consignées dans un grand registre. Le deuxième bureau qui se situait une trentaine de mètres plus loin, contigu à une grande barrière, avait de visu l'air plus difficile à franchir. Il était muni sur le flanc gauche d'un portique de sécurité. A l'intérieur se trouvaient deux policiers qui avaient l'allure des agents de la Sûreté nationale qu'on trouve habituellement aux feux rouges des agglomérations marocaines. D'un ton menaçant et condescendant envers les voyageurs subsahariens, ils tentaient d'organiser, avec les moyens du bord, la longue file de personnes devant le portique de sécurité. Après de sommaires contrôles, nos camarades marocains avaient franchi ce deuxième bureau et étaient sur le point de rejoindre le dernier dans l'optique d'obtenir le cachet pour rentrer au Maroc. Pendant ce temps, mon compatriote Driss et moi étions dans le long rang muni de nos passeports, tout en essayant de contenir notre impatience. Driss, qui avait l'habitude de fouler le sol marocain, avait aussi franchi ce deuxième poste contrôle après les formalités d'usage (fouille, vérification des papiers, etc). Mon tour était venu pour me prêter au même exercice. Je savais d'ores et déjà que mon cas ne serait pas facile face à ces policiers qui sont peu avenants, même avec des voyageurs en règle. Ces doutes étaient en partie légitimes car j'étais sorti du territoire marocain avec un sauf-conduit qui faisait office de passeport et d'un laissez-passer délivré par l'autorité nationale. Jusqu'ici, rien d'anormal ou d'illégal car ces autorisations de sortie existent dans tous les pays et leur validité est internationalement reconnue. Le policier m'ordonna d'entrer dans le bureau, tout en feuilletant mon passeport pour vérifier si j'avais le cachet de sortie du territoire. S'apercevant que j'en étais démuni, il m'invita à me mettre sur le côté. Je compris à l'instant ce qui avait motivé son acte. Aussitôt après, il me demanda si c'était ma première visite au Maroc. Je lui répondis que j'étais étudiant. Il s'empressa de me demander comment j'étais sorti du Maroc alors que mon passeport était vierge de tout cachet pouvant attester de ma date de départ du Maroc pour regagner le Sénégal. Je lui montrais, avec calme et sang froid, le cachet de sortie estampillé sur le verso de mon sauf-conduit. Le policier ne semblait pas convaincu et pourtant, je lui avais montré tout ce qu'il me réclamait. Il s'empara du papier. Après avoir difficilement compris ce qui y était écrit en français, il me fixa et proféra : «Ce papier n'est valable que pour un seul voyage». Sur le même ton toujours empreint de sérénité, je lui expliquais que le sauf-conduit ne peut être valable que pour un seul voyage, notamment pour rentrer dans son pays d'origine. Et pour le quitter, il est obligatoire d'être muni d'un passeport. Chose que j'ai remplie puisqu'il avait à sa main droite mon passeport. Visiblement, mon cas le dépassait. Il donna tous mes documents à son collègue, a priori un peu plus gradé que lui. Après une intrusion furtive dans mes titres de voyage, ce dernier m'exhorta à avancer et à déposer mes affaires afin qu'il procède à la fouille. Mon sac était seul, gisant au milieu d'une grande table. Impuissant, j'assistais au spectacle, pour le moins peu drôle. L'agent de police passait de fond en comble les coins et recoins. J'avais une peur bleue à l'dée de le voir s'emparer de mon ordinateur qui avait emmagasiné dans son disque dur près de 8 années d'études. Quelques euros étaient aussi soigneusement rangés dans des poches cachées du sac. A cela s'ajoutaient des cadeaux symboliques ramenés à des amis marocains friands d'articles exotiques. Après avoir fait le tour, le policier prit l'ordinateur, mais son collègue le rappela immédiatement à l'ordre, lui disant en arabe «Mais toi, ça va pas non ? Tu sais bien qu'il est étudiant!». Il le remit immédiatement à sa place. Mon statut d'étudiant a épargné mon PC d'une disparition qui était quasi certaine. C'est sûr que les simples voyageurs dépourvus de tout statut professionnel et peu instruits n'auraient pas cette chance. Toujours est-il que le jeune policier ne démord pas. Il porta à nouveau son dévolu sur les cadeaux et s'empara d'un joli tam-tam traditionnel entièrement fait et décoré à la main. «Je le prends», me dit-il comme si c'était un droit. Je m'efforçais de lui faire comprendre que ce tam-tam avait une grande valeur symbolique et, de surcroît, il était destiné à des amis. Cela ne l'avait pas dissuadé. Il me lança alors : «tu me le donnes ou tu me le vends, mais je le prends». Face à cette détermination, il était difficile, voire impossible de ne pas lâcher prise. Finalement, le policier prit le tam-tam tout en me remerciant. Après coup, j'ai compris que je devais obligatoirement donner quelque chose. Du reste, le plus important pour moi était de franchir ce deuxième bureau dont le passage est crucial pour toute personne voulant rentrer dans le territoire marocain. Après ce passage, il fallait alors se rendre au dernier poste se trouvant dans l'enceinte d'un grand centre où tous les corps des forces de l'ordre marocaines étaient représentés (police, gendarmerie, douane, etc.). Le centre est impressionnant eu égard à sa taille et aux équipements dont il regorge. Notamment un grand scanner qui passe à la loupe des camions pouvant atteindre plus de 20 mètres et de n'importe quel tonnage. C'était le seul équipement de la sorte que nous avons rencontré tout au long de notre voyage. Mes camarades avaient déjà obtenu le précieux sésame (cachet d'entrée au Maroc). Encore une fois, j'étais confronté à quelques difficultés au niveau de ce dernier poste de police, avant de recevoir mon cachet d'entrée au Maroc. Au final, plus de peur que de mal car, contrairement à la Mauritanie, pays dans lequel il faut obligatoirement donner un dessous de table aux policiers pour y rentrer ou pour en sortir, au Maroc, des papiers en règle suffisent. Mais des sauf-conduits, comme le mien, n'étaient visiblement pas fréquents dans ce poste frontière. Trois heures ont été nécessaires pour quitter ce poste frontière. Pendant ce temps, où notre journaliste «négociait» son passage, nous avons pu observer le flux de migrants qui rentraient dans le territoire marocain. Certains d'entre eux se faisaient refouler. Nous profitons de cet instant pour aller à la rencontre de leurs compagnons qui arrivaient à passer. 500 euros pour mettre le pied au Maroc Sur un trottoir, un Sénégalais, fatigué par la route, était assis pour se reposer. Nous l'interpelons sur ces compagnons de route qui sont toujours de l'autre côté du portique : «Tes amis ont un problème ?» Oui, les 500 euros. Quels 500 euros ? Si c'est une première entrée au Maroc, il faut montrer 500 euros pour avoir un tampon. Toi, tu les as ? Non, ce n'est pas ma première entrée, je travaille ici.» En creusant un peu plus, nous comprenons que les Subsahariens qui n'ont pas de cachet de sortie du territoire sur leur passeport doivent avoir 500 euros pour rentrer au Maroc et ce, quelle que soit leur nationalité. Bir Guendouz, cette petite bourgade de quelques milliers d'habitants, selon le dernier recensement, est le premier contact qu'a un voyageur subsaharien avec le Maroc. Dès la sortie du poste frontière, le désert reprend son droit mais cette fois, nous roulons sur la route nationale N° 1 qui est caractérisée par une chaussée parfaitement entretenue. «Chauffeur», avec ses vieilles habitudes mauritaniennes, continue de rouler au milieu de la route et pendant 70 km nous ne croiserons personne. Le premier contact avec les autorités est un contrôle radar de la gendarmerie. C'est un radar à jumelles, une situation familière qui rappelle un simple voyage entre Casablanca et Rabat. Sur ce tronçon, nous rangeons nos passeports et les seuls véhicules que nous croisons sont des véhicules militaires marocains. Cela fait quelque 50 heures que nous n'avons pas dormi, mais la beauté de l'Océan qui se confond avec les étendues de sable nous maintient éveillés. Comment se fait-il que ces zones parfaitement entretenues et aux standards de la région centre du Royaume, que ce soit tant en termes d'aménagement que d'infrastructures, soient considérées par les Nations Unies comme «Sahara occidental» ? Tout ce que nous apercevons sur cette route est marocain et rappelle les villes et villages du centre. Dakhla par exemple, Parlons-en ! Cette première ville qu'on traverse après 380 km de route est d'une beauté inouie. Les paysages au sud de la ville sont féériques. Elle dispose d'un aéroport et de jolis restaurants sur sa corniche. La ville est propre. Elle est au même niveau que les villes du centre et elle est même mieux entretenue que les petites villes de tailles équivalentes comme Berrechid. Il faut absolument rallier la jeunesse à cette cause nationale. Il faut leur faciliter l'accès à cette ville et subventionner des voyages organisés pour les écoliers et étudiants pour qu'ils prennent conscience de l'immensité et de la beauté du Sud. Feu Hassan II avait peur que cette cause se dilue au fil du temps. Il faut que notre génération et les générations futures se rendent sur place pour assimiler réellement ce qu'est la première cause nationale du Maroc. Trêve de nationalisme, à Dakhla, nos chemins se séparent. «Hajj» nous a quittés quelque km avant d'arriver à la ville pour aller chez lui à Boujdour. Driss va prendre un bus climatisé jusqu'à Tanger pour retrouver ses voitures. Quant à nous, nous passerons la nuit à Dakhla avant de rentrer par avion le lendemain. Nous allons nous épargner les 36 heures de bus jusqu'à Casablanca. Une bonne nuit de sommeil nous attend avant d'aller rencontrer des Subsahariens à Casablanca pour qu'ils nous racontent leurs conditions de vie. Car pour un migrant, le voyage pour rallier un pays hôte n'est qu'une petite partie de l'aventure. Au final, nous avons parcouru quelque 1.350 km, alors que Driss allait en faire plus de 2.500. Nous avons emprunté trois moyens de transport, dont un non autorisé et qui a tout de même réussi à traverser deux pays. Multiplier les moyens de transport et traverser le fleuve Sénégal par pirogue au lieu d'emprunter le grand bac qui fait la traversée 4 fois par jours nous a rendu suspects. Car les voyageurs qui ne changent pas de moyen de locomotion ont la vie plus simple. Ils n'ont pas à se justifier à chaque contrôle de police. Cette traversée nous a demandé 68 heures, deux nuits blanches et quelque 2.000 DH chacun. Prochaine escale, Casablanca...