A L'Atelier 21, à Casablanca, s'offrent à voir pour la deuxième fois de grands formats lumineux élaborés par M'Barek Bouhchichi. Une peinture dont l'art tout en délicatesse part du discours de l'individu vers des systèmes sociaux, poétiques et historiques plus larges.
Par R. K. Houdaïfa
"Les œuvres de cette exposition sont conçues à la fois comme une réponse à la différenciation et l'altérisation du corps noir et comme une tentative de réévaluation des moyens de sa représentation, à travers des techniques et protocoles créatifs mis en œuvre pour mettre à nu la logique de la construction du portrait», précise l'écrivaine d'art Fatima-Zahra Lakrissa dans le catalogue d'exposition. Et d'ajouter : «Moulé, sculpté, dessiné, peint, le corps est mis en exergue à travers un kaléidoscope de signes, de fragments (presque votifs) et d'images qui donnent à voir le multiple ou l'éclaté. Mains, têtes, visages, empreintes se font métaphores, doubles – voire doublures – de corps invisibles qui peinent à faire un. Ils renvoient au morcellement du corps humain et à l'éclatement de la perception, assignant donc au regardant la responsabilité de reconstituer les nombreuses significations imaginaires et symboliques de l'image du corps éclaté, ou de s'égarer dans l'opacité d'une telle fragmentation». Il y a du Montaigne chez M'Barek Bouhchichi, né en 1975 à Akka. Et à l'instar de l'auteur «aux semelles de vent», il court les contrées tout en restant au fond de lui-même indéracinable. Indéraciné, tel cet arbre californien, qui recrée des racines adventives au bout de ses branches, pour disparaître à quelques mètres de son tronc, comme s'il s'ancre une nouvelle fois dans sa terre d'origine. Avec Montaigne, M'Barek partage un autre trait : le souci de l'humaine condition. Lorsque M'Barek peint son sujet, il faut y lire un signe de l'éphémère de la condition humaine. Qu'il soit nanti ou démuni, intelligent ou borné, de bonne ou modeste naissance, l'homme n'est qu'un fétu de paille noyé dans l'immensité de l'univers, un passager provisoire prompt à être poussé vers le néant. C'est cette évidence qui est sans doute symbolisée par le sujet déployé. Et si au moins les hommes, unis dans le même fatal et précaire destin, se donnaient la main ! Loin s'en faut. Ils s'entretuent, s'entredévorent, s'entredéchirent. Quand l'homme ne guerroie pas contre son prochain, il le met sous sa coupe, l'exploite, l'asservit. De la condition humaine, du crime permanent perpétré par l'humanité contre elle-même avec ses paradigmes tels que le génocide, l'ethnocide, l'esclavage, M'Barek témoigne dans son art, au travers de silhouettes tourmentées, de corps affaissés, d'ombres esquissées, presque imperceptibles, mais nettement visibles à l'œil clairvoyant. En fait, seule une imagination hallucinée pourrait y lire une invitation au voyage. L'œuvre de M'barek est nimbée d'un épais mystère susceptible de décourager le visiteur pressé. En revanche, le véritable amoureux de l'art, lui, cherchera à en pénétrer l'intimité, au prix d'une longue méditation spéculative. Celui-ci aura aussi le privilège de s'imprégner du charme qu'exhale cette peinture au fur et à mesure que le regard la scrute. Car chaque composition consiste en une belle symphonie qui grise. Transporte. Envoûte.
* «The Silent Mirror», de M'Barek Bouhchichi. jusqu'au