La «verditisation» des filières existantes et le renforcement du partenariat industrie-université sont de première nécessité. Touria Barradi, enseignant-chercheur et, vice-présidente de la Société marocaine de développement des énergies renouvelables nous livre sa propre critique relative à l'évaluation des compétences en matière d'énergies renouvelables. Finances News Hebdo : Garantir la sécurité énergétique du Maroc a été un catalyseur fort qui a donné un coup de pouce au secteur des énergies renouvelables. Pourriez-vous nous planter le décor du secteur aujourd'hui ? Touria Barradi : En optant pour une politique de mix énergétique où les énergies renouvelables représentent une composante incontournable, le Maroc a fait le choix de s'inscrire dans un processus de croissance verte. Il est évident que ce défi ne peut être relevé sans un engagement national pour préparer les ressources humaines qualifiées pour être au rendez-vous, le jour J. C'est ainsi que formation, recherche et innovation, moteur de développement de toute économie, ont été hissées, dans la stratégie énergétique, au même rang d'importance que les autres objectifs. F. N. H. : Comme vous l'avez signalé, les énergies renouvelables seront une des locomotives de notre économie. A-t-on identifié les besoins réels en compétences requises pour répondre et accompagner cette dynamique ? T. B. : Le ministère de l'Energie, des Mines, de l'Eau et de l'Environnement avait commandé une étude portant sur les spécifications des compétences dans le secteur des énergies renouvelables et tout secteur impacté par l'efficacité énergétique. Cette étude a permis de dégager des tendances et donner des estimations des besoins du marché par catégorie (ingénieurs, techniciens et ouvriers) et par segment (éolien, solaire, biomasse et hydroélectricité). Le réseau MANEREE a complété cette étude par un état des lieux. Les besoins en compétences doivent se traduire certes, par la création de nouvelles filières de formation ou l'adaptation de formations existantes, mais l'adéquation de celles-ci avec les attentes du marché, requiert la mise en place de formules plus professionnelles d'accompagnement pratique aux formations théoriques. L'effort d'accompagnement de la dynamique nationale dans le domaine des énergies renouvelables, s'est vu aussi renforcé par l'organisation de la communauté des enseignants – chercheurs, en société savante: la Société marocaine de développement des énergies renouvelables (SMADER). Les principales missions de cette association sont la promotion du savoir, du savoir-faire, ainsi que l'œuvre pour une meilleure intégration industrielle et un renforcement du partenariat université-entreprise. F. N. H. : En tant qu'acteur scientifique dans le domaine des énergies renouvelables, quelle est votre analyse critique sur la formation que les lauréats reçoivent actuellement aussi bien au niveau des facultés que des écoles d'ingénieurs ? T. B. : Concernant l'implication des écoles d'ingénieurs dans la formation comme en R&D, dans la spécialité des énergies renouvelables, elle reste encore timide pour un bon nombre d'entre elles, et ce malgré quelques initiatives sur le plan de l'innovation. Dans les facultés, comme dans les écoles d'ingénieurs et autres établissements supérieurs, les formations conventionnelles sont restées prépondérantes, même lorsque l'introduction des énergies renouvelables dans le cursus est venue changer plus ou moins le paysage. Deux cas de figures sont observés. Le premier scénario est celui de la création de nouvelles filières complètement dédiées aux énergies renouvelables. L'autre est celui de l'adaptation de filières existantes (Génie électrique, Génie civil, etc.), par l'introduction de modules ou éléments de modules spécifiques aux énergies renouvelables et ce, dans un but d'initiation ou de pré-spécialisation. Notre constat général montre que bon nombre des formations existantes visent la satisfaction des besoins professionnels, mais souffrent d'insuffisance de moyens pratiques à dimension «méso-industrielle». De même que, paradoxalement, certaines formations semblent souffrir d'une suroffre (par manque de sociétés spécialisées pouvant offrir stages et emplois) alors que sur d'autres segments, il y a carence totale ou partielle de ressources humaines qualifiées. L'une des causes de cette inadéquation semble résider dans le fait que le tissu industriel lui-même est en cours d'implantation et n'a pas encore acquis suffisamment de visibilité sur ses besoins en compétences, à moyen et long terme. L'anticipation sur les besoins en compétences représente un souci majeur pour le responsable de la formation, mais pour une meilleure visibilité sur le marché, l'implication effective des industriels et de toutes les instances concernées, est un gage de succès du processus de conception du profil du futur lauréat. Outre l'implication des professionnels dans l'identification des filières et programmes de formations en énergies renouvelables, un effort substantiel est requis en matière d'équipements techniques. Quant au choix pédagogique, la formule qui me semble la mieux indiquée, dans le contexte actuel, serait celle que je qualifierais de «verditisation» de formations existantes, soit une mise à jour de ces formations pour s'adapter aux technologies et prendre en considération les spécificités des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique. Les atouts de cette formule sont multiples. On peut en citer, notamment : l'enrichissement des filières de base ; la traduction de l'esprit du mix énergétique, comme choix stratégique national, en prestations de formation diversifiées et représentatives des différentes composantes du bouquet énergétique ; l'élargissement du spectre des opportunités d'emploi, pour les futurs diplômés ; La multidisciplinarité du secteur des énergies renouvelables (sciences de l'ingénieur, sciences juridiques, management des projets, développement durable...) Par ailleurs, la capacité du marché pour absorber des hauts calibres reste limitée. La demande est substantielle pour les catégories d'ouvriers, techniciens et techniciens spécialisés. Les efforts entrepris mobilisent plusieurs acteurs. Outre les efforts investis dans le domaine, l'ouverture des Instituts de formation aux métiers des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique) (IFMEREE) est programmée prochainement. F. N. H. : Qu'en est-il de l'arsenal juridique ? T. B. : L'arsenal juridique et réglementaire qui doit accompagner cette nouvelle forme d'énergie, nécessite la formation de compétences dans le domaine. De nouveaux métiers sont à prévoir, par exemple celui de certificateur, dont la mission serait de garantir l'origine "verte" du kilowatt injecté dans le réseau électrique. De même que de nouvelles opportunités de création d'entreprises apparaîtront, notamment celles des ESCo, dont l'activité clé serait autour de l'efficacité énergétique (qualifiée de quatrième énergie). A l'ère de la révolution du paysage énergétique, le Maroc doit compter, essentiellement sur ses propres compétences pour relever le défi. Un fort partenariat industrie – université, est plus que jamais d'actualité et de première nécessité. Nourrie de cette conviction, la SMADER entend engager, par l'organisation d'un symposium le 21 novembre, un débat sur la «stratégie de formation et de R&DI pour un meilleur accompagnement de la dynamique de développement des énergies renouvelables au Maroc». Par ailleurs, face au départ massif et imminent d'enseignants-chercheurs, à la retraite, un autre chantier d'envergure requiert des démarches innovatrices. Un effort tout particulier est à mener pour les écoles d'ingénieurs en sensibilisant et motivant les lauréats afin de les intéresser à la formation R&DI.