Alberto Navarro, ambassadeur d'Espagne au Maroc, nous livre sa lecture et le bilan de la visite historique que le Roi d'Espagne Juan Carlos vient d'effectuer récemment dans notre pays. Finances News Hebdo : Le Roi Juan Carlos vient d'effectuer une visite mémorable au Maroc. Quel bilan en dressez-vous? Alberto Navarro : Je ne peux que confirmer tout ce que les médias, tant marocains qu'espagnols, ont souligné pendant ces derniers jours, à savoir le succès de cette visite inédite dans la politique extérieure espagnole. Nous n'avons jamais eu une visite officielle du Roi Juan Carlos au Maroc avec autant de gestes symboliques, notamment le fait qu'il soit le premier chef d'Etat qui visite officiellement le Maroc pendant le mois sacré et le fait qu'il ait reçu les clefs de la ville de Rabat... F. N. H. : Cette visite a une portée significative sur les relations bilatérales des deux pays. Quelle lecture peut-on faire de l'avenir de ces relations ? A. N. : Vous savez, les visites de SM le Roi Juan Carlos ont généralement la vertu d'ouvrir des portes et des opportunités, tant pour les entrepreneurs que pour les représentants et militants de la société civile... Nous sommes déjà le premier partenaire commercial du Maroc. En 2012, l'Espagne a largement dépassé la France en matière d'échanges commerciaux qui ont augmenté de plus de 20% par rapport à 2011. Et nous avons dépassé le chiffre de huit milliards d'euros d'échanges, alors que la France n'est arrivée qu'à sept milliards d'euros en 2012, d'après les statistiques communautaires. Cette tendance se maintient cette année, avec une croissance de 15%. Les exportations marocaines sont en augmentation, elles aussi, pour combler le déficit commercial avec l'Espagne, ce qui est tout à fait normal. Traditionnellement, un pays moins développé a besoin d'importer davantage, c'était aussi le cas de l'Espagne. Donc, sans doute, cette visite aura un impact largement positif que nous verrons dans les prochaines semaines et mois, et ce dans tous les aspects et domaines de cooépration bilatérale. F. N. H. : Le Roi a été accompagné d'une importante délégation dont les anciens ministres des Affaires étrangères. Quel est le message qu'on a cherché à véhiculer ? A. N. : C'est un message symbolique très fort. Lorsque j'ai eu le privilège de rencontrer SM le Roi à Madrid pour préparer la visite, cet aspect est apparu immédiatement comme étant fondamental dans le sens où nous voulions montrer que ce n'est pas le gouvernement ou un parti politique, mais surtout le Roi, en tant que représentant de toute l'Espagne, accompagné de tous les ministres de la démocratie espagnole. Ceci montre l'importance qu'attache l'Espagne aux relations d'Etat avec Royaume chérifien. F. N. H. : Après la crise économique et financière, l'Espagne est frappée par une crise politique. Quelle est la situation aujourd'hui ? A. N. : Je ne peux que dire que l'Espagne va s'en sortir et que la crise politique va passer. Nous avons la chance d'être une monarchie comme le Maroc. Les monarchies sont plus stables. Il suffit de voir ce qui s'est passé lors du Printemps arabe et de comparer le Maroc avec d'autres pays de la région. F. N. H. : Cette visite royale a également coïncidé avec la crise politique marocaine. Cette dernière n'en a-t-elle pas perturbé le calendrier ? A. N. : Cela n'a pas affecté la visite royale, puisque les démissions des ministres istiqlaliens ont été formalisées plus tard soit le lundi 22 juillet. Et par conséquent, la visite s'est déroulée normalement. SM le Roi Juan Carlos a reçu en audience le Chef de gouvernement, ainsi que les représentants des deux Chambres. Vraiment, nous n'avons ressenti aucune situation de crise politique. F. N. H. : Quels sont les principaux dossiers abordés lors de cette rencontre? A. N. : Mise à part la sollicitude que SM Mohammed VI a bien voulu manifester à l'égard de notre Roi, la visite était guidée par deux axes. Un axe économique et commercial car nous voulions profiter de cette visite pour amener avec le Roi les grandes entreprises espagnoles. A la différence de la France qui a presque la totalité de ses grandes entreprises implantées au Maroc dans tous les secteurs (banques, assurances, distributions...), l'Espagne n'est présente que par le biais de PME. Donc, l'objectif est que les grandes multinationales espagnoles, à savoir Téléfonica, BBVA, Repsol..., s'intéressent au marché marocain. Le deuxième axe a trait à l'éducation et la culture. A ce propos, nous avons invité une quinzaine des recteurs d'Universités ainsi que les présidents des instituts Cervantes, puisque le Maroc dispose du plus grand réseau desdits instituts après le Brésil. F. N. H. : Quels sont les échos que les deux parties ont eus après leur rencontre entrepreneuriale ? A. N. : Sans doute, il y a eu des contacts et des accords ponctuels lors de la rencontre entrepreneuriale. Mais dans ce type de relation, les fruits ne sont visibles que dans quelques semaines, voire des mois. Il y a sans doute des secteurs où l'Espagne est leader mondial. C'est dans ces secteurs que nous espérons augmenter notre présence au Maroc, notamment dans celui des énergies renouvelables. Plusieurs compagnies qui accompagnaient le Roi ont soumis des propositions pour le contrat du projet de l'éolienne pour l'année prochaine. Nous avons également des entreprises qui s'intéressent à différents secteurs, notamment ceux des traitements de l'eau et des déchets, du transport et de la logistique, de l'automobile, du textile et de l'habillement... Ces secteurs présentent aujourd'hui de grandes potentialités pour les compagnies espagnoles. F. N. H. : Pensez-vous que le climat des affaires au Maroc soit propice pour l'implantation des compagnies espagnoles ? A. N. : Sans doute que le Maroc est sur la bonne voie, notamment avec les accords passés avec l'Union européenne, à savoir le Statut avancé, l'accord de libre-échange et, actuellement suite aux négociations dans le cadre de l'accord de libre-échange complet et approfondi. Ces négociations viennent de démarrer, et vont certainement durer quelques années, car dans un contexte de crise, ce n'est pas facile d'avancer dans des domaines aussi délicats que les services, le transport maritime... On sent, qu'il y a une certaine frilosité des deux côtés. Ceci dit, le climat des affaires s'améliore. Il faudrait en revanche faire encore des progrès pour renforcer la sécurité juridique des investissements. F. N. H. : L'accord de pêche est actuellement sur la table des négociations. Etes-vous confiant? A. N. : C'est un accord qui a été suspendu auparavant par le Parlement européen. Cette décision a eu des conséquences néfastes sur les deux pays et avait sérieusement pénalisé les pêcheurs espagnols. Actuellement, d'après mes informations, les discussions vont bon train et je pense que nous aurons plus de visibilité dans les semaines qui viennent. (*) (*) Au moment où l'Ambassadeur accordait cet entretien à Finances News Hebdo, l'accord de pêche n'avait pas encore été signé (voir également page 6)