◆ La frilosité n'est pas le style de la maison So Art Gallery. Preuve en est fournie par l'exposition qu'elle consacre à vingt artistes aux identités distinctes, mais aux valeurs humaines communes. Profitons de l'aubaine pour (re)découvrir leur savoureux art et résoudre ce mystère insondable qui habite pour toujours leurs œuvres. Par R. K. Houdaïfa
Dans un des hauts lieux de l'art, l'expo collective «Envolées», l'une des plus joyeusement belles que l'on puisse voir en ce moment à Casablanca. «Rapprocher, inspirer, apaiser, partager», telle est l'ambition de cette exposition «pleine de messages d'espoir, pour cette période particulièrement ombrageuse». Une belle ferveur traduit une demande, un appétit d'art, forcément. Pour aimer les œuvres que Ghizlane Guessous Boutaleb - et ses acolytes - ont réunies, mieux vaut être du genre susceptible de demeurer longtemps les yeux levés vers les merveilleux nuages qui passent, ou baissés vers le flux d'une rivière ou de la marée : du genre contemplatif, autrement dit. Mais, dans la réalité, il n'y a pas ou rarement ce qui rend si déconcertantes ces œuvres : que l'on ne comprend qu'à demi ce que l'on voit. Des œuvres moins visibles que vibratoires, car hypnotiques. Nous avons musardé parmi les créations exposées, nous les avons picorées des yeux, nous nous sommes attardés sur d'autres, revenus sur les premiers… Tout cela accompagné de soupirs de ravissement - des organisateurs -, aux effets réjouissants sur «Envolées», cette exhibition réussie. Là tout est audace, raffinement et fantaisie. Un véritable régal des yeux et des sens dont on ne pouvait se repaître. Des œuvres d'une pureté enchanteresse Des jeunes, des moins jeunes, de la sculpture, de la photographie, de l'abstrait, du figuratif, du réalisme, du symbolisme (ouf !)… Nous avons été immédiatement touchés par l'imaginaire florissante de Zulu Mbaye; les échiquiers de Saad Hassani; les images attachantes, singulières, douloureuses parfois de Justin Dingwall; les foudres (gribouillis) de JonOne, cet artiste d'exception, dont l'œuvre révèle son intériorité tourmentée, exigeante, solitaire. Et ce «Krakaborus» de Hicham Lahlou, qui a métamorphosé trente crotales métalliques (castagnettes de gnaoua), pour obtenir une installation qui ne sollicite pas seulement le regard, mais enveloppe le spectateur dans un espace chimérique et lui propose des expériences sensorielles nouvelles. Quelle ingéniosité ! Les toiles de Ghany Belmaachi et Richard Texier sont de vraies épures. «Le grand Navire blanc» réalisé par Dominic Besner est tout simplement lumineux. Mehdi Qotbi, dont on connaissait le savoir-faire, nous étonne encore par sa calligraphie, du meilleur effet. Raphael Adjetey Mayne, avec ses collages, force l'admiration. Quant à «La berbère», immortalisée par Just Jaeckin, il nous donne envie de traverser le cadre. On a tout loisir de s'extasier devant l'art de Khalid El Bekay, un peintre figuratif à la main très sûre, ou devant les œuvres de l'avant-gardiste Morran Ben Lahcen qui respirent une puissance, une liberté et un bonheur palpitants… Aucun jeu de séduction, si ce n'est un regard brouillé, d'où émane une infinie tendresse. L'éclectisme est l'autre principe directeur de la galerie, comme le montre cette richesse, exubérance et plénitude qui sourdent les objets que l'exposition offre à voir. Nous aurions aimé vous accompagner plus encore dans cette exposition, pour vous en faire savourer tout l'éclat, toute la brillance. Mais voilà, le rideau est tombé. Nous en sortons la tête dans les étoiles. Une bonne aubaine qu'il serait mal venu de dédaigner tant les œuvres envahissant les cimaises de la So Art Gallery sont admirables de subtilité, d'humanité et de vérité, n'en déplaise à ses contempteurs.
«Envolées», à So Art Gallery, Casablanca. Jusqu'au 8 novembre