Ahmed Amrani plantera sa tente le temps d'une exposition à la Gallery Kent (du 23 octobre au 20 décembre) et pour les amoureux de la peinture, l'instant intense d'une jubilation distillé par cette alliance entre la frugalité et la splendeur qui constitue l'empreinte de l'artiste. Ce peintre distrait est indiscutablement l'un des êtres à part dans la communauté artistique marocaine. Quand ses pairs courent les galeries et autres lieux d'expositions pour s'y afficher, lui, il s'enferme douillettement dans son logis et n'en déloge qu'à son corps défendant. Enfant de Tétouan, né en 1942, Amrani fut d'abord formé à l'Ecole des Beaux-Arts de sa ville natale, avant de mettre le cap sur l'Ecole Supérieure des Beaux-Arts, Santa Isabel de Hungria à Séville. Il s'inscrit, par la suite, à l'Ecole des Beaux-Arts San Fernando de Madrid où il décroche une licence en arts plastiques. Il fut également diplômé de l'Ecole des arts graphiques de Madrid. Pour sa première exposition, Amrani montre ses tableaux à Tétouan, en 1957, aux côtés de Mariano Bertuchi, Saad Ben Cheffaj, Mohamed Serghini et Meki Megara dans une exposition intitulée «Grande exposition collective hispano-marocaine de peinture et de sculpture». Auprès des pères fondateurs de la modernité́ artistique du Maroc, Amrani «a expérimenté les réflexions sur la représentation, telles qu'elles se posaient en Occident dans les années 60 et 70, les adaptant à leur culture dans un permanent aller et retour entre les considérations sur les singularités d'une époque, d'un pays fraîchement indépendant, et l'universalité de la question esthétique», lit-on dans un communiqué. Dès lors, l'artiste a développé un langage reposant sur le collage du papier fin et le relief des couleurs. Tout engendre une atmosphère fiévreuse et érotique. Car, nus troublés, corps exorcisés - assoupis ou juste allongés, d'autres sont debout parfois, sinon défroqués - hantent ses toiles et s'offrent comme un multiple interprétable. Aiguisez vos sens ! Peu connu, non qu'il soit dépourvu de talent, mais parce qu'il honnit le marketing culturel. Personnage peu expansif qui a, longtemps, mis son œuvre sous le boisseau. Cédant de mauvaise grâce, aux instances de ses amis, il consent, enfin, à mettre en lumières ses toiles. De ce fait, Gallery Kent - une des grosses machines de l'art - accueillera «Amrani intimo», une rétrospective des œuvres (peintes de 1967 à nos jours) de cet artiste tétouanais qui dynamite de façon virtuose les codes et les genres, à travers des symbioses organiques avec le vivant. Une trentaine d'œuvres (trente-cinq exactement) totalement inédites pour cette exposition qui fera (re) découvrir l'univers de l'un des doyens de la modernité artistique du Royaume : le non moins superbe Ahmed Amrani.
«Amrani intimo», du vendredi 23 octobre au 20 décembre, Gallery Kent, 19 rue Jabha Watanya, tous les jours du lundi au samedi sauf dimanche.
*Œuvre : «Le baiser (2008)», technique mixte sur toile, 90 x 71 cm.