«Ecrits sur l'art», un recueil de textes critiques et de brefs essais sur l'art et sur quelques artistes du Maroc. Témoin d'exception d'une époque charnière, Toni Maraini y relate et y analyse des aspects de l'histoire de l'art du Maroc et du Maghreb, qui nous aident à mieux comprendre la genèse de leur itinéraire contemporain. Née à Tokyo en 1941; grandit en Sicile; étudie l'histoire de l'art à Rome, à Florence, à l'Université de Londres et au Smith College (U.S.A.); diplômée en 1964 (Thèse sur l'art contemporain)… Quand Toni Maraini s'est établie au Maroc, la rencontre avec l'art du pays fut très importante pour elle. Mais lorsqu'elle essayait, pour sa propre curiosité et nécessité intellectuelle, de mieux situer historiquement et culturellement ce qu'elle voyait dans le domaine plastique (surtout dans l'art appliqué et populaire) elle s'aperçut que par rapport à la «culture générale», tout cela n'était contenu que dans un regard vide, un trou psychologique. Les extraits de son essai, «Ecrits sur l'art», fournissent quelques éléments éclairants. Du temps des Croisades «On retrouve des calligraphies arabes ou à l'arabe (c'est-à-dire réinterprétées comme motif décoratif) dans de nombreuses peintures italiennes du Moyen-Âge jusqu'après la Renaissance. Si l'on considère l'ensemble de la peinture chrétienne occidentale des XIIème – XIXème, on remarque que ce ne sont pas uniquement ces fines calligraphies, disposées en guise de passementeries précieuses, qui viennent du monde islamique. Dans d'innombrables peintures et fresques, on reproduit également des tissus, des objets, des éléments du décor architectural et, enfin, des tapis.» «Durant de longs siècles, du Moyen-Age jusqu'à la peinture dite ‘orientaliste', l'œuvre d'art musulmane avait été un objet de séduction utilisé pour la mise en scène d'un rêve de faste et de beauté, pour les peintres modernes de la génération à cheval entre la fin du XIXème et la première partie du XXème siècle, ainsi que pour la naissante peinture abstraite, elle devenait un lieu de séduction.» «Au cours du XIXème siècle, l'Europe découvre les arts du monde islamique que connaissaient déjà des érudits, des diplomates, des voyageurs et quelques artistes (le voyage de Delacroix au Maroc date de 1832), mais non le grand public (…) Les grandes expositions universelles organisées dans plusieurs villes du monde entre 1851 et la première partie du XXème siècle ont contribué alors à faire découvrir, et à divulguer en Europe même, l'art islamique.» Les pérégrinations «Grâce aussi à l'établissement de nouveaux rapports diplomatiques, les ‘voyages en Orient' deviennent presque aussi importants que ceux qui l'avaient été autrefois en Italie et en Grèce pour les Romantiques. Ainsi partent poètes et écrivains. Ainsi voyagent en Orient de nombreux peintres (…) Albert Marquet (plusieurs séjours au Maroc et en Tunisie entre 1911 et 1945), Henri Matisse (plusieurs séjours au Maroc depuis 1912), Dirk Wouters (au Maroc, 1913), Raoul Dufy (au Maroc, 1925) et tant d'autres…» «Interviewé à Tanger en 1976, le peintre Herbert Bayer qui fut un des membres du Bauhaus a déclaré ‘une fois au Maroc, j'ai commencé une nouvelle expérience plastique et j'ai modifié mes recherches ; j'ai abordé une nouvelle manière de peindre; je suis revenu aux couleurs primaires et aux formes géométriques pures.» Quelques éléments de l'histoire de la peinture contemporaine au Maroc «La peinture moderne, comme affleurement impératif de vocations individuelles et de différentes tendances picturales, a pris son essor au Maroc au cours de la période comprise entre les années 20 et 50, pour s'affirmer et acquérir une conscience historique de son rôle culturel juste après l'Indépendance, au début des années 1960.» «Toutefois, si nous voulons vraiment comprendre l'histoire de la peinture marocaine et mieux saisir son art actuel, un art qui englobe évidemment aussi d'autres techniques que la peinture, tels la sculpture, la céramique, le dessin et les arts graphiques par exemple, nous devons jeter un coup d'œil plus loin encore, adopter un point de vue historique plus vaste et approfondi, et revenir non pas 30 ou 60ans, mais au moins dix mille ans en arrière. Ce n'est pas une boutade.» «Il y aurait ainsi une double – et même multiple – origine de la peinture marocaine. Une remonte, suivant différentes étapes, périodes et cultures, vers l'aube d'un temps paléo-africain. Ce temps, aussi légendaire que réel, est aussi histoire…» «Dans la première partie du XXème siècle des peintres professionnels existaient donc, ainsi que, comme le veut une tradition connue, des individus décorent leurs propres manuscrits qui héritaient au Maroc de ces traditions picturales. Ces traditions ont leurs thèmes (légendaires, scientifiques, sacrés, profanes), leurs motifs (calligraphiques, ‘décoratifs', symboliques, etc.), leur propre outillage technique.» «Tout le monde a entendu parler de Mohammed Ben Ali R'bati (1861/1939) dont on a pu comparer l'œuvre à celle du fameux miniaturiste algérien Mohammed Racim (1896/1975). Tous les deux étaient issus d'un milieu lié à la pratique de l'enluminure traditionnelle.» «Je suis d'accord avec Pierre Godibert quand il soutient qu'il existait aussi une tradition maghrébine populaire de peinture murale figurative.» «Le peintre El Hamri, pour ne donner qu'un exemple documenté, avait été - avant sa première exposition individuelle à Tanger en 1948 - un très jeune peintre de fresques murales pour ‘cafés maures' de l'époque.» «La peinture ‘moderne' nait au Maroc au moment où certains individus ressentent le désir, secret et impératif, d'adopter, ‘en tant que peintres', toile et chevalet; elle nait de la rencontre entre les investigations d'une société, ses créateurs et son art et les possibilités de réorganisation dans l'économie de l'imaginaire par ces outils.» «Prenons, comme date possible, 1920. Des recherches ultérieures feront certainement reculer cette date vers les débuts du siècle, mais, à ma connaissance et pour le moment, c'est à partir de 1920 que nous possédons des témoignages documentés.» «Celui que Saint-Aignan qualifie comme étant le premier peintre marocain moderne et figuratif, ‘le premier des peintres de la Rennaissance marocaine', en fut en effet séduit. Il s'appelait Abdeslam El Fassi Ben Larbi et se trouvait en visite à Marrakech. Saint-Aignan rapporte une scène importante : quand A. Ben Larbi s'approcha, attiré par la vue du peintre Brindeau peignant devant son chevalet à Jemaâ El-Fna, ce ne fut pas pour le copier, ce fût plutôt pour dire à l'artiste européen que ‘lui aussi, il peignait.» «Nous ne savons pas quel chemin suivit le peintre Jilali Ben Chelan, ce ‘jeune auteur' de scènes de genre et de paysages dont L. Vaillant, écrivait, en 1931, avoir apprécié et admiré ‘les tableautins' au musée des Oudayas de Rabat.» «Nous savons par contre, d'après les témoignages de sa femme, que M. El Menbhi, né au début du siècle, auteur de quelques très belles toiles (paysages et scènes de genre conservées par la famille), produisit beaucoup, fut un autodidacte attentif à ce qu'il pouvait apprendre de ses amis amateurs d'art et des cercles cosmopolites de Tanger.» «Nous savons aussi, d'après son propre témoignage, que le jeune Moulay Ahmed Drissi, né en 1924, ayant accompagné un jour des peintres européens peindre dans un coin de la ville de Marrakech, quand il vit l'un d'eux mélanger du vert et du brun il lui fit remarquer que ce mélange ne donnait pas une belle couleur. Sur quoi, interrogé par le peintre, Drissi répondit qu'il peignait depuis son enfance et que, dans le campement du Haut Atlas de ses parents, il avait appris tout seul à dessiner en utilisant de la laine de mouton brûlée et des pigments d'herbes…» «Un autre jeune, Mohammed Ben Allal, surnommé par les Français le ‘douanier Rousseau' du Maroc et né lui aussi en 1924, recevra matériel, aide et encouragement. Il avait commencé à peindre à l'issue de son propre patron, le peintre Jacques Azéma. Ben Allal aura sa première exposition individuelle à Washington en 1952.» Dans cette même période, d'autres encore avaient commencé à peindre… (à suivre)