◆ Mec cool, déjanté et so rock. Depuis 1999, Merhari Mohamed, alias Momo, n'en finit pas de se battre - avec ses acolytes passionnés(es) de cultures urbaines - pour faire du festival L'Boulevard un espace de liberté et d'expérimentation. ◆ ll nous parle volontiers de cette manifestation… unique, dont il est le directeur et l'un des fondateurs.
Propos recueillis par R. K. Houdaïfa
Finances News Hebdo : Pourriez-vous présenter le festival ? Merhari Mohamed : L'Boulevard est un festival de cultures urbaines plutôt que de musiques urbaines ou actuelles, produit par l'EAC-L'Boulevard, qui est une association à but non lucratif. Nous développons plusieurs projets, dont les plus importants sont «L'Boulevard» et son «Tremplin» bien sûr; «Sbagha Bagha Casablanca» et «Jidar, toiles de rue» à Rabat. Nous avons également créé, en 2009, un centre de musiques actuelles doté de studios de répétitions et d'enregistrements, de salles de formation et de concert. C'est très important de faire tourner les groupes durant toute l'année.
F.N.H. : D'où vient le nom ? M. M. : Je crois que nous rigolions. Au début (en 1999), c'était le «Tremplin des jeunes musiciens», mais nous l'avons par la suite sobrement intitulé «L'Boulevard des jeunes musiciens de Casablanca», d'autant que l'appellation renvoie à peu près à la rue. Quelques années plus tard, nous avons décidé d'enlever «les jeunes musiciens», car le nom sonnait un peu lourd. Et donc, «L'Boulevard» est resté et s'est imposé lui-même… Sans vouloir l'intellectualiser (sourire).
F.N.H. : A quoi ressemblait le paysage au Maroc lorsque vous avez démarré ? M. M. : Dans les années 90, le hip-hop commençait à s'étendre grâce aux cassettes. La plupart des groupes, la quasi-totalité, rappaient en français et surtout en anglais. Cependant, il n'y avait que quelques groupes de heavy metal, de rock progressif… Il y en avait trois ou quatre. C'est seulement à partir de 1999 que nous avons commencé à rassembler ces communautés-là.
F.N.H. : Selon votre expérience, quelle est la santé actuelle des musiques alternatives au Maroc ? M. M. : Le hip-hop est très en vogue. Il envahit, aujourd'hui, les radios, le net... Il est maintenant programmé dans pas mal de festivals. La fusion ? Pareil ! A contrario, le rock ou le metal -surtout le metal - sont toujours des musiques marginalisées. Cela nous demande un peu plus d'effort pour les promouvoir et les rendre accessibles au grand public.
F.N.H. : Parlons un peu de l'équipe en charge de l'organisation. M. M. : Je pense que les équipes sont rodées maintenant. Chacun connait son poste, chacun gère ses problèmes… C'est ce qui nous facilite la tâche. Nous avons des équipes monstrueuses qui cravachent comme des malades ! Mais après, il y a cet esprit de famille communautaire. Le festival est le «bébé» à tout le monde. Ce n'est ni le mien, ni celui de Hicham. Tout le monde est concerné par sa réussite. Nous travaillons dans et pour la culture.
F.N.H. : On sait qu'il y a une certaine prise de risque de la part des organisateurs pour monter le budget, par exemple. Comment arrivez-vous à gérer l'ensemble ? A trouver des sponsors ? M. M. : Cela fait quand même 21 ans que nous le faisons. Nous l'avons renvoyé aux calendes grecques deux fois à cause du budget difficile à monter. Les sponsors n'étaient pas intéressés, en général, par un événement de hip-hop. Pis encore, de metal. Ceci dit, certains nous avaient fait confiance car ils ont cru en nous et en notre combat. Le sponsoring pose moins de problèmes aujourd'hui qu'il y a maintenant dix ou quinze ans.
F.N.H. : Une fourchette de votre budget ? M. M. : Nous tournons autour de 8 MDH.
F.N.H. : Avez-vous des impératifs au niveau de la programmation (un nombre défini des headliners) ? Un cahier des charges ou plutôt freestyle dans les choix ? M. M. : Cahier des charges ? Non ! Nous ne nous imposons rien. Nous avons les mains libres de programmer ce que nous voulons, tout en restant, bien sûr, dans la thématique du festival. Néanmoins, nous restons dans une fourchette de 50/70 groupes par édition, car nous n'avons que deux week-ends et ne pouvons pas programmer 500 bands.
F.N.H. : Il n'y a plus de «journée électro», pourquoi ? M. M. : C'est par souci d'économie que nous avons décidé d'enlever le jour dédié à la musique électronique. Nous étions un peu endettés. Il fallait freiner les choses et se calmer. Une journée coûte vachement cher ! Une journée, c'est lourd ! Ne serait-ce qu'en catering. Quoique ce sacrifice nous a énormément aidés. Il faut savoir que les bénéfices du festival sont injectés dans d'autres projets, dont «Sbagha Bagha» qui est complètement supporté par l'association financièrement. Le Boultek (centre de musiques actuelles) a également besoin d'un budget de fonctionnement. Nous avons une dizaine de salariés, 850 m2 à entretenir, avec le matériel et tout ce qui suit. Le budget du festival sert à financer, en outre, toutes les activités de l'association: les formations, les master class…tout le tralala que nous faisons au cours de l'année.
F.N.H. : Vous avez souvent été les premiers à programmer des artistes qui se sont révélés par la suite, comme Hoba Hoba Spirit. Est-ce une volonté d'être précurseurs ? M. M. : Non, pas du tout ! Nous ne sommes pas dans cette démarche-là. Nous n'avons ni envie d'être les premiers, ni d'être quoi que ce soit. Je crois qu'en programmant les groupes que personne ne voulait booker, fait de nous des précurseurs - peut-être -, des dénicheurs ou des découvreurs de talents. J'aimerai bien qu'il y ait 10.000 L'Boulevard au Maroc. Nous ne sommes pas dans l'exclusivité. Pas du tout! C'est avec une immense joie et un plaisir certain que nous aidons les jeunes qui viennent nous voir afin de les accompagner dans leurs petits projets de festivals ou de concerts. Le but est de créer une dynamique.
F.N.H. : En effet, chaque année vous dénichez des pépites/artistes peu connus… M. M. : Nous avons installé un système de fonctionnement. «Tremplin» accueille plusieurs groupes et artistes, préalablement sélectionnés par un jury, qui a écouté toutes les maquettes reçues par le comité d'organisation du festival et étudié les candidatures reçues dans les catégories rap/hip hop, rock/metal et fusion/world pour en tirer la sève : créativité, qualité, originalité. Trois jours durant, les musiciens en herbe retenus donnent le meilleur d'eux-mêmes face à un public qui ne les connaît pas encore et à un jury qui primera les meilleurs par catégorie. Il n'y a pas de secret. C'est un tremplin. Ceci porte bien son nom ! H-kayne l'ont gagné, Mobydick aussi, Fnaïre, Darga, Haoussa… On peut dire que nous les aidons à monter à cheval la première fois.
F.N.H. : Une anecdote marrante autour du festival… M. M. : Un Dj très connu m'avait dit : «J'ai failli me pisser dessus sur scène !» (rires). Il y en a plein. C'est toujours marrant. Heureusement qu'il existe des moments hyper drôles, sinon ce serait intenable. On rigole bien des fois avec les autorités. Des quiproquos, tu vois ! Au bout de 21ans, je crois qu'il y a de quoi écrire 2 livres. Volume I, Volume II. Itoub !
L'Boulevard, renvoyé aux calendes grecques ! Un peu d'insouciance, beaucoup de découvertes et d'artistes confirmés. Une boulimie de styles et de sonorités. Telle est la philosophie du festival L'Boulevard. Un événement qui fait en sorte qu'aucun mélomane ne se sent exclu de la fête. En deux semaines, il permet aux jeunes de s'épanouir, de s'exprimer et de se détacher des frustrations. Il refuse qu'une voix soit étouffée. Cependant, l'association EAC-L'Boulevard a annoncé l'annulation des éditions 2020 des différents festivals organisés par ses soins. «Au vu des circonstances actuelles et des mesures d'urgence prises par le Maroc pour faire face à la pandémie de la Covid-19, l'association a le regret de vous annoncer l'annulation des éditions 2020 de ses festivals de musique, L'Boulevard, du street-art, Sbagha Bagha à Casablanca et Jidar, toiles de rue à Rabat (…) Les activités du centre de musiques actuelles, le Boultek, à savoir les concerts, répétitions et résidences, sont également à l'arrêt… », lit-on dans un communiqué de l'association. Mais quel dommage ! Point de plaisirs décoiffants, cette année.