Un vieil errant visiblement azimuté, qui muni d'immenses seaux remplis de peinture noire, arpentait fiévreusement les rues de Meknès et, subitement, s'arrêtait pour transcrire sur les murailles des signes ésotériques. L'enfant Kacimi, sept ans au compteur, suivait comme son ombre l'étrange individu. Il tombait irrésistiblement en arrêt devant les couleurs qui s'étalaient ou les formes qui s'esquissaient. Il s'efforçait en vain de pénétrer le secret des emblèmes figées. De cette impénétrabilité naquit, sans doute, sa fascination pour la peinture. A dix-huit ans, Kacimi se mit à peindre. Avec ferveur et talent, fougue et abnégation. Et déjà, il était torturé par l'angoisse de l'engluement. Une sensation tenace à laquelle il échappa sans cesse en s'évertuant à ne pas se murer dans un système, de sorte que sa peinture n'est pas étiquetable. Il frotte son art à des expériences distantes, à des modes de peindre éloignées, puis le retrempe dans son univers originel. De là, résulte une peinture inouïe. Kacimi «jette des formes sur toile, images du corps, figures évanescentes qui incorporent la matière et suivent son rythme. A travers sa quête picturale, où s'efface toute opposition entre abstraction et figuration, signe et écriture, ligne et couleur, ces traces successives, énigmatiques évoquent les palimpsestes», écrit Brahim Alaoui en postface du livre Kacimi. Quant à Mostafa Chebbak, de son propre aveu, trouve que «les silhouettes hommes qui hantent ses toiles sont épurées à l'extrême, réduites à l'essentiel : une présence spectrale dans un monde qui leur demeure hostile et étrange. Kacimi n'a jamais cessé de poser sur les humains un regard à la fois tendre et lucide. Sa peinture est mélancolique, sa poésie romantique, ses prises de position politiques toujours fidèles à une éthique de l'engagement qui nous manque cruellement aujourd'hui». Inscriptions ininterprétables à l'image de celles qui déposaient le tordu auquel Kacimi ne cesse d'emboîter le pas, comme s'il refusait rageusement de s'extirper des douces provinces de l'enfance. «Peintre de ‘l'infigurable', son œuvre brise les limites entre abstraction et figuration. Ses peintures qui se caractérisent par les pigments naturels et des poudres denses, noires et colorées, s'accompagnent parfois de fragments de poèmes qui prolongent en un autre mode d'expression les méditations de l'artiste. Kacimi est le fondateur d'un courant de jeunes peintres qui sont à la recherche de nouvelles voies (extrait de la présentation de l'artiste par l'ambassade de France à Rabat).» Quelques œuvres de ce globe-trotter de la peinture marocaine (1942-2003), où formes, couleurs et matières vont à l'essentiel pour que plénitude et intensité riment avec interrogation et fascination, habilleront les cimaises du Musée Mohammed VI d'art moderne et contemporain, au cours de la rétrospective consacrée aux œuvres des grands artistes peintres marocains. Et dont l'inauguration est prévue le samedi 25 juillet 2020. Inédit.