Le Groupe Saham, c'est aujourd'hui un chiffre d'affaires de 7,5 Mds de DH et, surtout, le symbole de la réussite d'un homme : Moulay Hafid Elalamy. De l'acquisition du cabinet de courtage Agma à la création de Saham Re, en passant par l'acquisition de la compagnie d'assurance CNIA, il est resté inébranlable face à ses détracteurs. La vie de MHE (pour ceux qui veulent faire court) reste rythmée par une seule devise : la prise de risque. "Entreprendre, sous une forme ou une autre, c'est le sel de la vie». C'est Moulay Hafid Elalamy qui le dit. Dans son blog officiel (http://mhe-online.com). Oui, le patron du Groupe Saham tient son blog, est présent sur Facebook et reste très actif sur Twitter. En d'autres termes, un patron très connecté, entreprenant même sur le Net. Et si, comme il le laisse entendre, «entreprendre, c'est le sel de la vie», cela lui permettra surtout, au regard du groupe qu'il a réussi à bâtir, de mettre du beurre dans les épinards de ses vieux jours. Car, aujourd'hui, MHE est un nom incontournable dans le monde du business marocain. Si c'était une marque, elle se vendrait bien à l'évidence. En moins de deux décennies, il a su construire un groupe multi-métier présent dans la finance, l'offshoring et la santé. Le Groupe Saham, ce sont un chiffre d'affaires de 7,5 Mds de DH en 2012, qui a plus que doublé en cinq ans, une présence dans 19 pays d'Afrique et du Moyen-Orient et pas moins de 5.900 collaborateurs. Mais la réussite de MHE tient en un seul mot : le risque. Le «suicidaire» En 1995, Moulay Hafid Elalamy créa le Groupe Saham. Ce natif de Marrakech avait tout juste 35 hivernages et nourrissait visiblement d'autres ambitions que d'être un «simple» salarié de l'ONA : être secrétaire général de la holding royale, après avoir dirigé l'une de ses filiales (la Compagnie africaine d'assurance - CAA), est certes un poste prestigieux, mais qui ne lui permettait pas, à l'évidence, d'exprimer ses talents de businessman. Il avait besoin d'avoir les manettes... pour éclore. Il ne put alors résister à l'appel insistant de son premier amour : le secteur des assurances. Capitalisant sur l'expérience acquise en tant qu'ancien directeur des systèmes d'information de la compagnie d'assurance canadienne Saint-Maurice et ex-patron de la CAA, il fit sa première grosse opération, voire son premier coup de «folie» : l'acquisition de 35% de la société de courtage Agma pour 21 MDH. On était toujours en 1995. Cette transaction fit grand bruit. Non pas qu'elle était entachée d'irrégularités, mais simplement parce que dans les milieux d'affaires il se disait, ironiquement, que MHE pouvait choisir une manière moins douloureuse de se suicider. On le traita alors de «fou». Car à l'époque Agma était une affaire boîteuse dont personne ne voulait. Sauf MHE qui y a tout misé sans hésiter : ses 700.000 DH en stock options récupérés en quittant l'ONA, un crédit contracté pour pouvoir boucler l'opération et une implication personnelle pour restructurer et valoriser l'entreprise. Deux ans plus tard, il greffait à Agma un autre cabinet de courtage, Lahlou-Tazi, tout en acquérant une participation minoritaire dans Isaaf Assistance. En 1998, Agma Lahlou-Tazi est introduite en Bourse puis cédée. C'est le premier coup de maître de Moulay Hafid Elalamy qui, grâce à cette opération, a glané un joli pactole. Dans les affaires risquées, on réussit brillamment ou on échoue lamentablement. Il a réussi. Il l'a démontré. C'est à cette époque qu'il s'est d'ailleurs véritablement révélé aux yeux du monde des affaires : d'un businessman comme un autre, il est devenu un businessman pas comme les autres. Et de tout ce qu'il a entrepris depuis cette date, c'est sans aucun doute cette opération dont il est le plus fier. Elle l'a révélé en tant qu'homme d'affaires redoutable. Mais, cette réussite, de laquelle ont profité tous ceux qui ont osé le suivre dans l'aventure Agma, a généré des inimitiés. Car les propos sont devenus, au lendemain de la cession d'Agma Lahlou-Tazi, moins moqueurs et plus agressifs : ceux qui se gaussaient quand il a racheté Agma en le traitant de «fou», le traitaient alors de «vulgaire commerçant» ou encore d'«opportuniste». Homme distingué et élégant, excellent orateur, MHE était dès lors jugé par ses détracteurs... inégalant dans sa manière de faire des affaires. Lui, restait de marbre et traçait son chemin. Les sobriquets qu'on lui collait l'amusaient tout au plus, sans le détourner de ses objectifs : être, comme il le dit, un «opérateur économique productif qui crée de la richesse» et non quelqu'un qui «se contente d'une situation de rente». Cela, il le fait en maintenant bien sa devise en bandoulière : prendre des risques. «Je suis de cette race d'hommes qui aiment prendre des risques. Chaque jour que je me réveille, je veux avoir l'illusion de bâtir, d'être utile», nous confiait-il. Saham grandit... Avec le pactole récolté grâce à la cession d'Agma Lahlou-Tazi, que d'aucuns chiffrent à plusieurs centaines de millions de dirhams, MHE avait de quoi être un jeune retraité. Mais il fit le choix d'investir dans le Groupe Saham en diversifiant ses activités : ainsi naquit Phone Assistance, premier centre d'appels du Maroc, en 1999. Cinq ans plus tard, le Groupe Saham devint l'actionnaire majoritaire d'Isaaf Assistance. La machine était lancée. En 2005, il fit un retour fracassant dans le monde des assurances en s'offrant, à la surprise générale, CNIA... au nez et à la barbe de la CDG, seule entité marocaine qui, à l'époque, avait fait une offre de reprise à l'actionnaire majoritaire, le Groupe Arig. Avec ce nouveau coup de maître, MHE fit une entrée par la grande porte du secteur des assurances. Trop peu pour lui une société de courtage ! Avec une compagnie acquise au terme de six mois d'intenses négociations, ses ambitions étaient à peine voilées : être un opérateur de référence dans le secteur des assurances. Cela, lui seul le savait. Car, pour tous les observateurs, MHE était davantage un «opportuniste» qui allait faire un remake du film Agma Lahlou-Tazi. Et les plus optimistes, qui regrettaient que la CNIA ne soit pas revenue à un opérateur qui a un certain poids financier comme la CDG ou encore la BCP (avec qui elle avait une longue histoire de partenariat dans la bancassurance), avançaient d'emblée qu'il ne garderait la compagnie que trois ans au maximum. Certes, le temps ne leur a pas donné raison, mais on ne peut leur en tenir rigueur. Car, en écrivant pour CNIA un scénario quasi-similaire à celui d'Agma Lahlou-Tazi, Moulay Hafid Elalamy n'avait fait qu'entretenir le doute par rapport à ses véritables intentions. En effet, dès 2006, il s'offre les Assurances Es-Saada et les deux compagnies sont fusionnées trois ans plus tard pour donner CNIA Saada Assurances. En 2010, la nouvelle entité est introduite en Bourse. Sauf que, cette fois-ci, MHE n'est pas allé jusqu'à la cession de la compagnie. Quoique cette option ne soit pas écartée, si l'on s'en tient notamment à ce qu'il avait confié à Finances News Hebdo un certain 2 avril 2007 : «Pas question de la céder aujourd'hui. Mais si demain une opportunité se présente, tout est possible...». Clair pour qui sait lire. Néanmoins, même s'il soutient qu'il «ne cultive pas de liens affectifs particuliers avec les biens de ce monde, car une affaire est appelée à passer d'une vie à l'autre», on peut croire, cependant, que son discours a évolué. Car, avec CNIA Saada Assurances, devenue, sans conteste, la référence, voire le chouchou du groupe, Saham a acquis une autre dimension. En effet, avec 3,23 Mds de DH de primes globales émises (assurances vie et non vie) en 2012, CNIA Saada Assurances est la 4ème compagnie d'assurance marocaine avec une part de marché de 12,4%. Et elle occupe le haut du podium sur la non vie avec 2,77 Mds de DH et une part de marché de 16,1%. Un conseil : si vous rencontrez MHE, ne vous avisez surtout pas de lui parler de l'activité vie de sa compagnie d'assurance ! Cela a tendance à passablement l'irriter. CNIA Saada Assurances ayant bien enfoui ses racines au niveau national, MHE a alors jeté son dévolu sur le marché africain des assurances en s'offrant, toujours en 2010, le Groupe Colina, premier assureur de la zone CIMA. Aujourd'hui, lit-on dans le site du Groupe, «l'activité Assurance compte plus de 35 compagnies à travers 19 pays d'Afrique et du Moyen-Orient. Le Groupe Saham est ainsi l'acteur panafricain de référence, leader du marché de l'assurance en Afrique, hors Afrique du Sud». MHE aurait-il entamé sa «croisade» africaine s'il avait l'intention de céder CNIA Saada Assurances ? Difficile de le croire. ... Et se diversifie Le brio avec lequel il s'est offert CNIA a, sans aucun doute, assis définitivement sa réputation d'homme d'affaires habile, mais surtout très audacieux. Et cela lui a valu, en juin 2006, d'être porté à la tête de la Confédération générale des entreprises du Maroc. Mais même en étant patron des patrons, sa vision des affaires n'avait pas changé d'un iota. Bien au contraire. «En tant que président de la CGEM, je suis fier de voir des PME vendre leur expertise à l'international. Je suis fier que des opérateurs exportent du textile et des sanitaires dans un marché aussi difficile que la Chine. Et je suis particulièrement fier quand je suis en face d'opérateurs conquérants qui prennent des risques», disait-il. La prise de risque, c'est manifestement son élixir quotidien... qui le pousse, chaque jour, à étendre le périmètre du Groupe Saham. Entre acquisitions et créations d'entreprises, le Groupe, qui a pu bénéficier, au passage, de la confiance d'investisseurs de renommée internationale comme la SFI et Abraaj Capital, accroît de plus en plus son influence dans le microcosme des affaires, aussi bien sur le marché national qu'à l'étranger. Avec, aux commandes, un prédateur toujours à l'affût de l'opportunité qu'il transformera... en bonne affaire, un fringant quinquagénaire qui n'a surtout pas peur de se planter. Qu'on le veuille ou non, la réussite de Moulay Hafid Elalamy force le respect. Le «fou» a réussi et ses détracteurs sont devenus moins audibles. Mais la «folie» réussit-elle à tous ? C'est à voir.