La promesse de vente de la banque n'est pas prévue dans le contrat. Le remboursement par anticipation est un autre problème auquel banques et clients sont confrontés. Le recours en cas de cessation de paiement totale dépend du bon vouloir de la banque. Retour sur l'expérience du Groupe 570 et Chaâbi Bank en France. Dans le cadre de son cycle de conférence de son master finance islamique, l'Université internationale de Rabat a récemment organisé une conférence dédiée à la Mourabaha. Cette rencontre a été animée par Dr. Cheikh Mohamed Bachir Ould Sass, professeur universitaire et membre fondateur de l'ACERFI, audit, conformité et recherche en finance islamique à Paris. Un autre conférencier, Anas Patel, président du Groupe 570 à Paris, est revenu sur l'expérience de la Mourabaha immobilière en France. Le groupe a d'ailleurs lancé le premier produit financier islamique pour l'acquisition de biens immobiliers, en décembre 2011, en partenariat avec Chaâbi Bank, filiale du groupe Banque Populaire. Il faut dire que selon une étude IFOP parue en 2008, il y aurait en France entre 590.000 et un million de clients potentiels intéressés par des produits de financement charia-compatible, ce qui évaluerait le marché du financement immobilier halal à 7 milliards d'euros. Et comparativement à d'autres produits islamiques, la Mourabaha reste largement utilisée, notamment en France. «Il s'agit de croiser l'éthique des principes à celle des pratiques, pour donner lieu à l'éthique appliquée. Il ne s'agit pas que de déclaration d'intention mais de chose que l'on peut mesurer dans les contrats», explique Anass Patel. Et sur ordre du client, la banque procède à l'achat du bien immobilier tout en informant le client du prix d'acquisition en toute transparence, puisque c'est là, le fondement même des produits islamiques. Bien évidemment, la banque s'accorde avec le vendeur sur un prix et, par conséquent, fait une proposition de financement sur laquelle le client doit se prononcer après 10 jours de réflexion. Après son accord, le client acquéreur signe une promesse unilatérale d'achat. Par contre, il n'est à aucun moment expliqué si la banque signe aussi la promesse de vente au client (sic). La Mourabaha immobilière, telle que proposée en France, prévoit un financement sur une durée de 10 ans au maximum, (même si cette durée va bientôt passer à 15 ans), avec un apport personnel de 15% minimum du prix du bien et une mensualité qui ne doit pas excéder 33% du revenu mensuel net du client. Un seul point demeure néanmoins peu clair, c'est celui relatif au remboursement par anticipation, puisqu'en principe, la Mourabaha ne prévoit pas de remboursement par anticipation. La méthode et la fixation du reliquat à payer, dans ce cas, sont laissées à l'appréciation du banquier. En cas de cessation provisoire ou totale de remboursement, il faut savoir que la finance islamique prévoit plusieurs solutions : notamment deux qui ne sont malheureusement pas prévues dans le projet de Loi bancaire marocaine, et que beaucoup d'experts déplorent, notamment Abdelmajid Benjelloun, ancien DG d'une banque islamique en République de Guinée. A savoir, le rééchelonnement des créances sans pénalités, pour les clients qui sont en difficulté ou carrément le financement «Qard Hassan», traduisez : prêt à titre gratuit dans des cas précis où le client est dans l'incapacité d'honorer son contrat. Une autre possibilité pour les banques d'anticiper le risque est de prévoir un pourcentage sur leurs fonds propres comme provision des crédits non remboursés. Egalement, le client et la banque étant engagés par un contrat, elle peut également ester en justice pour faire valoir ses droits. Par contre, la banque ne peut prévoir une clause de réservation de propriété, parce que cela n'est pas en conformité avec la charia. « Il faut qu'il y ait un transfert total de la propriété du bien immobilier de la banque au client. La banque peut néanmoins prévoir une clause de sécurité dans le contrat qui est validée par la suite par le client», estime Dr. Cheikh Mohamed Bachir Ould Sass. Mourabaha vs crédit usuraire : Les trois différences ! Faut-il le rappeler, la Mourabaha est un produit phare de la finance islamique mais il est également un produit problématique, estime Dr Cheikh Mohamed Bachir Ould Sass. «Il faut le comprendre dans son contexte et dans son environnement historique. Mourabaha, un terme qui est désormais introduit dans le dictionnaire français», rappelle-t-il. Ce produit, basé sur une logique de vente, connaît en 1976 un tournant puisque la même année un banquier jordanien, Sami Hassan Ahmed Hamoud, a développé la réflexion après la lecture d'un livre du Imam Ach-chafii, en intégrant la Mourabaha dans les contrats de vente, et dans la transparence totale qui en est l'élément fondamental ! Le membre fondateur de l'ACERFI a également énuméré les principales différences qui existent entre la Mourabaha et le crédit usuraire : d'abord la structuration juridique. La Mourabaha est un contrat d'achat et de vente sans spéculation, et non pas un contrat de crédit avec intérêt, comme c'est le cas du crédit usuraire. Ce dernier est un contrat qui permet de générer de l'argent avec l'argent (les intérêts, selon l'écoulement du temps). Or, en droit musulman, l'argent ne doit pas générer de l'argent, mais plutôt le travail, sauf le cas de l'héritage, entre autres. La deuxième différence réside en l'objet même du contrat. Dans le cas de la Mourabaha, l'objet est licite et réel, et non monétaire. Ce qui «montre l'ancrage de la Mourabaha dans l'économie réelle», soutient Dr. Ould Sass. D'ailleurs, cette différence est pour l'essentiel dans le fait que la finance islamique a connu un réel succès dans le monde en pleine crise financière, puisqu'elle empêche les effets de levier excessifs. Enfin, la troisième différence importante à souligner est celle de la nature même de l'engagement contracté. S'il est vrai qu'il existe dans la pratique de fortes similarités pour le consommateur final. Il n'en demeure pas moins que dans l'usuraire, le contrat est binaire, banque-client. Par contre dans la Mourabaha, le contrat est triangulaire, puisqu'il concerne le client, la banque et la responsabilité sociétale de cette dernière. En effet, la banque doit s'assurer de l'impact sociétal du contrat. Ainsi, elle ne doit pas conclure un contrat dont l'objet est illicite ou ayant un impact sociétal négatif ! De même que face à un mauvais payeur, les indemnités de retard, ne sont pas empochées par la banque mais versées à une œuvre caritative ! «Avec la Mourabaha, on peut lutter contre la cavalerie financière. Et c'est au niveau des contrats participatifs qu'on note réellement une rupture idéologique entre l'islamique et l'usuraire», conclut le membre fondateur de l'ACERFI. ■