Depuis le début de la décennie, les indicateurs de performance commerciale, qui constituent le critère le plus significatif en matière de compétitivité, sont en net repli. Le Maroc se trouve ainsi déclassé sur le marché européen par nombre de pays concurrents du pourtour méditerranéen, et même de régions plus éloignées. Une détente monétaire prolongée risque même, via différents canaux, de retarder l'assainissement des bilans et le retour à une reprise autonome. Le Maroc ne dispose pas encore d'une stratégie économique claire lui permettant d'effectuer les bons choix et de les optimiser. Tarik El Malki, professeur universitaire et membre du Centre Marocain de Conjoncture, nous éclaire sur les failles, sur les acquis de notre économie dans un contexte empreint d'incertitudes. Et sur la voie à suivre pour se frayer un chemin de la croissance. Finances News Hebdo : Face à un endettement excessif, les Etats concernés ont mis en place des mesures d'austérité budgétaire conjuguées à des politiques monétaires expansionnistes, mais qui, au demeurant, n'ont pas eu d'effets importants sur la relance de l'économie. Pourquoi à votre avis ? Tarik El Malki : En effet, l'assouplissement monétaire décidé par les Banques centrales durant la crise a probablement joué un rôle décisif et permis d'éviter une débâcle financière de grande ampleur. Ce qui aurait conduit à la rééditation de la grande dépression des années 1930. Néanmoins, les bienfaits de cette détente monétaire demeurent controversés. A court terme, une politique monétaire accomodante peut faciliter l'assainissement des bilans des secteurs public et privé. En offrant aux banques et aux pouvoirs publics davantage de temps pour remédier aux problèmes d'insolvabilité, elle peut éviter des opérations de désendettement précipitées et des défaillances. Elle peut aussi abaisser le coût du service de la dette, soutenir les prix des actifs et dynamiser la production et l'emploi. Cependant, durant la phase de rétablissement après une crise financière, la politique monétaire peut se révéler moins efficace dans son rôle de stimulation de l'économie. Les agents économiques surendettés ne souhaitent pas emprunter pour dépenser, et le système financier fragilisé transmet moins bien l'orientation de la politique monétaire au reste de l'économie. Par conséquent, si l'on veut que la détente monétaire exerce le même effet à court terme sur la demande globale, elle devra naturellement être plus marquée. Mais elle ne saurait remplacer une action corrective directe pour maîtriser l'endettement et rééquilibrer les bilans. Au bout du compte, une détente monétaire prolongée risque même, via différents canaux, de retarder l'assainissement des bilans et le retour à une reprise autonome. Premièrement, des conditions monétaires inhabituellement accommodantes sur une longue période masquent des problèmes sous-jacents au niveau des bilans et incitent moins à s'y attaquer de front. L'assainissement et les réformes structurelles nécessaires au rétablissement de la viabilité budgétaire peuvent donc être différés. Ce qui n'est pas sans risque. Ensuite, la faiblesse des taux courts et longs peut provoquer le retour d'une prise de risque excessive sur les marchés financiers. En outre, une détente monétaire marquée et prolongée peut être source de distorsions sur les marchés financiers. Le faible niveau des taux d'intérêt et la politique de bilan des Banques centrales ont infléchi la dynamique des marchés au jour le jour. De ce fait, il pourrait être plus compliqué de mettre fin à la politique de détente monétaire. Enfin, plus grave encore, cette politique monétaire de détente, qui aura un impact limité sur la capacité des économies développées à générer de la croissance, aura pour effet de drainer des quantités de capitaux trop importantes vers les économies émergentes à cause des différentiels de taux d'intérêt, avec comme conséquence la déstabilisation de leurs systèmes financiers, des poussées inflationnistes, etc. F. N. H. : Depuis le déclenchement de la crise en Europe, les analystes et les économistes n'ont cessé de tirer la sonnette d'alarme sur les conséquences qui peuvent en découler à cause de notre concentration sur ce marché. Aujourd'hui, malgré, la diversification de nos débouchés vers d'autres marchés (Afrique, Asie,...), cette analyse est-elle toujours valable ? T. E. M. : Plus que jamais ! Notre pays souffre cruellement d'un manque de compétitivité à l'export, alors que l'essentiel pour un pays se joue dans sa capacité à capter des parts de marché à l'international. Ceci aura pour effet de stimuler la demande étrangère adressée au Maroc, générant des ressources en devises dont le Maroc a cruellement besoin aujourd'hui, de générer des emplois productifs et in fine, de stimuler durablement notre compétitivité économique à travers l'innovation, la recherche et développement, etc. La concurrence internationale est d'autant plus rude que des choix stratégiques doivent être effectués sans plus tarder. Les indicateurs de performance commerciale, qui constituent le critère le plus significatif à ce sujet sont en net repli depuis le début de la décennie. Les parts de marché évaluées sur la période couvrant les dix dernières années ont varié d'une année sur l'autre autour d'une moyenne de 0.11%, contre 0.13% la décennie précédente. Le positionnement compétitif du Maroc accuse même un léger déclin s'agissant du marché de l'Union européenne, notre principal marché pertinent. Les parts de marché du Maroc sur l'UE se sont réduites de 0.25% en 2001 à 0.19% en 2010. Le Maroc se trouve ainsi déclassé sur le marché européen par nombre de pays concurrents du pourtour méditerranéen, et même de régions plus éloignées. Notre faible compétitivité à l'export apparaît de façon encore plus évidente à travers des indicateurs spécifiques comme le déficit commercial ou encore le taux de couverture qui ne cesse de diminuer. On relèvera qu'avec un volume d'exportation couvrant moins de la moitié du volume des importations, le déficit commercial représente actuellement près de 23% du PIB. Aussi, quelle stratégie mettre en œuvre dans ces conditions ? Tout d'abord, la maîtrise et la consolidation du cadre macroéconomique sont essentielles avec comme objectifs la maîtrise de l'endettement, l'amélioration du climat des affaires, l'amélioration du cadre réglementaire relatif au secteur à l'export, etc. Tout ceci aura pour effet de créer les conditions favorables à la consolidation de l'investissement et de la croissance dans notre pays. S'agissant maintenant de la promotion du secteur à l'export, la stratégie à mettre en œuvre serait la diversification des produits et des marchés à travers un meilleur ciblage des secteurs et des produits ainsi qu'un accompagnement plus soutenu des acteurs sur les marchés. Sur ce dernier point, un programme de « Contrats de croissance à l'export », qui vise à permettre aux entreprises exportatrices de bénéficier d'un soutien financier nécessaire au développement de leurs produits sur leurs marchés cibles, a récemment été lancé par les pouvoirs publics. Il s'agit d'un ambitieux plan de promotion du secteur à l'export au Maroc. La diversification des produits, malgré des efforts importants, reste le maillon faible. En effet, la structure par produits montre une prédominance des exportations des produits chimiques (sujets à la volatilité des cours sur les marchés internationaux), un recul de la part des secteurs traditionnels (textile et produits alimentaires) et une émergence progressive des secteurs de la mécanique, de la métallurgie, électrique et électronique. Ceci montre une diversification progressive des exportations en faveur des ventes de nouveaux produits (fils et câbles électroniques, composants électroniques, etc.). La tendance doit être accelérée. De la même manière, sur le volet de la diversification des débouchés, on remarque bien que la majorité des volumes échangés se font avec l'UE, bloc en proie à la récession. En revanche, nous constatons que les volumes échangés avec les pays avec lesquels nous avons signés des ALE (USA, Turquie, etc.) demeurent très faibles au regard des opportunités existantes. Il serait pertinent de comprendre pourquoi, et entamer une évaluation de ces accords et de leurs impacts sur notre économie. D'autres marchés doivent être également considérés, tels que ceux de l'Asie ou encore de l'Amérique Latine, même si la langue peut constituer une barrière. F. N. H. : A l'aune de la crise internationale, la question relative au rôle de l'Etat refait surface. Les avis sont très partagés entre un Etat providence et un Etat facilitateur. Quel est votre point de vue sur la question ? T. E. M. : Le monde occidental est confronté à un profond paradoxe : la crise financière inédite des dernières années réveille le besoin de régulation et d'intervention des Etats, en même temps qu'elle révèle un niveau d'endettement jamais atteint en période de paix. Tout est dans ce paradoxe : nous avons besoin d'une implication forte des Etats, mais ces derniers ont de moins en moins de marge de manœuvre pour intervenir. Il est trois missions dont les Etats ne peuvent se départir et sur lesquelles ils doivent se recentrer : organiser le bon financement de l'économie tout d'abord, encourager la transition vers une économie verte ensuite, et enfin garantir la cohésion sociale. La libéralisation financière des dernières décennies a pu faire croire que l'Etat pouvait se désengager du financement de l'économie. Il n'en est rien. Sans implication forte de l'Etat pour une « bonne régulation », la confiance s'étiole et le financement se rétracte. Aussi, assurer le bon financement de l'économie implique de se prémunir contre la tentation première d'édicter de nouvelles réglementations, faute de ressources pour intervenir directement. Il s'agit à l'inverse de réguler mieux. A titre d'exemple, depuis 2003, la Commission européenne a reconnu la nécessité d'accorder plus de place dans le droit communautaire à l'autorégulation et à la co-régulation pour responsabiliser les acteurs concernés et les encourager à définir leurs propres règles. Ces dispositifs ont fait la preuve de leur efficacité dans les domaines où ils ont été testés. Celui du financement de l'économie, avec la multiplicité des acteurs qu'il implique, pourrait constituer un champ d'expérimentations de ces méthodes à l'échelle nationale. Le second champ d‘intervention « obligée » de l'Etat est celui de la transition vers l'économie verte. Cette révolution ne se fera pas sans des investissements massifs dans les technologies vertes, la transition énergétique, ou les nouveaux modes de transport. Ces investissements ne garantissent pas toujours un retour financier rapide. C'est aux Etats, par les mesures réglementaires, fiscales et financières appropriées, de créer le cadre des investissements de long terme dans l'économie verte. Les enjeux sont de trois ordres : réduire la dépendance énergétique ; promouvoir une économie plus sobre en énergies fossiles afin de faire naître un nouveau modèle de croissance ; favoriser l'emploi et le développement économique. Il nous faut agir en faveur de l'efficacité énergétique, des filières vertes et du développement durable des territoires. Le Maroc est concerné à plus d'un titre par cette problématique. Aussi, c'est un Etat que j'appellerais «promoteur» qui doit voir le jour, qui facilite le financement de l'économie, accompagne la transition vers une économie plus durable et plus respectueuse des droits humains et de la cohésion sociale. F. N. H. : Quelle est la stratégie qui vous paraît la plus salvatrice pour que le Maroc puisse se frayer une voie de développement soutenable dans un contexte très aléatoire ? T. E. M. : Tout d'abord, il convient de signaler que les prévisions de croissance pour l'année 2013 sont relativement optimistes pour le Maroc. Selon le Centre marocain de conjoncture, l'année devrait se terminer avec un taux de croissance estimé de 4.8% dû en grande partie à l'amélioration de la situation économique dans les économies en développement et les marchés émergents en Asie, Afrique et Amérique Latine, et à la pluviométrie, favorable, qui devrait impacter positivement sur la récolte céréalière. Dans ce cas, les effets induits sur la demande intérieure et sur les perspectives d'investissement seront positifs. En fait, la pluviométrie est le déterminant de la croissance économique au Maroc. Nous sommes fortement connectés au ciel et nos fondamentaux sont à la merci de sa clémence. Cela pour dire que si ces prévisions se réalisaient, le gouvernement devrait avoir une plus grande marge de manoeuvre afin de concrétiser les réformes structurelles dont notre pays a grandement besoin (Caisse de compensation, réforme des retraites etc). S'agissant maintenant de la stratégie économique, force est de constater que le pays n'en dispose malheureusement pas. Pas de manière formelle du moins ! Nous avons en effet une juxtaposition de politiques sectorielles dans différents domaines (industrie, agriculture, tourisme, artisanat, pêche) qui fonctionnent de manière isolée sans réelle coordination entre elles. Or tout pays a besoin d'avoir une vision économique à moyen et long terme afin de pouvoir effectuer les bons choix et les optimiser. Notre pays souffre de ne pas avoir de mécanismes de pilotage et de coordination de l'ensemble de ces politiques ; mécanismes nécessaires à la création de synergies entre les secteurs et en vue d'en optimiser les résultats. Sur le fond, comment ne pas constater la progressive « désindustrialisation » de notre pays ? En effet, la part de l'industrie dans le PIB a baissé ces dernières années. Elle évolue dans une fourchette de 13 à 14%. Ce qui soulève de fortes interrogations et les pouvoirs publics doivent se pencher sur ce dossier. La relation entre la compétitivité et le niveau d'industrialisation de l'économie est forte. C'est pour cela qu'il faudrait limiter le poids et l'impact de la pluviométrie sur le rythme et le profil de la croissance. Ceci passe par une accélération de l'industrialisation de notre pays. Aucun pays dans le monde ne s'est développé sans une industrie forte et compétitive. Aujourd'hui, une évaluation réelle des politiques sectorielles est nécessaire. D'autant plus que l'économie mondiale est en crise profonde depuis 2008 avec une rupture des modèles de croissance. Or, les périodes de crise sont favorables pour lancer des réformes et de nouveaux chantiers. Par conséquent, si modèle il doit y avoir, celui-ci devra veiller à mettre en place des politiques qui viseraient à soutenir d'une part le pouvoir d'achat, en évitant autant que faire se peut l'austérité budgétaire à travers le maintien des dépenses d'investissement public, et d'autre part relancer l'activité économique, à travers comme je l'ai indiqué, l'évaluation et la révision des politiques sectorielles. Ce sont là deux vecteurs qui peuvent apporter une dynamique économique capable à moyen terme de restaurer les équilibres.