La notion d'aléa moral est revenue à la mode depuis 2008, et cela partout dans le monde. Les entreprises marocaines à leur tour s'inscrivent de plus en plus dans cette tendance. Entre les opérateurs qui cherchent plus de protectionnisme et l'Etat qui cherche à conserver son image de bon élève à l'international, des frustrations s'installent. Analyse d'un phénomène susceptible d'impacter le calcul du coût du capital des entreprises. Il existe dans toute économie des entreprises aussi importantes que les Etats ne les laisseront jamais tomber à cause des interactions importantes entres elles et du rôle important qu'elles jouent auprès des autres agents économiques. Il s'agit de banques et des assurances. Ces institutions qu'Adam Smith appelle Too big to fall (traduit littéralement par Trop grandes pour tomber) jouissent, même dans les économies les plus libéralisées, d'un protectionnisme public important pour empêcher leur déstabilisation par des chocs exogènes susceptibles. Les établissements bancaires et autres assureurs le savent bien. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui les a poussés à prendre des risques démesurés avant l'éclatement de la crise financière, car un tiers (ici l'Etat) supporte une partie ou la totalité des risques avec le preneur de risque ; c'est ce qui s'appelle l'aléa moral. Si cette notion est flagrante actuellement en Occident, elle l'est moins au Maroc. Toutefois, il serait illusoire de croire que Bank Al-Maghrib, et tout autre organisme public, laisserait un opérateur sur la bande d'arrêt d'urgence en cas de problème. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder le cas de Diac Salaf. Cette société de crédit, qui risque le retrait de son agrément par Bank Al-Maghrib depuis plus d'un an est maintenue sous perfusion à coup d'annonces répétitives de son management sur la rentrée d'un éventuel investisseur dans le capital de la société. Actuellement, elle est suspendue de la cote sur ordre du CDVM. La réaction aurait-elle été la même s'il s'agissait d'une société autre que financière ? L'aléa moral peut prendre une deuxième forme pour les entreprises de moindre importance pour la communauté. Ces dernières, pour justifier à leurs actionnaires leur manque de compétitivité et l'échec quant à la réalisation de leurs objectifs, leur miroitent l'excès de libéralisme dans lequel s'engage le Maroc et mettent actionnaires et salariés face à l'Etat qui serait responsable de tous les maux de ces entreprises. C'est même devenu une habitude pour les sociétés, qui rendent leurs résultats publics, de pointer du doigt le faible protectionnisme de l'Etat. Signalons ici le cas très récent de la société Med Paper qui vient d'annoncer une alerte sur ses résultats de l'année 2012 à paraître prochainement. Med Paper n'est pas un cas isolé. En effet, presque toutes les industries importatrices de matières premières se plaignent de barrières douanières trop faibles et d'une concurrence internationale accrue. On peut à ce titre citer les sociétés de métallurgie comme Sonasid et Maghreb Steel ou encore la SNEP qui ont formulé des demandes répétées au gouvernement afin d'instaurer des clauses de sauvegarde pour leurs activités. Requêtes que le gouvernement accepte de traiter. Cette situation peut poser trois problèmes au gouvernement. Premièrement, s'il privilégie des secteurs par rapport à d'autres, cela sera interprété comme du favoritisme sectoriel. D'autre part, s'il répond favorablement à toutes les demandes, cela entraînera un certain laxisme de la part des opérateurs économiques qui verront dans ces décisions une alternative à la problématique réelle de l'industrie marocaine qui est le manque de compétitivité. Cela nous amène aux conclusions récentes de l'Association Marocaine des Exportateurs, présentées lors d'une réunion à Skhirate, qui pointe du doigt le manque de compétitivité du Maroc sur plusieurs niveaux. «Malgré des salaires en apparence bas, la productivité du travail au Maroc n'est pas compétitive», précise l'ASMEX. En plus, la politique volontariste de libéralisation initiée par le gouvernement perdrait de sa crédibilité si celui-ci accédait à toutes les requêtes formulées par les industriels. Enfin, le rejet systématique de toutes ces demandes creuserait le malaise entre opérateurs économiques et gouvernement. Pour l'heure, l'Etat semble céder aux attentes des industriels et cela impacte la notion de risque non diversifiable utilisée en gestion d'actifs. Un impact sur le coût du capital Cette notion chère aux gestionnaires de portefeuilles actions permet de calculer la rentabilité exigée sur la partie du risque non diversifiable d'un placement. A l'international, les gérants de portefeuilles commencent à introduire l'interventionnisme public dans cette équation en exigeant moins de leurs placements en actions, avec l'hypothèse que l'Etat devrait intervenir favorablement au cas où les entreprises qui constituent leurs placements seraient amenées à prendre de mauvaises décisions. Au Maroc, la rentabilité exigée sur les valeurs bancaires est la plus faible du marché (www.financenews.press.ma). Cela serait-il en relation avec le fait que ce secteur soit mieux protégé par les autorités ? Peut-être. Une chose est sûre, si le comportement de «mère couveuse» du gouvernement s'étale aux autres secteurs d'activité, cela réduirait la prime de risque appliquée sur tous les secteurs, ainsi que la volatilité du marché boursier. A. H. Med Paper demande la protection de l'Etat Selon un communiqué de presse de la société, «le marché du papier au Maroc s'est confronté au courant de l'année à plusieurs perturbations. Les importations, principalement en provenance de l'Union européenne, n'ont pas cessé d'inonder le marché local et leurs tarifs sont presque équivalents au coût d'achat de la matière première dans notre industrie». Concernant les solutions proposées pour rectifier le tir, la société estime qu'il faut «prendre des mesures de défense commerciale dont l'objectif est d'initier et de conclure la mise en place d'un droit anti-dumping sur les importations».