Entretien // Jad Aboulachbal, notaire, titulaire du Diplôme d'aptitude aux fonctions de notaire de Paris ◆ Jad Aboulachbal nous éclaire sur les différents aspects de la transmission d'entreprise à titre gratuit.
Propos recueillis par : Badr Chaou
Finances News Hebdo : Le donataire d'un fonds de commerce devra notifier au propriétaire des murs qu'il est devenu le nouveau propriétaire de ce fonds sans avoir à lui demander la moindre autorisation pour pouvoir continuer à exercer l'activité. Cette situation ne créée-t-elle pas des difficultés pratiques dans la relation entre les deux parties ? Jad Aboulachbal : Le droit au bail dont peut se prévaloir le locataire d'un bail commercial est un des éléments incorporels qui compose le fonds de commerce. Il est donc cédé avec le fonds de commerce lorsque le donateur exploitait son activité dans un local loué. Le donataire, dès lors que le bail est régulier juridiquement, peut donc continuer à exploiter la même activité dans le strict respect des conditions énoncées dans le bail commercial déjà établi. Et cela, sans avoir à demander l'autorisation du propriétaire des murs. Il doit cependant informer ce dernier par lettre recommandée avec accusé de réception qu'il y a un changement de locataire et que c'est lui qui dorénavant acquittera les loyers. Toutes augmentations du loyer ou modifications d'activité sont régies par ce contrat de bail et la loi, sans que d'autres obligations ne puissent être imposées au nouveau propriétaire. En revanche, si l'opération ne porte pas sur une donation de fonds de commerce mais exclusivement sur une cession de droit au bail, l'accord du bailleur est nécessaire pour autoriser la cession de ce seul droit au bail. Sauf si le contrat de bail dit le contraire. Pour cette raison, le donataire d'un fonds de commerce doit réclamer au donateur un exemplaire du contrat de bail pour en connaitre les conditions précises F. N. H. : Comment les membres de la famille du propriétaire peuvent-ils protéger le bien «immeuble» ou «actions» dans le cas de son décès ? J. A. : En cas de décès, le droit successoral applicable désigne les héritiers. Seront donc attribués à ceux-ci les parts sociales, actions, fonds de commerce, biens immobiliers, objets de la succession. Ne sont pas concernés les biens ayant été transmis du vivant aux termes de dons réguliers car étant déjà la propriété des donataires et n'appartenant plus à la masse successorale. Et cela que les dons aient été faits en pleine propriété ou en nue-propriété. Car si le défunt était usufruitier de parts sociales, d'actions ou de biens immobiliers, cet usufruit cessera au profit des nues-propriétaires qui deviendront plein propriétaires et cela sans tenir compte des héritiers légaux. A titre d'exemple, si un Marocain musulman vient à mourir alors qu'il n'a que des filles, celles-ci devront partager une partie de la succession avec le frère de leur père. Mais si elles étaient nues-propriétaires de ces biens, l'usufruit leur serait transmis totalement car il échappe au droit successoral F. N. H. : Y a-t-il des limites à la liberté de transmission ? Si oui, lesquelles ? J. A. : La faculté de transmission d'une entreprise, à titre gratuit, que ce soit par donation ou par succession, n'est pas totalement libre. Elle est en fait encadrée par le droit applicable à la succession au Maroc. Ainsi, lorsque l'entrepreneur est musulman, qu'il soit Marocain ou étranger, il a une totale liberté de donner de son vivant à qui il le souhaite. Dès lors qu'il est pleinement capable. Mais en cas de décès, ses héritiers, qui doivent être impérativement musulmans, sont désignés conformément au droit coranique. Si cet entrepreneur souhaite y déroger, il le peut par un testament, qui est un acte juridique qui émane de lui et qui a vocation à produire effets à sa mort. Mais il ne peut léguer plus d'un tiers de son patrimoine par voie testamentaire. Et cela seulement à un légataire musulman qui ne serait pas son héritier légal. Ainsi, un père musulman qui souhaite que sa fille hérite dans la même proportion que son fils, ne peut parvenir à ce résultat par voie testamentaire car elle est une héritière légale. Sauf si son fils accepte expressément le testament du père qui va dans ce sens. S'il s'y oppose, le testament ne produira pas effet. Lorsqu'il s'agit d'un Marocain de confession juive, c'est le droit hébraïque qui régit la succession. Il existe au sein de certains tribunaux marocains des chambres hébraïques compétentes pour ces questions. Enfin lorsqu'il s'agit d'un étranger non musulman, sa succession est réglée par sa loi nationale. Par exemple française, s'il est Français, même s'il est domicilié au Maroc. S'il souhaite faire un don de son vivant ou établir un testament, il doit s'assurer auprès d'un spécialiste de la conformité du don ou du testament à son droit national. F. N. H. : Et si le défunt avait des biens dans plusieurs pays ? J. A. : Chaque Etat a ses propres règles de droit international privé et détermine le mode de désignation du droit compétent. La succession de la même personne peut donc être soumise à des lois différentes si le défunt avait des biens dans plusieurs pays. J'invite donc toute personne qui se trouve dans cette situation à se renseigner sur le droit compétent. Et cela, pour éventuellement aménager, si l'ordre légal ne lui convient pas totalement, la transmission de l'entreprise par donation ou testament dans le respect des règles en vigueur. F. N. H. : La donation ou la succession peut-elle être révoqué par les parties concernées ? Dans quel cas et comment se fait cette révocation ? J. A. : Au Maroc, une donation ne peut être révoquée que s'il est spécifiée dans l'acte de don qu'elle est révocable. Cependant, pour faire jouer la faculté de révocation, acceptée dans cet acte par le donateur et le donataire, il faudra un autre acte, établi postérieurement, de révocation signé par le donateur et par le donataire. Or, ce dernier ne peut être contraint de le signer. Dans ce cas, la révocation sera rendue impossible. Une donation révocable peut donc dans la pratique devenir irrévocable si le donataire s'oppose à la révocation à laquelle il avait initialement consenti. En matière successorale, c'est le décès qui provoque la transmission du patrimoine. Si aucune disposition testamentaire n'a été prise, la loi compétente désigne seule les héritiers. Si le défunt a fait un testament dans la limite des legs autorisés, ce testament s'applique. Rappelons qu'un testament pour être valide doit respecter impérativement des conditions de forme et de fond que la loi successorale énonce, sinon il est nul et donc écarté par celui qui établit l'acte de succession. Un testament peut être révoqué à tout moment par le seul testateur car il n'émane que de lui. L'établissement d'un nouveau testament a pour effet d'annuler le précédent. Je ne peux que conseiller à celui qui établit un testament de se faire assister par un expert et de le déposer chez un notaire, un adoul ou auprès de son consulat s'il est étranger. Pour être certain de sa validité mais aussi qu'il ne sera pas perdu. En ce qui concerne l'héritier, il peut, seulement si un droit étranger compétent l'autorise, refuser la succession. C'est le cas par exemple d'une succession de Français au Maroc. Le droit musulman, quant à lui, n'offre pas cette faculté de renoncer à ses droits successoraux.