Appel à la création d'une chambre spéciale au sein des tribunaux afin d'instruire les dossiers rapidement. L'amende contre les spoliateurs doit être au moins égale à la valeur du bien spolié.
Par C. Jaidani
La spoliation immobilière a pris une ampleur considérable qui a interpellé les plus hautes instances de l'Etat, au point de nécessiter une intervention Royale. Dans une lettre adressée le 30 décembre 2016 au ministre de la Justice, le Souverain a tiré la sonnette d'alarme sur ce phénomène qui menace les citoyens et l'économie nationale. Le Roi avait alors exhorté le département de tutelle à mettre en place une stratégie urgente pour faire face à la spoliation immobilière et ses mafias, et à créer un mécanisme de veille impliquant toutes les parties concernées. Dans ce sillage, des administrations comme la Conservation foncière ont déployé des moyens innovants pour assurer le maximum de protection, à l'image de l'application «Mohafadati» qui permet à chaque propriétaire de suivre constamment la situation de son titre foncier. Mais les nombreuses victimes de spoliation, qui sont défendues par l'Association pour le droit et la justice au Maroc (ADJM), estiment que les mesures prises ne sont pas assez suffisantes pour dissuader les fraudeurs. D'autant plus que les plaignants sont confrontés à la lenteur des procédures et à la difficulté d'exécution des jugements. «Depuis la lettre royale, beaucoup de choses ont été faites pour lutter contre la spoliation. Mais les mesures prises sont nettement en deçà de nos attentes. De nombreuses propositions n'ont pas été prises en compte, comme c'est le cas de l'amende contre les spoliateurs qui doit être au moins égale à la valeur du bien spolié», souligne Moussa El Khal, juriste et représentant de l'ADJM. «Une bonne partie des victimes sont des MRE et ne peuvent assister à toutes les audiences et autres confrontations. Il est primordial de créer une chambre spéciale au sein du tribunal pour instruire en référé les dossiers», préconise El Khal.
De véritables mafias Les spoliateurs choisissent minutieusement leurs victimes. Outre les MRE, ils ciblent les anciens résidents étrangers au Maroc, ou encore les Marocains de confession juive installés dans d'autres pays. Pour l'ADJM, les personnes impliquées dans ces affaires ne sont pas de simples délinquants, mais plutôt des professionnels de l'escroquerie et des multi récidivistes. Ils maîtrisent parfaitement tout le système relatif au foncier, scrutant la moindre faille pour mettre à exécution leur plan maléfique. «Il s'agit d'une véritable mafia puisqu'ils ne s'attaquent pas uniquement aux personnes physiques. Ils ont eu l'audace de spolier des terrains appartenant à l'Etat en falsifiant le cachet et la signature du directeur des Domaines, voire des biens appartenant aux Habous ou encore des cimentières. Ils savent aussi que la procédure pour les démasquer, les arrêter, les juger et exécuter les sentences est complexe et prend beaucoup de temps», déplore notre interlocuteur. Le plus souvent, ces affaires mettent plus de dix ans avant d'être élucidées et rares sont les avocats qui acceptent ces dossiers. Il faut dire aussi que les plaignants se retrouvent souvent ruinés et n'ont pas de quoi payer les honoraires pendant de longues années. A force de faire des allers-retours entre leur pays d'accueil et le Maroc, ils ont vu leur situation professionnelle et familiale se dégrader considérablement. Deux ans après la lettre royale, le gouvernement est de plus en plus conscient de la gravité de la situation. Une feuille de route avec des objectifs précis a été arrêtée dans ce sens. «Entre les projections et la réalité, il existe un grand déphasage. Les spoliateurs continuent de sévir et leur avidité est montée d'un cran, n'hésitant pas à menacer de mort les victimes ou les avocats qui défendent les dossiers», indique notre interlocuteur. L'ADJM pointe du doigt les défaillances de l'appareil judiciaire marocain. L'association se demande pourquoi un conservateur condamné à dix ans de prison continue d'exercer, et qu'un avocat, condamné dans la même affaire à un an de prison, reste en liberté. «Un pédophile, une fois attrapé, ne peut se voir confier la surveillance d'une crèche», commente amèrement El Khal. Vous l'aurez compris, le chemin de la lutte contre la spoliation demeure long et tortueux. Une opération coup de poing est plus que nécessaire pour éradiquer ce phénomène qui n'a que trop duré. ◆