L'application de Bâle III risque d'être fatale aux banques mono-pays dans la zone CFA au profit de grands groupes bancaires, surtout africains, estime Finactu dans une étude. La BCEAO dénonce un rapport «mensonger» et «un agenda caché».
Une étude du cabinet de conseil casablancais Finactu, intitulée «Mille milliards FCFA ! Avis de tempête sur les banques de la zone franc», et présentée à Abidjan fin décembre, a provoqué un tollé au sein de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'ouest (BCEAO), qui en a contesté, de manière trés rude, les conclusions. Le rapport met en évidence les répercussions de l'entrée en vigueur des normes Bâle III dans la zone franc (UEMOA et CEMAC), dont l'une des principales conséquences serait la disparition des petites banques et des banques présentent dans un seul pays.
Vers une vague de concentration ? En effet, le cabinet estime que «les nouvelles dispositions de Bâle vont entraîner la disparition de certaines banques dans la zone franc, les plus faibles, notamment les banques mono-pays». Selon le rapport, ces fermetures pourraient se faire en deux vagues : «la première, à court terme, sera marquée par la fermeture des banques qui sont très sous-capitalisées» et incapables de lever les capitaux nécessaires. «La seconde, à plus long terme et sans doute au–delà des 5 années à venir, sera celle de la concentration» : l'augmentation des fonds propres va imposer plus de rentabilité, qui va à son tour forcer à un rapprochement des banques afin de réduire les frais généraux. En d'autres termes, le renforcement de la contrainte de solvabilité va massivement accélérer la sélection naturelle dans la zone, ce processus de « destruction – créatrice » par lequel les banques les plus fragiles vont devoir disparaitre, au profit d'acteurs moins nombreux, mais plus forts et plus gros.
Une facture à 1.000 milliards de FCFA Les calculs réalisés par le cabinet Finactu montrent, qu'au total, pour toute la Zone franc, les 179 banques doivent mobiliser, sur la période 2017–2022, un supplément de capital de plus de FCFA 1.000 milliards (environ 1,7 milliards de dollars) pour se conformer à Bâle III. Pour la seule zone UEMOA, le coût du passage à Bâle III se chiffrerait à 700 milliards de FCFA selon l'étude. En considérant l'augmentation des capitaux sociaux et la mise en place de Bâle III, les banques de l'UEMOA devront augmenter de 34% leurs capitaux propres, estime l'étude. Certaines banques mono-pays devront tripler leurs capitaux propres afin de respecter les ratios imposés.
Sophistication accrue La première conséquence directe de l'augmentation des capitaux propres exigée par le passage à Bâle III est une baisse significative du rendement de ces mêmes capitaux propres : Finactu a calculé que, avec le niveau de résultat actuel des banques, la simple augmentation des fonds propres imposée par Bâle III diminuera le «Return on equity» (ROE) de 15,4% à 11,4% dans la Zone. Le rapport estime les banques de la zone vont devoir se réinventer avec plus de «stratégie», en se tournant vers des activités plus rentables et qui «consomment moins de capitaux propres» (mobile banking, bancassurance, asset management) etc.
La BCEAO fustige un «agenda caché» C'est peu dire que les conclusions du rapport de Finactu ont reçu un accueil plus que mitigé au sein de la BCEAO. L'agence ecofin rapporte ainsi que, durant la conférence de presse de présentation de l'étude à Abidjan, la chargée de la réglementation bancaire à la Direction de la Stabilité financière, la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'ouest (BCEAO), Yaye Aminata Seck Mbow, a ouvertement taxé ce rapport de «mensonger». Elle a dénoncé au passage «un agenda caché» en vue de semer la panique dans le système bancaire de l'UEMOA au profit de certains groupes bancaires internationaux. Outre les critiques apportées à la méthodologie utilisée pour la rédaction de cette étude, la responsable a estimé «que les zones comme le Ghana, le Nigeria et même le Maroc où est basé Finactu, ont un ratio de solvabilité réglementaire au dessus de l'UEMOA». Elle ne comprend pas donc pourquoi cette agence est venue alerter les banques de l'UEMOA au lieu d'alerter les banques du Maroc. «Qui a intérêt à absorber les banques ? Qui a intérêt à organiser des opérations de fusion-acquisition ? Ce sont ces questions-là qu'il faut se poser», s'est-elle par ailleurs interrogée dans une interview donnée au site Financialafrik. «Le rapport fait un beau portrait des banques marocaines alors qu'aujourd'hui dans la réalité les banques qui sont les mieux capitalisées ce ne sont pas les banques marocaines, ce sont les groupes bancaires d'Afrique subsaharienne», a-t-elle souligné.