Les crises n'étant pas prévisibles, les banques, et en particulier celles d'importance systémique, doivent disposer d'une réserve en capital nettement supérieure aux exigences minimales. D'où les normes Bâle III. La crise financière a mis en évidence le rôle essentiel de la liquidité dans le fonctionnement du système bancaire. Au Maroc, Bank Al-Maghrib a émis une nouvelle circulaire qui est entrée en vigueur en avril 2013. Cette dernière prévoit des mesures progressives, avec un premier jalon au 1er juillet 2015, date à laquelle le ratio de liquidité (LCR) à court terme des banques devra être au minimum de 60%; et un 2ème jalon au 1er juillet 2019, date à laquelle ce ratio devra se situer à 100%, au terme d'un processus d'incrémentation annuelle de 10%. Kamal Mokdad, managing partner au cabinet Mazar audit et conseil, nous éclaire sur les soubassements et les enjeux des normes Bâle III dans un contexte marqué par la raréfaction de la liquidité. Finances News Hebdo : Pouvez-vous nous expliquer quels sont les principaux objectifs des normes prudentielles Bâle III ? Comment se démarquent-elles de celles de Bâle II, ou plus précisément, quelles sont les évolutions majeures desdites normes? Kamal Mokdad : Les objectifs de la réforme de Bâle II, adoptée par le Comité de Bâle en 2004, étaient de renforcer la sécurité et la solidité du système financier en exigeant des établissements un niveau de capital approprié, déterminé grâce à une mesure plus fine des risques encourus et à une prise en compte des systèmes de gestion plus sophistiqués. La crise de 2008 et les faillites de plusieurs établissements financiers ont toutefois mis en évidence les lacunes de la réglementation bancaire en termes de couverture des risques. Le Comité de Bâle a ainsi décidé de lancer une nouvelle réforme, qualifiée de «Bâle III», qui prévoit plusieurs mesures visant à rendre les banques plus résilientes, notamment : poursuite du renforcement des exigences en fonds propres, amélioration de la qualité des fonds propres «Tier 1» et création du Leverage Ratio, atténuation de la procyclicité et lutte contre le risque systémique, nouveaux ratios de suivi du risque de liquidité. S'agissant du point relatif aux exigences en capital, l'objectif recherché est clairement de renforcer l'un des principaux indicateurs de la solidité financière des établissements de crédit, à savoir le ratio des fonds propres. La réforme Bâle II avait modifié en profondeur les calculs d'exigences en fonds propres (dénominateur des ratios de solvabilité), c'est-à-dire le calcul des risques générés par les activités bancaires (marché, crédit et risques opérationnels). Les éléments du numérateur de ces ratios restaient par contre appliqués de manière encore hétérogène suivant les pays, d'où la nouveauté apportée par Bâle III pour harmoniser ces points et s'accorder sur une définition homogène et cohérente du capital. L'on observe donc une tendance à l'apurement des fonds propres Tier 1 vers un «Core Tier 1», le Tier 1 ne devant plus contenir de produits «hybrides», avec des exclusions à considérer pour le calcul des fonds propres de base, comme les intérêts minoritaires et les impôts différés actifs. Par ailleurs, afin de contrecarrer d'éventuels effets de procyclicité attribués à Bâle II, le Comité de Bâle a prévu d'introduire une série de mesures avec l'intention de promouvoir notamment : un provisionnement dynamique basé sur la perte attendue (Expected Loss), à travers une évolution des normes comptables. L'idée sous-jacente est simple : provisionner en phase de croissance afin de pouvoir mieux supporter les futures crises ou chocs de l'économie, un cadre contracyclique basé sur la constitution de «capital buffers» ou coussins de capital pour atténuer les chocs économiques et financiers. Ce «capital buffer» constituera un second matelas de fonds propres et se situera à un niveau défini par le régulateur national, en fonction de la conjoncture. Les crises n'étant pas prévisibles, les banques, et en particulier celles d'importance systémique, doivent disposer d'une réserve en capital nettement supérieure aux exigences minimales, afin d'être en mesure d'absorber sans dommage même les pertes les plus importantes. F. N. H. : La crise financière qui a éclaté en 2008 a mis en exergue les failles de Bâle II dans la mesure où plusieurs banques internationales se sont retrouvées avec des fonds insuffisants et du coup, ne pouvaient faire face à leurs engagements. Pourquoi, à votre avis ? K. M. : La crise de 2008 est née aux Etats-Unis en raison d'une distribution mal contrôlée de prêts immobiliers («sub-primes»). La conséquence, en premier lieu, a été une crise de liquidité : les banques ne se prêtaient plus entre elles par crainte de ne pas être remboursées, ne connaissant pas les risques exacts portés par leurs débiteurs. Cette crise de confiance a conduit à la faillite de Lehman Brothers à l'automne 2008 qui n'a plus été en mesure de trouver sur le marché les liquidités nécessaires pour poursuivre son activité. Après cette faillite, la crise de confiance s'est propagée rapidement à travers le monde. Cette perte de confiance a obligé les Banques centrales à injecter des liquidités pour combler les pénuries d'offre sur un marché interbancaire pratiquement asséché. Certains Etats ont tenté de stabiliser le système financier national en accordant une garantie illimitée pour les dépôts bancaires ou en prenant une participation majoritaire dans des établissements financiers jugés essentiels pour le fonctionnement du système, après avoir apporté les capitaux correspondants. En synthèse donc, cette crise a mis en évidence le rôle essentiel de la liquidité dans le fonctionnement du système financier, ainsi que l'absence de mesures appropriées dans la réglementation existante permettant de calibrer le niveau cible des liquidités (stress tests, cadre de référence, correcte estimation des besoins...). Précisons à ce titre que Bâle II exclut dans son pilier I deux risques importants dans le fonctionnement des banques que sont les risques de liquidité et les risques de taux d'intérêt, en face desquels aucune quotité de fonds propres n'est prévue. Pour faire face à cette situation et consacrer le rôle critique joué par la liquidité dans la pérennisation des interventions des établissements de crédit, deux mesures quantitatives phares ont été introduites par Bâle III : Liquidity Coverage Ratio (LCR), calculé à horizon de 30 jours et exigeant la détention d'actifs liquides de qualité, et réellement disponibles pour couvrir les besoins de liquidité à court terme en cas de stress ou de situation de crise, Net Stable Funding Ratio (NSFR), calculé à horizon un an et visant à encadrer le risque de transformation, en renforçant la résilience des établissements sur un horizon temporel long terme à travers le financement de l'activité par des ressources stables. F. N. H. : En Europe, les normes Bâle III sont aujourd'hui une réalité. Quid du Maroc, et pour quand est prévue leur implémentation ? Quelles sont les spécificités micro-économiques que devrait prendre en considération le texte y afférant ? K. M. : L'application des nouvelles dispositions réglementaires au Maroc doit prendre en considération les besoins de financement de l'économie, la structure des instruments de dettes émis par les banques pour leur refinancement, ainsi que la situation réelle du marché en particulier en termes de liquidité, que ce soit de la part des opérateurs économiques privés ou du Trésor public. A titre de rappel et selon les chiffres de Bank Al-Maghrib, le besoin de liquidité des banques marocaines s'est situé en avril 2013 à 66,8 milliards de dirhams et à 64,4 milliards un mois auparavant. Ces besoins sont essentiellement financés par la Banque centrale étant donné que le montant des injections de cette dernière a atteint 68 milliards à fin avril 2013, dont 49 milliards à travers les avances à 7 jours, 15 milliards par le biais des opérations de pension livrée à 3 mois et 4 milliards via des prêts garantis. En matière de capital, Bank Al-Maghrib a décidé en avril 2012 de rehausser le niveau minimum du Tier One à 9 % et celui du ratio de solvabilité à 12 %. Ces deux ratios sont applicables à partir de juin 2013 et ont nécessité, pour certaines banques, quelques mesures préalables leur permettant de faire face à ces nouvelles exigences, dans un contexte d'expansion de leur activité (augmentation de capital, émissions obligataires subordonnées, transformation des dividendes en actions, etc). En matière de liquidité, une approche progressive de mise en place a été privilégiée afin d'accompagner les différents établissements dans l'exercice de convergence vers les ratios cibles. Bank Al-Maghrib a ainsi publié une nouvelle circulaire qui est entrée en vigueur en Avril 2013. Cette circulaire, prévoit des mesures progressives avec un premier jalon au 1er juillet 2015, date à laquelle le ratio de liquidité (LCR) à court terme des banques devra être au minimum de 60%, et un 2ème jalon au 1er juillet 2019, date à laquelle ce ratio devra se situer à 100%, au terme d'un processus d'incrémentation annuelle de 10%. Rappelons que l'objectif du LCR est de s'assurer que l'établissement est prêt à faire face à un choc subi de liquidité en mobilisant des actifs de haute qualité considérés comme liquides par le régulateur. Pour le calcul de ce ratio, le ratio Actifs liquides de haute qualité rapportés aux Sorties nettes de trésorerie, doit être supérieur ou égal à 100%. F. N. H. : Les établissements bancaires sont-ils prêts pour l'application des normes de Bâle III ? Jusqu'à quel degré, lesdites normes pourraient-elles remédier au problème de la liquidité qui règne actuellement chez nous ? K. M. : Il faut rappeler ici que le secteur bancaire marocain est régi par un cadre législatif et réglementaire complet, inspiré des meilleures pratiques internationales (régulation prudentielle, supervision bancaire, dispositifs de gestion des risques, réglementation Bâle II/III, normes IFRS...) et disposant d'une solidité financière reconnue. A fin 2011, le ratio Tier 1 des banques au Maroc s'est établi sur une base consolidée à 9,8% et le ratio de solvabilité global à 12,4%. Il ne devrait donc pas y avoir de difficultés majeures des différents établissements à atteindre les ratios cibles en matière de solvabilité, à définition constante des fonds propres de base. L'introduction par Bank-Al-Maghrib d'exclusions (impôts différés actif, intérêts minoritaires...) afin de permettre un capital de meilleure qualité, comme le prévoient les dispositions de Bâle III, devrait toutefois amener les établissements de crédit à renforcer davantage leur niveau de fonds propres «Core Tier One» pour respecter ces nouvelles exigences réglementaires. Pour le ratio de liquidité, nous avons vu que Bâle II n'incluait pas, du moins dans son pilier 1, le risque de liquidité. Les fonds propres réglementaires étaient plus destinés à faire face aux risques de contrepartie et de marché, ainsi qu'aux risques opérationnels. L'une des innovations fondamentales de Bâle III est donc l'introduction de ratios de liquidité pour permettre aux établissements de faire face à des retraits de dépôts ou de diminution de leurs ressources. Sur ce sujet, nous avons vu que Bank Al-Maghrib a mis en place une approche progressive avec des pas annuels de 10% permettant de respecter un ratio LCR de 100% en 2019. C'est à mon avis une approche pertinente car elle laissera le temps aux banques de faire évoluer la structure de leur portefeuille et de leurs ressources de sorte à détenir des actifs liquides équivalents à au moins 25% des flux sortants. D'ici 2019, nous devrons, ceci dit, assister à une adaptation de la structure de refinancement des banques, à travers, par exemple, l'allongement des ressources des banques via les émissions obligataires, ainsi que la réduction de la récurrence des sorties nettes des ressources rémunérées (dépôts à terme et certificats de dépôt). Nous devrons également assister au développement du marché des obligations sécurisées (Covered Bonds), compte tenu de leur éligibilité aux règles de calcul du LCR.