Le concept de laïcité est tellement mal compris qu'il serait dommageable de l'associer à la lutte féminine. La femme est la première à souffrir des crises, mais ces crises sont également une opportunité pour ne rien céder. La dispersion des mouvements féministes signifie déperdition ! La volonté politique est primordiale pour évoluer sur la question des droits de la femme, estime Bariza Khiari, vice-présidente du Sénat de France. - Finances News Hebdo : Vous avez appelé les femmes à investir tous les domaines y compris religieux pour livrer leur propre analyse de la chose. Or, il y a des féministes qui revendiquent la laïcité pour se libérer du dogme religieux. Aujourd'hui, le fait de réclamer la laïcité ne risque-t-il pas d'ouvrir un autre front de lutte ? - Bariza Khiari : Absolument ! La laïcité est un concept mal compris ; déjà en Europe c'est compliqué et dans les pays de culture musulmane il l'est encore plus. Je pense que si on met en avant la lutte pour les droits de la femme, elle sera tout simplement le fossoyeur de la liberté et du combat de la femme. Il faut que les femmes imaginent leur propre concept à la fois sur la base de la tradition et celle de la modernité pour avancer vers un meilleur exercice des droits ! - F. N. H. : Lequel des deux fronts est prioritaire ? Celui de l'éducation ou celui du politique ?... - B. Kh. : Tous les deux et en même temps. Nous sommes dans une période compliquée marquée par une crise grave. Et justement, la crise peut faire des femmes des boucs émissaires, donc elles perdraient leur autonomie financière. Et quand on perd son autonomie économique et financière, l'accès aux droits en est réduit. Pour parer à cela, il faut tabler sur l'éducation évidemment mais également sur le politique. Regardez la Tunisie, elle est devenue ce qu'elle est grâce à la décision d'un homme politique, Bourguiba, qui a fait obtenir leurs droits aux femmes. Au Maroc, c'est grâce à votre monarque que le code de la famille a été adopté. Donc, tous les fronts doivent être menés ensemble. Et il ne faut pas croire que c'est parce qu'il y a une crise politique qu'il ne faut pas mettre la pression pour avancer dans la cause des femmes ! C'est dans ces périodes où justement les acquis sont fragilisés, qu'il faut redoubler de vigilance et que le combat doit être à la pointe, donc : c'est maintenant ! - F. N. H. : Vous avez dit que toutes les femmes doivent être solidaires de leurs semblables qui subiraient une injustice. Avez-vous le sentiment aujourd'hui que les mouvements sont unis et parlent d'une même voix ? - B. Kh. : La dispersion est facteur de perdition ! Il y a les partis dits libéraux et démocrates qui étaient dispersés parce que chacun d'eux voulait être le calife à la place du calife, qui ne se sont pas unis et qui ont ouvert la voie à d'autres formations politiques qui les ont devancés. On est un peu dans le même schéma avec les mouvements féministes ! Il faut se constituer en fédération, qu'il y ait des têtes de pont, qu'il y ait un porte-parole très fort, qui parle au nom de toutes les femmes et il faut surtout être d'accord sur un socle commun. Il peut y avoir des variantes et des spécificités propres à chaque mouvement mais il faut un minimum de choses en commun. Je me réjouis sincèrement d'ailleurs qu'une femme soit arrivée à la tête du patronat marocain, élue pour être à la tête des chefs d'entreprise ! Dossier réalisé par Imane Bouhrara