- Les banques participatives trouvent des difficultés pour se refinancer en l'absence des Sukuks. - Le CSO valide un procédé intermédiaire conforme, mais qui fait courir des risques de perception du marché.
Le risque de liquidité est le principal défi que doit relever au quotidien la finance islamique à travers le monde. Un phénomène paradoxal lorsque l'on voit comment l'économie mondiale baigne dans le cash des Banques centrales, ramenant le coût de l'argent à des niveaux bas jamais atteints. La plupart des banques islamiques opèrent dans un environnement où les marchés interbancaires et monétaires islamiques sont peu développés, voire inexistants comme c'est le cas au Maroc. La majorité des mécanismes de financement des Banques centrales ne s'accommode pas avec la «Shariaa». Au Maroc, une autre contrainte pèse sur les liquidités des établissements participatifs : l'absence du Tawarruq, jugé non conforme par le Conseil supérieur des ouléma (CSO), et qui permet à certaines économies du Moyen-Orient de bien huiler le circuit interbancaire islamique. En l'absence de cette «Murabaha inversée», le seul produit de refinancement à la disposition des banques participatives est l'émission de Sukuks. Dans ce sens une première émission souveraine est nécessaire afin de donner une référence aux acteurs.
Retard gouvernemental
Les premiers signaux d'alerte ont été donnés début 2018 lors de l'IFN Forum Morocco, un évènement dédié au secteur. Plusieurs patrons de banques participatives de premier plan y ont décrit l'urgence de la situation. Mohamed Maârouf, Directeur général de BTI Bank, estimait à l'époque que ces banques peuvent financer le double de leurs dépôts. Mais, pour cela, les instruments de refinancement sont nécessaires. Même son de cloche de la part de Youssef Baghdadi, DG de Bank Assafa, qui avait soulevé un risque de dépôts qui peut peser sur la compétitivité des banques participatives. Pour lui, ces établissements peuvent perdre en compétitivité si la collecte gratuite ne se développe pas rapidement, surtout que les banques conventionnelles ont appris à maîtriser le coût de leurs ressources. 6 mois plus tard, force est de constater que les produits d'épargne, supposés canaliser l'épargne longue, ne se sont toujours pas développés. Difficile en effet pour le secteur de développer des produits d'épargne viables en l'absence de placements conformes de type actions Charia Compliant, Sukuks ou autres. L'autre alternative et complément aux dépôts, est la mise en place d'un circuit bancaire participatif. Là aussi, le retard gouvernemental dans l'émission de Sukuks est pointé du doigt. De quoi donner raison aux spécialistes du secteur qui ne jurent que par un écosystème participatif complet (Assurance, banque, marché des capitaux...), sans lequel cette industrie ne pourra jamais se mettre debout.
A lire Le Maroc va émettre son Sukuk souverain "dans quelques semaines", les premiers intermédiaires financiers connus
Une solution intermédiaire
Pour contourner ce blocage, certaines banques ont travaillé depuis début 2017 sur un modèle permettant de ramener de nouvelles ressources à cet écosystème. Le modèle arrêté est finalement celui de la Wakala Bil Istithmar, qui permet d'injecter du cash dans les banques, en provenance de bailleurs de fonds, sans attendre l'arrivée des Sukuks. Selon nos informations, ce sont les équipes de Bank Assafa qui ont pris les devants en s'activant auprès de Bank Al-Maghrib et du CSO pour trouver une solution. La Wakala Bil Istithmar a été retenue suite à des consultations techniques poussées et a été partagée avec toutes les banques participatives à travers le Groupement professional des banques du Maroc (GPBM). Concrètement, il s'agit d'une formule d'investissement où une banque conventionnelle ou participative (qui dispose de surplus de cash) peut placer des fonds dans les projets d'une autre banque participative, en contrepartie d'un rendement sur ce placement. La banque participative joue un rôle de capital-investisseur et le bailleur de fonds celui d'investisseur en capital. Le rendement n'est pas garanti et la banque qui refinance prend un risque, conformément aux principes de la finance islamique. Selon les professionnels, ce modèle est généralement utilisé le temps qu'un circuit monétaire dédié soit mis sur les rails. Pour les observateurs, si ce modèle est conforme d'un point de vue religieux et largement répandu dans d'autres économies, des solutions durables sont toujours attendues pour ne pas faire subir aux banques participatives un risque de réputation. D'où l'enjeu de mettre en place tout l'écosystème nécessaire. ■
La finance «islamique» et le casse-tête des liquidités optimales Al Wakala Bil Istithmar est un contrat de mandat au terme duquel une partie (Wakil) est chargée de réaliser des investissements pour le compte d'une autre partie en contrepartie d'une rémunération. Dans le cas d'espèce, les banques participatives signent des contrats d'investissement avec leurs maisons-mères, ou d'autres bailleurs de fonds pour effectuer des placements dans des projets de la banque participative. Ce recours, très présent à l'international, devrait cependant se faire sur la base d'un encadrement strict, notamment via des contrats conformes à la sharia et autorisés par la commission de la finance participative. Les principaux points d'attention pour les contrats de refinancement rémunérés sont évidemment: la rémunération selon le partage des pertes et profits, l'absence de garantie des capitaux et des revenus, et l'emploi en financements conformes à la Sharia. Des mises à disposition gratuites peuvent aussi être utilisées. Ces contrats de refinancement non rémunérés connaissent moins de contraintes shariatiques. Leur mise en place doit, cela dit, être appréhendée suivant la réglementation fiscale en vigueur, et en respect des exigences d'approbation des conventions réglementées au sens de la loi sur les sociétés.