■ Une actualisation et une unification des textes juridiques et organiques s'imposent pour les adapter aux mutations économiques. ■ La réforme doit viser l'amélioration de la répartition géographique en se basant sur le critère de la pauvreté. ■ Sortir du cercle vicieux de la compensation suppose que l'on abandonne la logique de redistribution pour aller vers l'autonomisation des ménages pauvres, comme l'explique A. El Haddad, Universitaire à la Faculté des sciences économiques et sociales de Meknès. ✔ Finances News Hebdo : À votre avis, quelles seraient les mesures prioritaires à mettre en place pour avancer sur le chemin de la réforme de la Caisse de compensation ? ✔ Abderrahmane El Haddad : C'est un débat qui dure depuis plus de 40 ans. La Caisse de compensation, conçue au départ pour sauvegarder le pouvoir d'achat des plus démunis, a profité surtout aux riches et aux industriels. En effet, 20% des ménages les plus aisés perçoivent 75% des subventions, tandis que les 20% les plus démunis ne bénéficient que de 1%. Par ailleurs, ce système de subventions profite aux entreprises qui détournent les produits subventionnés (farine, sucre, gaz butane) destinés à l'usage domestique vers un usage industriel. La Caisse de compensation est souvent accusée d'être un système inéquitable et injuste. Il est temps de redresser cette situation et d'engager une réforme globale et substantielle de ce système. On peut proposer quelques pistes, notamment l'actualisation et l'unification des textes juridiques et organiques pour les adapter aux mutations économiques, et réviser et améliorer la composition des prix des produits subventionnés. La stratégie de réforme doit atténuer la dépendance de l'économie nationale du marché international, renforcer les capacités de stockage et assurer un stock de réserve de céréales et des produits pétroliers. La réforme doit viser également le développement du régime de suivi et de répartition des produits subventionnés, l'amélioration de la répartition géographique en se basant sur le critère de la pauvreté, la subvention directe financière aux couches les plus démunies Il est aussi question de la réduction du nombre des intermédiaires, l'affermissement de la loi de protection des consommateurs et l'activation du rôle du Conseil de la concurrence, De même, il est indispensable d'ouvrir les filières subventionnées à de nouvelles entreprises. Cette ouverture des marchés des biens subventionnés permettra la baisse des prix, non seulement à travers l'augmentation de l'offre, mais aussi l'intensification de la concurrence. ✔ F. N. H. : Depuis quelque temps déjà, on a procédé à une restitution de la subvention de l'Etat qui a permis de collecter quelque 20 Mds de DH. Quelles sont les limites de cette politique de restitution vu qu'elle ne concerne que la Caisse et non pas le système de compensation en entier ? ✔ A. E. H. : Le système de compensation est devenu un fardeau insoutenable menaçant les équilibres macroéconomiques et exerçant une ponction sur l'investissement public. Il est temps donc de mettre fin à ces absurdités et de récupérer les sommes profitant aux couches indûment favorisées. Le système de restitution avait été pensé dès 1998. Et à l'époque le gouvernement avait déclaré que les bénéficiaires illégitimes des subventions devaient restituer les fonds indûment encaissés. Appliquée en 1999 à l'ensemble de l'industrie, du temps où Ahmed Lahlimi officiait aux Affaires générales, la restitution de cette subvention a été levée en faveur de certaines activités, comme la biscuiterie, confiserie et chocolaterie, à partir de mars 2006. Cette mesure, dont les boissons gazeuses ont été exclues, se justifiait par la concurrence occasionnée par le flux massif des importations en provenance de Turquie et des pays arabes. Cela n'a pas été le cas des boissons gazeuses et limonades. La restitution de la subvention sur le sucre a drainé, depuis sa mise en œuvre en 1999 et jusqu'à sa levée partielle en 2006, un peu plus d'un milliard de dirhams vers la compensation. En 2010, le gouvernement a pris deux décisions concernant les exportations du sucre. Les exportateurs doivent avoir une autorisation et restituer une allocation à la Caisse de compensation. Il est aussi temps d'élargir la mesure de restitution à tous les secteurs qui continuent de profiter indûment de la subvention à l'instar des secteurs exemptés en 2006 lorsque les confiseurs, chocolatiers et biscuitiers, mettant en avant l'entrée massive de produits importés à des prix défiant toute concurrence, avaient obtenu gain de cause quant à leur demande de ne plus restituer la subvention accordée à ce produit acheté localement (2 DH par kg de sucre utilisé). Ensuite, depuis 2009, les limonadiers, exclus en 2006 du bénéfice de la non restitution, mais ne cessant de la réclamer depuis, ont, eux aussi, été satisfaits, mais à moitié. Ils n'ont plus à rembourser qu'un dirham au lieu de deux sur leur consommation de sucre local. Et ils n'ont pas manqué de faire allusion à une autre niche de restitution de la subvention des compensations à savoir les yaourts et les soft-drinks. ✔ F. N. H. : La réforme prend certes un peu plus forme, mais est-ce pour autant une politique intégrale qui touche à tous les aspects de la compensation ? Et que faut-il pour y parvenir? ✔ A. E. H. : Sortir du cercle vicieux de la compensation suppose que l'on abandonne la logique de redistribution pour aller vers l'autonomisation des ménages pauvres. Il faut abandonner le système d'assistanat qui risque de pervertir leurs incitations à travailler et à vouloir se sortir de la pauvreté ; sans oublier le poids pour les finances publiques. Et là c'est un changement culturel qui se profile et qui s'impose de plus en plus. Cela passe par la mise en œuvre, sur le plan structurel, d'un environnement institutionnel favorable à l'entrepreneuriat. La libération des énergies privées des contraintes réglementaires, bureaucratiques, fiscales et financières excessives, permettra la formalisation du secteur informel avec davantage d'opportunités d'emplois pour les jeunes et les pauvres. Il est également recommandé de procéder à une large promotion des microprojets pour permettre aux pauvres non seulement de se prendre en charge mais aussi de faire travailler les autres. Mais, rappelons-le, une réforme ne sera possible que dans le cadre d'une limitation de l'influence des lobbys. ■ Propos recueillis par Imane Bouhrara