■ Après deux ans de dénonciation de son concurrent Novonordisk, Sothema décide de partir en Algérie. ■ Le management a bataillé pour instaurer une préférence nationale afin de protéger l'industrie locale, en vain. ■ Mais rien n'est définitif, si jamais les autorités rattrapent le coche. Trois ans déjà que le président de Sothema, le groupe pharmaceutique marocain, frappait à toutes les portes pour dénoncer une situation qu'il juge insoutenable. En effet, le laboratoire pharmaceutique qui produit de l'insuline depuis 1982 a dénoncé une concurrence déloyale de la part du laboratoire danois Novonordisk durant ces trois dernières années. Mais, les efforts du management de Sothema ont été vains. Devant cet état de fait, le Conseil d'Administration du laboratoire a décidé de transférer la chaîne de production de l'insuline vers l'Algérie, pays qui protégerait les médicaments produits localement pour préserver son industrie nationale de manière générale. «Ce n'est pas de gaieté de cœur que je fais ce transfert», explique Omar Tazi, PDG de Sothema. Pour lui, Novonordisk a voulu tirer un trait sur Sothema et n'a pas trouvé mieux que de casser les prix. Il a également été décidé la suspension de tous les programmes d'investissements relatifs à la fabrication des médicaments issus de la biotechnologie. En effet, le laboratoire marocain envisageait d'investir plusieurs millions de dirhams en vue de fabriquer localement des médicaments indispensables pour les Marocains et les offrir à des prix très bas par rapport aux molécules originales, jusque-là importées au Maroc. Parmi ces médicaments, des antihépatites et des anticancéreux. Un peu d'histoire Sothema a ouvert sa première usine de fabrication d'insuline à Bouskoura en 1982 où qui produisait une insuline d'origine animale sous licence du géant américain Eli Lilly. Sothema devient de ce fait le premier laboratoire marocain et africain a avoir démarré une telle fabrication. Et ses produits commencent donc à se faire une part dans le marché qui connaît également la présence de l'insuline importée auprès de Novonordisk. En 2009, le laboratoire marocain ouvre une nouvelle usine spécialisée dans la fabrication des médicaments injectables. Le projet mobilisera 270 MDH dont 100 MDH ont servi à la mise en place d'une nouvelle chaîne de fabrication d'insuline comprenant des blocs stériles de dernière génération sur laquelle travaillent 50 collaborateurs hautement qualifiés. Sur le marché, Sothema est présent à travers deux produits, Umuline qui est une molécule originale et Insulet, qui est un générique. Et depuis 82, Sothema soumissionne aux appels d'offres publics dont il a remporté environ 40%. Sachant que les ventes de l'Etat représentent l'essentiel du chiffre d'affaires du laboratoire sur les insulines, étant donné que sa part dans le marché privé ne dépasse pas 10%. Les choses vont se gâter à partir de 2005. Auparavant la moyenne des prix de soumission pour les appels d'offres publics était d'environ 50 DH le flacon. Et à partir de 2005, le prix a baissé de moitié grâce à la fabrication à la même date d'Insulet. Sur le marché privé, ce produit est également le moins cher. Mais voilà, en 2010, une vraie bataille éclate entre Sothema et Novonordisk, ce dernier ayant soumissionné à 19 DH le flacon, soit une baisse de 45 % de la moyenne du prix par rapport à l'exercice précédent. Sothema y voit une attaque directe et décide de porter plainte devant le Conseil de la concurrence contre le laboratoire danois pour «Abus de position dominante par la pratique de prix prédateurs». Dans son rapport préliminaire, le Conseil ne va toutefois pas constater que Novonordisk ne pratique pas de prix anormalement bas. La réponse de Sothema ne s'est pas fait attendre. Aujourd'hui, nul ne sait quand le rapport final sera publié. Cette concurrence jugée déloyale coûte annuellement à Sothema 6 MDH. Ce qui a probablement motivé la décision du laboratoire d'arrêter la production de l'insuline et de transférer la chaîne de production d'insuline vers l'Algérie. Le PDG a précisé que les 50 collaborateurs de cette chaîne ne seront pas licenciés, puisque ce sont des profils rares et compétents, mais une partie devra suivre la chaîne tandis qu'une autre sera redéployée. Cela équivaut à dire qu'une fois le transfert fait, le Maroc ne produira plus d'insuline et sera complètement dépendant de l'importation. O.Tazi prévient d'une situation où les patients diabétiques au Maroc seront à la merci d'une situation monopolistique. D'ailleurs, le management de Sothema souligne que Novonordisk avait suspendu la livraison de l'insuline à la Grèce après que le gouvernement de ce pays ait demandé la baisse des prix des médicaments. Une lueur d'espoir Mais tout n'est pas encore joué. O. Tazi, qui a salué le soutien du ministre de l'Industrie et celui du Commerce extérieur à sa cause, reste ouvert à toute proposition des autorités compétentes qui, jusqu'à l'heure actuelle, auraient témoigné de beaucoup d'indifférence. Sans pour autant poser un ultimatum, Omar Tazi n'ira pas plus loin que la constitution du nouveau gouvernement pour analyser une dernière fois la situation. «J'ai toujours demandé la préférence nationale, non seulement pour l'industrie pharmaceutique mais pour tout le tissu industriel national, en vain. Maintenant, si je constate une écoute attentive à nos doléances j'arrêterais le transfert de la chaîne», souligne Tazi. Il donne d'ailleurs l'exemple de l'Algérie qui protège les médicaments produits localement des importations, et celui de l'Egypte qui consacre les deux tiers de ses besoins aux fabricants locaux et un tiers aux importateurs. Sothema étant une société cotée à la Bourse de Casablanca, Omar Tazi a tenu à préciser que ce transfert, si jamais il avait lieu, n'aurait pas d'incidence sur le chiffre d'affaires mais que plus tard, ce sera une incidence positive étant donné que le marché de l'insuline en Algérie est quatre fois plus grand qu'au Maroc. D'ailleurs si ce transfert se fait, la production démarrera chez notre voisin en 2013. Et quand bien même le transfert serait mis en veilleuse, le PDG de Sothema n'exclut pas un investissent en Algérie, pays avec lequel le laboratoire a déjà des liens jugés excellents. ■