La sensibilité du dossier nucléaire pourrait justifier toute la discrétion qui l'entoure. Outre son prix compétitif le nucléaire est une option qu'il ne faut pas négliger. Moulay Abdallah Alaoui, Président de la Fédération de l'énergie, et membre du Conseil économique et social, livre son avis d'expert en la matière. -Finances News Hebdo : Tout d'abord, on aimerait savoir votre avis sur un constat : la rareté des infos sur le projet de centrale nucléaire au Maroc. Récemment, des informations ont été partagées sur le site de l'Agence internationale à l'énergie atomique alors qu'aucune information n'a filtré jusqu'ici. Est-ce un sujet tellement sensible qu'il est difficile d'en parler actuellement ? -My Abdallah Alaoui : Je pense, comme vous, que c'est un dossier sensible et je dirais même qu'il appartient à un domaine réservé. Je dirais aussi à un domaine régalien, parce que le choix de l'électronucléaire pour produire de l'électricité propre est une option stratégique, que ce soit pour des raisons économiques, ou pour des raisons de sécurité d'approvisionnement et d'indépendance énergétique. Outre son prix, compétitif par rapport à toutes les énergies fossiles, et même par rapport aux énergies nouvelles, il présente d'autres atouts d'ordre environnemental qu'il ne faut pas négliger. L'énergie nucléaire émet moins de CO2, elle est propre et compétitive. Son seul inconvénient est que l'investissement initial est très lourd. Cependant, le coût d'exploitation, par la suite, est extrêmement faible. -F. N. H. : Incontournable malgré la polémique actuelle qui a suivi le drame nucléaire survenu à Fukushima ? -M. A. A. : Les décideurs ne doivent pas fléchir ou s'émouvoir de ce qui s'est passé à Tchernobyl ou à Fukushima. Ce n'est pas pour cela qu'ils doivent suspendre le projet ! Ils ne doivent pas réagir à l'instantanéité, mais se projeter sur le long terme. Dans sa vision stratégique pour 2025, le Maroc introduira le nucléaire dans son bouquet énergétique comme beaucoup d'autres pays vont le faire, notamment nos partenaires de l'UMA. Cette introduction va permettre d'augmenter la production de l'électricité dont la consommation par la population augmentera aussi. Les besoins en électricité croissent en effet de 5 à 6 % par an et à horizon 2025, il faudra multiplier par trois ou quatre cette consommation. Que faire alors, construire continuellement des centrales au charbon !!! Pour nous, le choix du nucléaire s'est imposé et c'est une solution incontournable pour la production électrique mais également pour le dessalement de l'eau de mer. Vous savez que le Maroc connaîtra une raréfaction des ressources hydriques dans certaines zones du Sud. Et il faut s'y préparer dès à présent. Dans ce sens, les technologies sont bien avancées. Je pense que ce projet ne peut pas être mis en cause en raison de tel ou tel événement. -F. N. H. : Mais dans tous les cas, ne serait-il pas judicieux de communiquer sur l'état d'avancement de ce projet ? Pourquoi tant de discrétion ? -M. A. A. : On n'évoque pas ce projet parce qu'il est toujours à l'étude, tout simplement. Il est vrai que le site a déjà été identifié … Si le Maroc communique peu c'est qu'il doit ménager la chèvre et le choux mais il suit irrévocablement son chemin comme pour le projet du gaz naturel. On ne communique pas à ce sujet non plus, alors que des décisions seront prises incessamment concernant ce projet. Les études menées, dans le site, le code gazier…et tout ce package est dans le pipe. Mais tant que ces décisions n'ont pas été prises, le gouvernement préfère ne pas communiquer. Il faut du concret d'abord et communiquer par la suite. Je ne dis pas qu'il faut rester dans le secret, mais disons que pour le cas du nucléaire, moins on en parle, mieux ça vaut. -F. N. H. : On évoque également l'idée de créer un centre de formation à l'énergie nucléaire… -M. A. A. : Il faut souligner que nous disposons d'ingénieurs nucléaires de très haut niveau. Et là il faut rendre hommage à l'ONE qui a pensé depuis les années 80 à former des ingénieurs au nucléaire, et c'est une vraie pépinière d'ingénieurs qui peuvent remplir des missions au niveau de la future centrale nucléaire. Puis, effectivement, la formation est la clef de voûte de la réussite de ce projet et je pense plus particulièrement à la sûreté et la sécurité. Donc, avant de lancer ce projet, le Maroc procédera à des programmes de formation en collaboration avec l'AIEA et d'autres instances. Il faut également obtenir le feu vert des organisations internationales comme l'ONU, les agences du nucléaire et l'UE avec lesquelles nous sommes intimement liés. Puis, il y a la question très complexe du financement d'un tel projet et, surtout, la question du développement de la centrale. Le choix n'a pas encore été annoncé concernant celui qui développera la centrale. Sera-ce le Maroc ou fera-t-il appel à des développeurs … ? Tant que ces questions ne sont pas tranchées, je pense qu'il est en effet normal que les décideurs restent très discrets. -F. N. H. : Fin mai, la ville d'Oujda accueillera les deuxièmes Assises de l'énergie. Quelles seront les grandes lignes de cet événement ? -M. A. A. : En effet, les Assises se tiendront le 31 mai à Oujda et s'articuleront autour de la croissance verte, c'est-à-dire le développement avec les énergies renouvelables. Je pense que c'est un bon thème pour ces Assises parce que nous avons largement parlé des énergies fossiles et qu'il reste maintenant à sensibiliser la société marocaine de manière globale sur ce phénomène de la croissance verte. Les termes «croissance» et «verte» ne doivent pas être mis en opposition. C'est une croissance fondée sur le savoir, la connaissance et l'innovation. Elle doit être portée par les plus hautes autorités du pays et concrétisée par une loi-cadre qui doit indiquer les fondements de la croissance verte. Comme disait Edgard Pisani : «Il faut écouter ceux qui ne savent pas, parce qu'ils savent autre chose», dans le sens où il faut élargir le débat par une plus grande adhésion, suivant le concept de la démocratie participative. -F. N. H. : Justement, comment rendre compatibles ces deux termes ? -M. A. A. : Trois conditions ont été préconisées récemment par le Président de la République de Corée du Sud pour rendre compatibles les termes «croissance» et «verte». La première est d'avoir une volonté politique pour s'orienter vers un nouveau mode de pensée, concrétisé sur le terrain par une loi fondamentale sur la croissance verte avec le soutien de l'ensemble des organisations politiques, des collectivités locales, de la société civile… Ensuite, il faut adhérer la population à ce nouveau mode de pensée, par des mesures de sensibilisation à la croissance verte et des mesures d'incitation et de dissuasion adéquates. Enfin, les avancées technologiques ouvriront la voie de la croissance verte et permettront à la population de changer de mode de vie. -F. N. H. : L'un des paramètres soulevés souvent est relatif à l'usage de l'énergie verte qui est régi par un cadre fiscal décourageant puisque, in-fine, elle s'avère plus chère qu'une énergie fossile… -M. A. A. : Le cadre fiscal doit changer et c'est en marche ! Le cadre réglementaire et législatif est dans le pipe aujourd'hui et prévoit d'exonérer, sinon diminuer la taxation, la TIC et la TVA, sur les éléments constitutifs des énergies renouvelables. Si l'on veut encourager l'industrie en aval, il faudrait envisager une intégration industrielle à tous les projets en cours. D'ailleurs, ces Assises vont connaître la signature de plusieurs conventions entre les autorités de tutelle, la Fédération nationale de l'électricité et de l'électronique et la Fédération des industries métallurgiques, mécaniques et électriques, qui vont s'engager à accompagner les développeurs pour construire des usines locales dédiées à la production des compléments des développeurs. -F. N. H. : Une parenthèse politique : pensez-vous que les prémices d'un dénouement de la crise avec l'Algérie, avec la réouverture des frontières terrestres entre les deux pays, pourront donner un élan de plus au projet de terminal gazier au Maroc ? -M. A. A. : D'ailleurs la ministre marocaine de l'Energie a rencontré son homologue algérien aussi bien au Maroc qu'en Algérie. Des contacts ont été établis et peut-être bien qu'une quantité de gaz sera achetée à notre voisin de l'Est ne serait-ce que pour alimenter la Centrale de Beni Mathar qui a besoin de beaucoup de gaz naturel. Et là, il est à signaler qu'il a été prévu de produire 200 mégawatts et par une décision non construite, la production a été relevée à 400 mégawatts, oubliant qu'il faut assurer son approvisionnement et que nous n'avons pas d'accès au gaz. Je crois qu'il y a de bonnes intentions de part et d'autre pour que cette centrale soit approvisionnée par le voisin algérien. Mais, le Maroc veut assurer sa sécurité d'approvisionnement pour ne pas se hasarder à subir les aléas politiques ni économiques. Voilà pourquoi il suit son projet de construction d'un terminal gazier. Ça va coûter de l'argent mais c'est le prix à payer pour être indépendant et autonome. - F. N. H. : La Fédération a fêté cette année ses dix ans d'existence. Comment voyez-vous aujourd'hui le chemin parcouru par rapport aux débuts ? - M. A. A. : Un chemin extraordinaire a été parcouru dans ce secteur de manière générale ! Notamment avec Mme Amina Benkhadra qui est une dame battante ! Pour revenir à la Fédération, le travail fourni n'est pas un travail personnel mais collectif. J'ai toujours, en raison de ma culture américaine et de mes fonctions antérieures, notamment de PDG de Mobil, opté pour un management basé sur les résultats et nous avons travaillé collectivement pour pousser la locomotive. Il faut dire qu'au début le terrain était vierge et l'on ne parlait au Maroc que du développement de l'énergie fossile. Et dans ce sens, le poids des pétroliers était prépondérant dans la Fédération de l'énergie. Mais elle s'est ouverte à d'autres acteurs. Nous avons maintenant des acteurs du nucléaire, du gaz naturel, du solaire, de l'éolien … La qualité de la Fédération est dans sa mue rapide pour accompagner l'innovation dans le secteur. Et nous avons suscité le débat par nos conférences et séminaires et je peux dire que la Fédération a contribué peu ou prou à la sensibilisation des pouvoirs publics à l'importance de développer une stratégie énergétique multivolet. Il serait prétentieux de dire que nous avions été à l'origine de la mise en place d'une stratégie ; non, c'est un travail collectif que nous avons poussé vers l'avant. Et puis, il y a la rencontre intéressante avec Mme Amina Benkhadra. Nous avons en effet des objectifs similaires et nous avons travaillé en synergie pour tourner la page et revoir le bouquet énergétique du Maroc. Et c'est un travail merveilleux qui se poursuit encore … Propos recueillis par Imane Bouhrara