Depuis une dizaine d'années, une nouvelle vague est en train de se mettre en place sur la scène française. L'obsession du box-office est très nocive pour la qualité de l'art lui-même. Chacun doit préserver sa capacité d'indignation et le cinéma en est un moyen pour le réalisateur. Le metteur en scène Costa Gavras, président de la délégation française au FIFM, nous ouvre son cœur. - Finances News Hebdo : Tout d'abord, comment avez-vous accueilli votre désignation à la tête de la délégation française pour cette 10ème édition ? - Costa Gavras : Quand Mélita Toscan du Plantier me l'a proposé, j'ai été très ému ! Vous savez, je fais du cinéma depuis 50 ans. Je suis un émigré et j'ai eu beaucoup de chance que la France m'accueille et m'ouvre ses bras. Alors, présider cette délégation d'artistes et recevoir ce prix au nom du cinéma français est, comme on dit dans certains métiers, un pic de ma profession. Je suis profondément ému car je n'aurais jamais imaginé un hommage pareil. - F. N. H. : En parlant du cinéma français, vous y avez côtoyé de grands noms et vous en faites d'ailleurs partie. Aujourd'hui, quel regard portez-vous sur la scène cinématographique française ? - C. G. : Ecoutez, je pense qu'il y a une relève qui commence à marcher très bien. Je pense qu'il se produit depuis quelques années un phénomène qui est, à mon sens, très très favorable au cinéma français. En effet, on se désengage peu à peu de cette grande période qui était une très bonne période et qui a joué un rôle important dans le cinéma français mais également mondial. Cette mouvance a joué son rôle et y rester n'apportera pas grand-chose. En effet, le monde a changé, les spectateurs aussi, même les intérêts ont changé depuis cette époque-là. Et depuis 10 à 15 ans, les metteurs en scène suivent une nouvelle voie et c'est formidablement positif. Cette nouvelle période correspond à ce que nous appelons en France «la diversité» dans la conception, la vision d'un film. Le cinéma joue un rôle précurseur dans la société. L'art doit soulever les questions ; certes il ne donne pas toujours des réponses, il doit être parfois agressif, déranger, provoquer, de sorte que les gens interagissent avec cet art. Le rôle du cinéma est de provoquer des sentiments et c'est avec ça qu'on construit la société. w F. N. H. : Ces dernières années, la production cinématographique est plus obsédée par le box-office que par l'art lui-même. Qu'en dites-vous ? w C. G. : Je pense qu'on a tort. C'est l'amour de l'argent qui l'emporte sur l'amour de l'attraction. C'est un phénomène général qui nous vient d'Amérique où il existe une obsession permanente des rentrées. Je suis d'ailleurs furieux quand je vois dans les journaux où les télés françaises le top 10 qui aligne les films qui réalisent les plus grosses recettes. C'est horrible pour un réalisateur de voir ça ! Evidemment, il faut que le public aille voir un film mais, avant tout, il faut que le bon film existe. Mais pour moi, le plus important est que le film existe parce qu'il a une vie après. Le box-office est beaucoup moins important. L'argent passe, le film reste. - F. N. H. : On dit souvent que les gens s'assagissent avec le temps, mais vous, plus votre carrière avance, plus vous gagnez en pugnacité. Généralement, vos films engendrent le débat, voire la polémique. Qu'est ce qui vous motive ainsi que vos films ? Quelles sont les aspects les plus proches de votre cœur ? - C. G. : Il faut sauvegarder sa capacité de s'indigner. Il y a un très beau livre qui est sorti en France à ce sujet et que je lis actuellement. Et je pense que pour un réalisateur, il est essentiel de savoir s'indigner parce que, dans notre société, il se passe plein de choses qu'on ne peut pas accepter. Il faut donc s'indigner contre ces choses-là avec des films ou d'autres formes artistiques. Pour moi, le cinéma est un moyen d'indignation. Et vous avez raison de dire qu'avec l'âge, on finit par donner raison à tout le monde, mais moi je pense que tout le monde n'a pas raison ! - F. N. H. : Pourquoi êtes-vous parti de France pour aller vous indigner sous d'autres cieux, comme aux USA ? Pourquoi avoir fait ce choix ? - C. G. : Je ne suis pas parti aux Etats-Unis, ce sont les Etats Unis qui sont venus vers moi. Excusez-moi de vous le dire comme ça, mais n'y voyez aucune forme de prétention ou d'égoïsme. Personnellement, j'ai toujours refusé d'aller aux USA. D'ailleurs James Caan a rappelé à sa femme, lors d'un dîner en marge du Festival, que j'étais le premier à qui l'on avait proposé le film « Le Parrain ». J'ai refusé parce que ce n'était pas un film pour moi. Je suis allé là-bas dans le cadre du film «Missing» parce que son histoire me concernait profondément, à savoir la disparition des hommes sous le joug de la dictature. Et quand j'étais sur place, je ne me suis pas installé puisque la post-production a été faite en France. C'était d'ailleurs une de mes conditions, sinon j'aurais refusé de tourner le film. Ça ne m'intéressait pas de m'installer aux Etats-unis. Je pense qu'Hollywood, pour les metteurs en scène, c'est un peu comme un lieu de pèlerinage pour les croyants. Mais en même temps un cauchemar, à mon avis. Et actuellement, je travaille sur un film qui traite d'une question d'actualité, mais quand je travaille, je ne parle pas de mes projets. - F. N. H. : En tant que réalisateur, vous avez abordé beaucoup de causes dans vos films, qu'en est-il de la cause palestinienne ? - C. G. : Vous savez, j'étais parmi les premiers à traiter cette question et j'avais fait dans ce sens un film qui s'appelle Anaka, il y a 22 ans. Ce film a été complètement écrasé et on n'en même pas sorti un DVD. J'ai réalisé ce film à l'époque où les uns étaient remontés contre les autres et où chacun pensait avoir raison et que les autres avaient forcément tort. L'histoire du film, pour la résumer, c'est ce qu'avait dit Isaac Rabin quelques années plus tard ; à savoir qu'il faut que chacun ait son Etat. Les Palestiniens eux aussi ont droit à leur Etat, à une maison à eux … - F. N. H. : Vous avez un parcours atypique. Ne pensez-vous pas porter votre histoire sur grand écran ? - C. G. : Non, je le ferais très mal. Vous savez, on est assez narcissique quand on fait du cinéma. Donc, il faut combattre cette envie de porter son histoire sur le grand écran. En tout cas, moi, je ne m'y vois pas ! D. N.E. S. à Marrakech ImaneBouhrara