Ne croit pas que je t'ai déjà oublié Michelami. Le choc que ton départ m'a infligé a été tellement brusque, tellement profond qu'il m'a fait perdre tous les mots et tous les verbes qui peuvent convenir en ces circonstances terriblement douloureuses. Michelami, il m'est très difficile de parler de toi au passé. Malgré ce très long voyage que tu as entamé dans la discrétion et la solitude, jamais rien n'effacera ces empreintes qui portent ton nom et que cette ville d'El Jadida qui t'a adopté et que tu as adopté, conservera précieusement dans ses annales. Quelque part dans cette province que tu aimais tant, tu as amarré beaucoup de ton cœur, de tes sentiments, de tes soupirs, de ta disponibilité, de ta sueur… Tu y as amarré toute ton âme, qui reposera désormais en paix dans ce sol que tu as foulé un jour de l'année 2001, avec la conviction de ne jamais t'en passer. Michelami, je garderai toujours en mémoire l'émotion qui s'est dessinée sur ton visage, le jour où je t'ai donné ce surnom en gage d'amitié et de respect mutuel. Je n'oublierai jamais nos débats d'intellectuels, les convergences de certaines de nos constatations, nos malentendus, nos bouderies, nos confidences, nos chamailleries d'enfants du troisième âge…et à chaque fois, c'était toujours cette sagesse partagée qui nous rappelait à l'ordre et raffermissait encore plus notre amitié et cette complicité souveraine dont nous étions les seuls habilités à mesurer ses degrés et à déchiffrer ses nuances. Michelami, tu es parti sans nous alarmer sur ta santé, sans nous dire un dernier mot comme on te le reconnaissait d'habitude. Mais maintenant que ton corps et ton âme sont bien loin de la portée de ma voix, j'ai tellement envie que tu restes pour que je te dise que j'ai compris pourquoi tu t'acharnais tant pour donner le meilleur de toi-même, j'ai compris pourquoi tu savourais avec délice le moindre instant d'ici bas et pourquoi chaque détail de la vie détenait sa place et son importance pour toi. J'ai compris le sens de tes larmes d'émotions, la portée de tes sautes d'humeur, la signification des coulées intarissables de ta belle plume. Oui, maintenant que ces deux infranchissables frontières nous séparent pour l'éternité, j'ai compris que tu avais une belle longueur d'avance sur moi, j'ai enfin compris que je ne t'avais jamais compris. Repose en paix cher Michelami. Le destin a voulu que tu déposes les armes en douceur et sans trop de bruit, sous le murmure des ressacs de cette baie de Sidi Bouzid que tu aimais avec une ardeur presque charnelle. Puisse Dieu tout puissant t'accorder sa miséricorde et toute sa clémence. Quant à moi, il me sera vraiment difficile d'oublier toute cette décennie de souvenirs avec ses hauts et ses bas. A chaque fois que j'aborderai le Boulevard Zerktouni d'El Jadida, je retrouverai un peu de ta tendresse et de la bonté de ton cœur, dans le regard éteint de ce vieux mendiant aveugle dont les sonorités plaintives de quémandes t'avaient profondément ému, au point où tu ne passais jamais de son coté sans le combler de friandises et gentils mots. Ce vieillard ne saura peut-être jamais pourquoi ce rituel s'est interrompu soudainement, et c'est un orphelin de plus que tu as laissé derrière toi dans cette ville qui t'a conquis par sa beauté et que tu as conquis par le cœur. Adieu Michelami, nous sommes tous à Dieu et c'est à Dieu que nous retournons. Tout le reste n'est qu'un long voyage où les arrêts, même s'ils s'espacent dans le temps leur approche est inéluctable pour tous les passagers.