A quelques kilomètres d'Azemmour, sur la côte atlantique, se trouve le marabout de « Lalla Aicha » une sainte femme à qui on attribue le don de réunir les amoureux et de marier les célibataires. C'est un sanctuaire pour des centaines de jeunes filles célibataires qui viennent chaque jour chercher le miracle d'une union. A Azemmour…
Quinze heures, près du portail « bab fokani » de l'ancienne médina d'Azemmour, deux carrioles sont en train d'embarquer une vingtaine de touristes venant des quatre coins du monde. Destination Lalla Aicha El Bahria. Après le pont de l'oued Oum Rabii, les deux charrettes ont pris une petite piste accidentée à quelque mètres du banc de la rivière. Une verdure splendide pousse les touristes à sortir leurs caméras et de façon soudaine l'ambiance change. Saïd, le conducteur, rompt le silence et réagit enfin : Vous voyez ces champs, à l'époque c'étaient des champs qui produisaient du Henné et de la grenadine . Les touristes attentifs, écoutent et regardent l'autre rive. Hélène, presque quinquagénaire, pointe le doigt vers un dôme « Regardez ! C'est là où nous étions hier, c'est le cimetière juif ».
« Oui » lui répond Saïd, le jeune homme de 30 ans qui a passé toute sa vie à faire le même trajet, « c'est en haut à coté du marabout Sidi Ouaadoud, vous voyez ces grottes au bord de la rivière c'est la « Khaloua » (coin) de Sidi Ouadoud et c'est là où a été tournée la série télévisée Romana et Bertal » explique Saïd.
L'origine de l'histoire
Le voyage d'environ quatre kilomètres à travers les buissons continue. Après avoir traversé une carrière de sable au bord de la rivière et dont on ne connaît pas le propriétaire, le marabout se profile à l'horizon. Jacqueline, une jeune française, la coupe de cheveux courts, sort sa tête de la charrette pour en savoir plus sur l'histoire de ce lieu auprès d'Hélène, « c'est un lieu de pèlerinage pour les célibataires à la recherche d'un mari ou d'une épouse » répond-elle. Saïd confirme et précise « Lalla Aicha El Bahria, ce n'est pas seulement une sainte qui aide les filles célibataires à trouver un mari selon des rituels spéciaux imposés par la visite. Mais c'est aussi l'histoire d'une fille sainte originaire de Bagdad, qui était en relation spirituelle avec Moulay Bouchaïb Redad originaire d'Azemmour». Le mythe parle d'un échange de ballon entre Lalla Aicha à Bagdad et Moulay Bouchaïb Erradad a Azemmour, Moulay Bouchaïb passe le ballon en disant « tiens Aicha à Bagdad » Aicha lui rend le ballon en répondant « tiens Bouchaïb au bord de la rivière ». Lalla aicha, toujours selon le mythe, est venue de Bagdad pour rencontrer, Moulay Bouchaïb. Arrivée à l'embouchure de l'oued Oum Rabii, elle meurt et devint une sainte qui guérit les femmes stériles.
Au monde des merveilles
Après 20 minutes, la charrette arrive à Lalla Aicha. Une dizaine de restaurateurs, des vendeurs de sacrifices pour le marabout et des Majdoubs, avec des baraques montées en carton, en bois et en zinc entourent le mausolée, un gardien de parking au milieu de l'agglomération, joue le rôle d'un Majdoub pour avoir quelques pièces d'argent supplémentaires de ses clients. L'endroit est peu peuplé ce jour du vendredi. Au parking, quelques voitures étrangères de toutes les gammes immatriculées à Casablanca, Tanger, Agadir... Et même en Europe. Khadija, gérante d'un café depuis quinze ans, papote en préparant un thé pour un de ses clients Le nombre de visiteurs est très faible à cette période de l'année à l'exception des week-ends, nous n'avons que quelques visiteurs par jour. Heureusement on rattrape ce déficit à partir du mois de mars et surtout l'été» » En face, le mur du marabout, initialement peint en blanc, est presque totalement recouvert d'inscriptions au henné. On dirait une œuvre d'art naïf. A côté, Rkia la vendeuse de bougies, une femme de grande taille, son visage brûlé par les rayons du soleil adresse aux visiteurs des citations spirituelles et des prières sur un ton insistant. On dirait qu'elle porte les secrets des lieux « La plupart des personnes ici sont des sorciers et des charlatans. Ils obligent les visiteurs à acheter des animaux pour les sacrifices et des dons pour le marabout. Ils revendiquent qu'ils peuvent résoudre les problèmes sentimentaux, moi je ne suis pas comme eux » dit-elle. Elle enchaîne ensuite avec un long discours de morale et de déontologie suivi par des propos davantage axés sur la sexualité Si vous cherchez des filles pour passer du bon temps je vous conduis vers elles. N'hésitez pas à me demander, aussi si vous souffrez d'impuissance sexuelle je suis toujours là voilà mon numéro de téléphone, notez..... bien noté ! Une conversation qui n'est pas gratuite, comme toute chose à Lalla Aicha. Vingt dirhams pour cet échange verbal !!
Des rituel spirituels ou des superstitions ?
Dans ce lieu saint, un groupe de chanteurs composé de deux femmes avec leurs « bandirs » à la main et un homme au milieu avec son violon, animent de temps à autre l'endroit avec des chansons populaires pour les âmes en peine.
Dans cette ambiance, un 4x4 de couleur noire, immatriculé à Tanger, stationne dans le parking. Deux femmes descendent et se dirigent vers Rkia, un mouvement inattendu sur le lieu, les vendeuses se regroupent autour d'elles, une des deux femmes sort du cercle après avoir acheté le kit sacré. Elle se dirige vers la porte du sanctuaire. La construction est une petite salle d'une dizaine de mètres avec la tombe au milieu, presque au niveau de la terre. Elle est clôturée d'un mur d'un mètre et demi de hauteur. A côté deux petites pièces pour le bain, une pour les hommes et une autre pour les femmes. Une femme « Majdouba », pieds nus, amène la tangéroise à l'intérieur du sanctuaire où elle rejoint trois femmes, âgées de 35 à 45 ans. Elles attendent leur tour pour confier leurs problèmes à Aicha El Bahria via une femme assise près de la tombe. Le rituel de purification débute par le baiser de la tombe et la présentation des offrandes (de l'argent, la cire, du henné…) ou un sacrifice (poulet noir ou gris). Après, la femme « Chrifa » commence à murmurer des louanges tout en mettant du henné sur les mains de la célibataire avant de la faire passer deux à trois fois au-dessus d'un brasero rempli d'encens. Ces mouvements dans l'enceinte du mausolée apparaissent de l'extérieur comme des rituels de sorcellerie. Surtout lorsque la femme écrit d'une calligraphie de débutante sur le mur d'entrée : deux prénoms Siham et Zakaria. Des rituels qui commencent et finissent toujours avec de l'argent «Fotouh ».
Douche contre les mauvais esprits !
A sa sortie, Rkia explique à l'accompagnatrice de la tangéroise « Le rituel oblige à se baigner avec de l'eau salée tirée du puits de la sainte, qui se vend à 10 dirhams. Si vous voulez de l'eau chauffée vous en avez pour 15 dirhams ». Ceci dans le petit espace aménagé à côté du mausolée pour cet effet. La femme a l'air de ne pas bien comprendre, Rkia continue à lui expliquer « La femme se déshabille et se couvre de henné puis se lave et doit laisser quelques vêtements sur les lieux, précisément les sous-vêtements (tabaa). Après c'est la fin du célibat (Incha Allah)». À la fin de ce cours gratuit près du mausolée, Saïd appelle les touristes qui avaient choisi de passer une heure à la plage au lieu de découvrir la face cachée de Lalla Aicha El Bahria ! «Le soleil se couche, on démarre ».