* La légende parle dune histoire damour entre Lalla Aïcha Bahria et Moulay Bouchaïb Erradad, désormais deux sanctuaires de la ville dAzemmour. * Le premier est pris dassaut par les jeunes filles à la recherche dun mari et le deuxième est réputé donner une progéniture mâle. * Les deux sanctuaires donnent lieu à un grand commerce parallèle, celui de lillusion. Cest une épreuve délicate ! Ce matin du troisième samedi du mois de mars, je pars sans compagnie à Azemmour, mes collègues étant occupés. Ce matin, deux visites ponctuent mon voyage dans cette bourgade, Lalla Aïcha Bahria et Moulay Bouchaïb Erradad, le saint patron dAzemmour. Â moins dune heure de Casablanca sur la route côtière, à 12 km dAzzemmour, une grande pancarte mindique le site de Aïcha Bahria. Le site est camouflé par une grande végétation à l'embouchure de l'Oued Oum-Er-Rabie. Un petit chemin sinueux y mène et, au bout, une barrière. Une horde dhommes et de femmes travaillent ici. Certains vendent lillusion, dautres sont gardiens du temple, ou gardiens de parking tout simplement. Mon arrivée suscite la curiosité. Lorigine de ce marabout est vague. Mais la version qui revient le plus souvent est celle dune grande histoire damour datant du début du 18ème siècle entre Moulay Bouchaïb parti en quête de savoir à Bagdad où une jeune Irakienne sest éprise de lui. Une fois sa formation achevée, Moulay Bouchaïb décide de rentrer au Maroc pour diffuser le savoir quil avait acquis, laissant derrière lui Aïcha. Quelque temps après, cette dernière reçoit des nouvelles du décès de Moulay Bouchaïb. Ne voulant pas se soumettre à la triste réalité, elle décide de mettre les voiles pour le Maroc. Un terrible périple à lépoque pour cette belle femme, cest en tout cas ce que lon rapporte sur elle. Elle est à quelque nuds de la rive dAzemmour mais, tout près du but, le navire séchoue et les passagers sont noyés. Aïcha se noie dans loued Oum Er-Rabie sans jamais connaître le sort de son bien-aimé ni découvrir la ville dont les gens ladopteront comme sainte, certainement émus par son courage. Mais de ce beau conte, il ne reste quune bien piètre réalité. Venir à Lalla Aïcha Bahria cest comme atterrir dans un no mans land. Ici, chacun est livré à soi-même, ni agent de sécurité, en tout cas aucun de bien visible, ni policier en uniforme. Demblée, une jeune fille mindique le sanctuaire du doigt. Pas la peine, il est très visible. Elle me tire par le bras vers une sorte de petit marché aux épices où sont exposés henné, encens, olives, bougies, eaux de fleurs. Elle me conseille den acheter pour les offrir à Lalla Aïcha. Ça ma coûté 50 DH, mais la vendeuse qui ma parue honnête ma même glissé un peigne entre les différents «cadeaux». «Lalla Aïcha était une femme très belle et très coquette», explique-t-elle. Une fois les emplettes faites, je prends mon courage à deux mains et y pénètre. Sur les murs peints à la chaux, des empreintes de mains, de doigts et de noms maculés de henné. La jeune fille me conseille de prendre un peu de henné et dinscrire le nom de mon amoureux sur le mur pour que ce dernier tombe raide amoureux de moi. Je lui fais gentiment comprendre que ce nest pas là lobjet de ma visite. Une fois à lintérieur de la petite chambre où se dresse le cercueil de Lalla Aïcha, je découvre une file de femmes assises autour de ce tombeau sur lequel sont posés des plateaux doffrandes. Ils sont essentiellement composés de henné, dattes, olives, bougies, sucre, lait, parfums Ces femmes, venues de différentes villes du Maroc, chuchotent chacune à son tour dans loreille dune vieille dame assise dans un coin à côté dun bougeoir. Elle est la descendante de Lalla Aïcha. Cette révélation me met un peu mal à laise. Si Lalla Aïcha est décédée avant datteindre la terre marocaine, comment peut-elle avoir des enfants et de surcroît des descendants ? Et la version qui faisait dAïcha une résistante marocaine à loccupation coloniale ? Bref, comme cest le cas de beaucoup de marabouts, il existe plusieurs versions de leur biographie. Mais passons. La vieille femme me fait signe de mapprocher et me demande lobjet de ma visite. Je lui balance la première chose qui me passe par la tête : «Lalla Aïcha se manifeste à ma sur qui est mariée et mère de deux petites filles, alors je suis venue lui apporter une offrande». La vieille dame me tend la main, je lui donne tout ce que javais précédemment acheté comme présents pour Lalla Aïcha. Dans un papier journal, elle me concocte une sorte de remède magique composé de henné, de pétales de roses et dautres condiments qui me sont inconnus. Elle me donne également des bougies et mexplique le mode demploi : «Ta sur est une belle femme et chaque fois quelle prend son bain, Lalla Aïcha vient la contempler. Pour que cela cesse, il faut suivre attentivement ce que je vais te dire. Chaque soir, pendant une semaine, après la prière du Maghreb, ta sur doit allumer un kanoun et y brûler une petite poignée de ce mélange. Et elle doit allumer la bougie juste après dans la salle de bains et y verser un peu de lait. Si ça ne marche pas, il lui faudra venir en personne et faire une offrande de sang à la sainte». Fin de la consultation, et comme toute consultation, il faut régler à la fin. Je lui tends un billet de 20 DH. Elle me remercie et une autre femme prend ma place pour la consulter. Ma voisine, elle, est plus tendue. «Je suis touchée» par Lalla Aïcha. Chaque soir après le coucher du soleil, je vois une femme habillée de blanc, qui me bat des fois, elle me reproche de ne pas lui avoir offert de parfum. Alors je suis partie consulter un fkih, qui ma dirigée vers Lalla Aïcha Bahria. Depuis la première offrande, je me suis sentie mieux et je nai plus eu de vision. Mais de temps à autre je passe ici lui faire des offrandes pour quelle me laisse en paix», explique cette femme, la trentaine, venue de Marrakech spécialement pour Lalla Aïcha; «Si jespace ces visites, Lalla Aïcha me punit par des chutes de cheveux, disputes conjugales». Ce récit fait, je reste un peu sur place mimprégner du climat général. Mais la séance de méditation est vite interrompue. Les sons des tambours annoncent un sacrifice. À lentrée du sanctuaire, une grande dame suit un cortège dAïssaoua qui conduit un veau à labattage. Cette dame est, semble-t-il, venue de Casablanca pour faire offrande à la sainte. Tout prête à croire que cette dame est dun certain niveau social et intellectuel, en parfait déphasage avec le reste des visiteurs. Comme quoi ! Alors que je croyais ma visite terminée, la fillette qui na cessé de mescorter, maborde encore. Elle fait en réalité un travail de rabatteuse et me propose une séance de Ledoun; cest en fait de létain fondu quon lance dans un seau deau. Une fois refroidi, la voyante, la trentaine et traînant un handicap moteur, essaye dy lire lavenir : 10 DH la séance, pour me raconter un blabla totalement à côté de la plaque. Mais ce baratin semble soulager dautres personnes venues consulter les oracles. Lalla Aïcha, la marieuse Si Lalla Aïcha a tant daura au Maroc, cest parce quelle est réputée dénicher un mari aux jeunes filles qui veulent se caser. Et justement, mon guide, ou plutôt la jeune fille qui mescortait, ma conseillé de tenter ma chance. Je nai pu résister à la curiosité de voir ce quest ce remède magique qui permet aux filles de trouver facilement un mari. Elle me guida donc vers une vieille dame en djellaba délavée à force dexposition au soleil et au vent marin. La dame me donna le choix entre prendre une douche froide ou chaude avec leau «sacrée» extraite de 7 vagues différentes. Jopte pour le seau deau chaude qui ma coûté 15 Dh, le froid ne coûte que 10 DH. La vieille dame me mène vers une sorte de douche, celle de droite pour les hommes et celle de gauche pour les femmes. À lintérieur de cette petite douche composée dune petite pièce sans aucune fenêtre, le sol est jonché deffets personnels abandonnés par les filles qui sont passées par là. La vieille dame me somme de me déshabiller. Tâche délicate avec mon magnéto planqué dans mes manches et mon appareil photo suspendu à mon cou. Mais surtout, que je ne me hasarde pas à lui laisser mon sac avec argent et papiers de la voiture. Je lui propose de faire des ablutions prétextant un coup de froid. Elle insiste néanmoins pour que je laisse un objet à moi dans cette pièce, du reste lugubre et sale. Pourquoi faire ? Paraît-il pour chasser la poisse ou «laakess». Je me résigne devant tant dinsistance à abandonner, à contre-cur, une chaussette. Cétait le seul lobjet dont je pouvais me passer facilement. À la sortie, je suis arrêtée par une grande «affiche» dun exorciste qui «guérit» les personnes touchées par un «Djinn» sur place, avec téléphone portable affiché. Manquait plus quune patente ! La jeune fille vient encore vers moi et, cerise sur le gâteau, elle me conseille de laver également ma voiture avec un saut deau de Lalla Aïcha. Jai failli lui botter les fesses, mais à y voir de plus près, cest une fille qui, par malchance, est née dans un environnement vivant de lillusion vendue à prix dérisoire à des âmes en quête de réconfort. Je la remercie de son aide et, moyennant 50 DH, jai au moins fait une heureuse pour cette journée. Une fois cette épreuve passée et à bout de souffle, je décide de poursuivre mon chemin vers Azemmour, dont le saint patron nest autre que Moulay Bouchaïb Erradad. Moulay Bouchaïb, un homme de savoir Moulay Bouchaïb Erradad nest pas pour rien le saint patron de la ville dAzemmour. On dit quil était un soufi qui a voyagé dans plusieurs pays, dont lIrak, à la recherche du savoir. Retourné à sa terre natale, il y prêche la bonne parole et est respecté de tous. Une fois mort, son tombeau est devenu un sanctuaire où longtemps après sa mort dautres savants venaient se recueillir, réciter les versets du Coran ou tout simplement prier dans la mosquée du sanctuaire. Quen est-il aujourdhui ? Il y a dans tout ça une touche de glauque et de charlatanisme qui sévissent à lextérieur du sanctuaire. À Azemmour, le mausolée est indiqué par des pancartes. Mais son accès est très difficile. Il est perché en haut dune colline qui domine la ville. Et pour y accéder une seule ruelle existe. Très difficile aussi à emprunter puisque cest une pente peuplée de petits commerces. En fait, le saint est enterré dans une sorte de mosquée. Avant dy accéder, il est recommandé dacheter des bougies, une sorte de lumière offerte à lâme de Moulay Bouchaïb. Je ne déroge pas à la règle, mais devant le marchand de bougies, une fille habillée en djellaba noire maccoste: «Etes-vous venue de vous-même ou bien est-ce un fkih qui vous a dirigée vers Moulay Bouchaïb ?». Comme ce nest pas bien de mentir (sic), je lui explique que je suis venue juste par curiosité. «Dans ce cas, il faut dabord venir voir le chrif» ; elle na pas encore terminé sa phrase que le marchand de bougies sinterpose entre nous, en traitant la fille de «sorcière». Il mexplique que ces filles viennent recruter des clients près du saint, profitant de la naïveté des gens. «Prenez ces bougies et faites une prière au sein de la mosquée et Allah Yejib Tissir», me conseille-t-il. À lentrée de Moulay Bouchaïb, une femme travaillant aux services des Choufaniïnes, les descendants du saint, minvite à faire une prière à la mosquée. Cest un espace où lon est submergé de quiétude. Les tapis de la mosquée sont vieux mais tellement reposants. Un calme hors pair règne dans cette enceinte où sont enterrés quelques proches du saint. Bizarrement, cette proximité avec les morts ne me fait pas peur; mieux encore, ces tombeaux me semblent très familiers. Lespace est baigné dune lumière tamisée et lodeur de lencens embaume. La prière finie, je sors de la mosquée pour me diriger vers le lieu où Moulay Bouchaïb est enterré. Demblée, une grande caisse peinte en vert se trouve à lentrée et comme à laccoutumée, il faut y mettre un peu dargent qui «servirait» à lentretien du sanctuaire. Des voix de Madih sélèvent. Ici, on loue Dieu et son Prophète. Le tombeau du saint est entouré dun grillage peint en vert aussi. Un homme en djellaba mexplique quil faut faire un vu et lancer la batterie de bougies, à lintérieur du grillage. Je lance donc mon paquet bleu renfermant 12 bougies. Je ne peux mempêcher dadresser une prière au saint. Un réflexe enfoui ou bien est-ce juste un effet dentraînement ? En effet, beaucoup de personnes sont accrochées au grillage, chacune confiant au saint ses problèmes, ce qui la triture. Le saint est réputé donner une progéniture mâle, et pourtant, dans un coin, une jeune femme semble confier autre chose à Moulay Bouchaïb. Elle effectue sept circumambulations du tombeau et vient sasseoir sur lun des tapis qui jonchent le sanctuaire. Je prends place à côté dune famille venue en nombre à Moulay Bouchaïb. Les enfants sont essentiellement de sexe féminin, lobjectif de la visite est précis : cest la belle-fille qui désire avoir un garçon, ou plutôt, elle subit toute la pression de la famille venue laccompagner dans sa quête. À ma droite, un jeune homme est accroupi et un fkih lui récite des versets du Coran au creux de loreille. Le fkih mexplique que ce jeune homme est victime de crises épileptiques répétitives et quil trouve son salut chaque fois quil visite Moulay Bouchaïb. Les convives sont bercés par les psalmodies, je ressens un apaisement et une paix intérieure que je navais plus connus depuis bien longtemps. Les personnes défilent, de classes sociales différentes un brassage quon ne retrouve pas partout. Il est 17h, cest lheure de reprendre la route