Il était tapi dans son coin préféré de ce café en face de la mer. Mehdi, mon voisin de table, dont le regard surfait sur le bleu des vagues, au rythme de ces barques accrochées telles des notes de musique sur des portées d'écume blanche, se détourna soudain de son spectacle, intéressé par ce show qui avait lieu à l'autre bout de la salle, pour me bombarder de questions : - Pourquoitant de gens ?
- Pour qui sont-ils venus ? - Qui est ce ? - Qu'est ce qu'elle écrit ?
Mais ce que Mehdi prenait pour un show, était en réalité un café littéraire. Un café que les organisateurs ont jugé bon d'amener vers les gens pour le leur présenter, là où ils se sentent le plus à l'aise, au lieu d'attendre qu'ils viennent vers lui. L'invitée en cette matinée de samedi ensoleillé ne fut autre que Maria ZAKI. De son vivant Abdelkbir Khatibi, romancier et sociologue marocain spécialiste de la Littérature Maghrébine Francophone, a été le premier à pressentir en elle cet oiseau rare. Celle qu'il a mis du temps à chercher pour enfin la trouver, la guider, la conseiller et l'accompagner jusqu'à l'éclosion de son talent. Et s'il avait pu être parmi nous, en cette magnifique matinée printanière, il aurait été fier d'elle et de toute l'étendue du chemin frayé par cette doukkalia comme lui. Maria Zaki est poétesse et écrivaine, née en 1964 à El Jadida. Docteur d'Etat ex-sciences, enseignante universitaire au Maroc puis directrice de recherche et de développement dans l'industrie chimique en France. A son actif : → Cinq recueils de poésie : - Voici défait le silence - Entre ombre et lumière - Et le cheval se relève - Sur les dunes de l'aimance - Soudain les roses pourpres → Et quatre romans et nouvelles : - Histoires courtes du Maroc - Triptyque fantastique - Maktoub (Et autres nouvelles) - La fable du deuxième sexe Dès que Maria ZAKI s'est mise à lire certains passages de ses romans, l'assistance était comme captivée et surtout imprégnée deleur univers fantastique : A l'histoire du masque de Venise, succédait celle de la métamorphose numérique, ou encore le mystère de la bibliothèque… Plus aucune frontière n'existait entre le réel et le virtuel ni d'obstacle entre le possible et l'impossible...
Maria était comme un pilote à bord de sa navette. A travers ses récits, elle nous baladait en nous faisant découvrir, en visite guidée, des univers jusqu'alors méconnus. Grâce à elle nous effectuions autant d'allers-retours que nous voulions en y prenant confiance et goût à ses côtés avec une seule consigne : suivez le guide !
Notre doukkalia nous faisait visiter des décors et des univers si familiers et si proches : El Jadida, Sidi Bouzid, TIT (Moulay Abdellah)…On ne s'en lassait plus. Et à mesure qu'elle nous en donnait, notre appétit s'aiguisait et on en voulait encore et encore. Quant à Mehdi, il était aux anges. Mais à travers ce jeu, l'auteure joue avec son lecteur pour mieux se déjouer de lui l'instant d'après. Elle le traine sur son terrain de prédilection, aux frontières du réel, des tabous, des interdits, des normes, des clichés et de tout ce dont notre société Arabo-musulmane se caractérise, pour tout faire exploser, tout tolérer, permettre ou remplacer et réinventer.
Maria pouvait tout dire, tout combattre, tout se permettre, sans crainte…., ce n'était qu'un moment d'évasion après tout… un rêve. Et lorsqu'elle jugea que nous avions suffisamment vu et admiré, elle prit soin de mettre fin à notre « hypnose » en nous ramenant tout en douceur sur la terre ferme. Notre subconscient se chargea de compléter la vision « « Mesdames et messieurs nous venons d'atterrir, veuillez détacher vos ceintures ».
C'est le moment qu'a choisi Mehdi pour lancer un cri strident. Sur le coup, je croyais qu'il avait fait un mauvais atterrissage, pardon rêve, mais il s'est avéré, un peu plus tard, que c'était tout simplement sa cigarette oubliée, entre ses doigts, qui l'avait brulé.
Blague (réelle) à part, cette chimiste de formation a su être inventive et apporter du neuf à notre littérature. Cette scientifique a jugé que tout n'était pas visible dans notre univers et que l'on se doit de faire appel à l'imaginaire. « Petite, on m'avait parlé des nombres entiers à l'école. Plus tard, ce qui était pour moi l'unique réalité, ne l'était plus, car on s'est mis à me parler des nombres décimaux. Et pour boucler la boucle, c'était plus tard les nombres complexes (une partie relève du réel et une autre de l'imaginaire) ». « On n'invente pas la science, mais le discours de dire la science » KHATIBI.
Voici par ailleurs son poème sur son mentor KHATIBI. Un poème où elle livre un émouvant hommage à celui qui l'a presque créée de toutes pièces : « Dans la nuit soucieuse De notre aimance Inachevable et inachevée Dans la nuit orageuse Plus haute que les marées C'est déjà le rêve ! Mêle-nous à toi Dans les eaux D'un miroir intemporel Entre fulgurance et éclat… »
Avec ses phrases mesurées et l'exactitude de ses termes, Maria était un éblouissement pour les sens et un rayon de soleil. Un rêve ? Non. Maria Zaki était une pure réalité. Son talent ne tardera pas à éclater tel un feu d'artifice, libre de ses mouvements, fier de sa beauté, ivre de bonheur… à la conquête de l'autre… à la conquête de l'univers. Merci et Bravo à Maria, aux Amis du Café Littéraire « El Jadida-Mazagao » pour cette Magnifique évasion.