En pleine réflexion sur la reconduction ou non du dispositif fiscal incitatif dédié aux logements sociaux qui prend fin en 2020, le rapport de la Cour des comptes vient de jeter un pavé dans la marre. Ses conclusions feraient certainement grincer les dents des promoteurs immobiliers. Et pour cause, le rapport conclut l'échec de cette politique, censée pallier le déficit au profit des ménages ne pouvant pas acquérir un logement à travers le marché immobilier conventionnel. La Cour des comptes a en effet constaté une déviation des objectifs des dispositifs de production de logement social lancés respectivement en 2008 et 2010 et qui concernent la commercialisation du produit à 140.000 DH destiné prioritairement aux ménages résidant dans les bidonvilles et les quartiers menaçant ruines. Chiffres à l'appui, concernant les logements à 140.000 DH, sur une production de 21.006 unités, réalisé à fin décembre 2016, seules 6.020 ont été affectées au programme « villes sans bidonvilles » (VSB), et 1.113 au programme de l'habitat menaçant ruine (HMR), soit respectivement 29% et 5%. Alors que la contribution du logement à 250.000 DH à ces programmes reste dérisoire, elle n'a guère dépassé 1,47% de la production totale, avec 494 unités au profit du programme VSB (soit 0,17%) et 3.678 unités au profit du programme de l'HMR (soit 1,3%). Les logements à 140.000 DH ne séduisent plus les promoteurs Le rapport note, en effet, que pour des raisons économiques, les promoteurs se sont plus orientés vers les logements à 250.000 DH, plus avantageux sur le plan financier. « La richesse créée et la marge brute de l'opérateur (hors le coût du foncier) sur le segment de produit à 140.000 DH, et qui s'élèvent respectivement à 63.467,00 DH et à 43.860,00DH, sont nettement inférieures à celles dégagées par le segment de produit à 250.000 DH, à savoir une richesse créée de 157.620,00 DH et une marge brute de 122.850,00 DH », lit-on dans ledit rapport. Autant dire qu'il n'y a pas photo ! A fin 2016, le nombre de conventionnement de ce segment a atteint plus de 1.550.004 unités alors que les réalisations de celui à 140.000 DH sont restées en deçà des objectifs escomptés, soit à peine 17% de l'objectif tracé. Quant au volume global des dépenses fiscales de l'Etat, collectivités locales et établissements publics afférents au type de logement à 250.000 DH, il est estimé à près de 14,9 Mds de DH, alors que celui consacré au produit à 140.000DH ne dépasse pas 574,80 MDH. Ainsi, pour chaque unité à 250.000 DH produite et ayant reçu le certificat de conformité, la contribution publique est de près de 84.368,12 DH, contre 40.136,86DH pour chaque unité à 140.000DH. Ce qui explique l'engouement des promoteurs immobiliers pour le segment 250.000 DH. Et pourtant, d'après les résultats de « l'enquête logement 2012 », l'essentiel des besoins en logements se situe au niveau du segment de logement à 140.000 DH. L'intérêt général ? Connaît pas ! A qui profite le foncier public ? Autre point soulevé par la Cour, et pas des moindres, celui relatif au foncier public mobilisé pour atteindre les objectifs fixés. Le rapport note que depuis 2003, le total du foncier public cédé à la Holding Al Omrane (HAO) et aux autres opérateurs publics a atteint 7.664 Ha. «Dans le cadre de ces partenariats, ayant bénéficié à la fois de prix préférentiels, ainsi que de conditions favorables de péréquation, il a été convenu la construction de 184.061 unités, dont 69.954 à 250.000 DH et 31.542 à 140.000 DH, soit un total de 101.496 unités », soulève le rapport. En d'autres termes, 45% des logements à construire sur le foncier public mobilisé cédé aux partenaires, sont des logements autres que sociaux. Or, il n'a été réalisé que 68.048 unités de logement social, dont 53.828 à 250.000 DH et 14.220 à 140.000 DH sur une superficie de 823 Ha, soit 83 unités de logement social pour chaque hectare cédé. C'est dire que nous sommes très loin des objectifs fixés, que les promesses de l'Etat ont été tenues alors que les promoteurs n'ont pas rempli leur part du marché. Tenant compte de ce constat, l'objectif tant attendu par les promoteurs immobiliers concernant la reconduction des dispositions fiscales serait-il compromis ? Il faudra attendre la fin du programme pour avoir plus de visibilité comme l'avait précisé ministre de l'Habitat, Abdelahad Fassi-Fehri, pour pouvoir établir une évaluation, dresser un bilan et décider de la reconduction ou non des mêmes incitations fiscales. Sachant pertinemment qu'en deux ans et vu la crise que connaît le secteur, il serait miraculeux d'inverser la tendance actuelle.