Déçus auront été ceux qui s'attendaient à voir M. Benmoussa se présenter vêtu d'un chapeau long. La commission spéciale n'a pas été mandatée non plus pour frotter la lampe magique du développement afin que soient exhaussés les vœux des Marocains. Il suffisait qu'elle allume la lueur d'espoir qui leur redonne envie de se remettre au travail, tous ensemble, très vite. « La complexité croissante du monde et les défis auxquels le Maroc se trouve confronté rend urgent d'apporter des réponses qui ne renvoient pas à un nouveau diagnostic et une nouvelle stratégie d'ordre technique comme l'ont fait déjà de nombreux rapports, mais à une nouvelle méthode de développement »[1]. « Travaillons ! », c'est la formule logique qui ressort du rapport de la CSMD, « voici une méthode et les grandes priorités ! ». La méthode est assise sur une doctrine et des principes qu'il faudra lire, assimiler, critiquer, bien évidemment, de manière constructive, idéalement ! Des voix sont attendues en priorité : * en raison de la centralité de certaines questions soulevées par la CSMD, celles de nos politologues et de nos parlementaires ; * eu égard aux échéances électorales très proches, celles des partis politiques ; * et parce que le calendrier d'introduction du projet de loi de finances 2022 arrive dans quelques semaines, celle du Gouvernement. Nos politologues, d'abord, devraient commenter, entre autres, la proposition de la CSMD consistant en la conclusion d'un Pacte National pour le Développement pour que l'Etat puisse retrouver les attributs qui le vouent à être visionnaire et stratège. La commission traite de politique et de système constitutionnel. Elle rappelle les rôles respectifs de Sa Majesté le Roi et du Chef du Gouvernement : « Le Gouvernement, émanation de la majorité issue des urnes, est responsable de l'élaboration de son programme gouvernemental, qui fait l'objet d'un vote de confiance du Parlement, et de son déploiement opérationnel, en alignement avec les orientations royales ». Nos spécialistes du droit constitutionnel et des sciences politiques devront trouver le moyen d'imprégner l'action de l'Etat de la culture de l'évaluation dont la CSMD recommande le renforcement : « l'évaluation des stratégies, des politiques publiques et des programmes doit être rendue systématique, autant dans une démarche de responsabilisation des décideurs que dans une démarche d'amélioration et d'ajustement de l'action au regard des résultats ». Comment agencer et harmoniser la nécessité incontestée et incontestable d'une « vision stratégique portée par le Chef de l'Etat », d'une part, avec les exigences de « la multiplication des évaluations des politiques publiques, et leur diffusion systématique auprès de l'opinion publique afin d'alimenter le débat sur les choix de politique publique », d'autre part ? Les rendus de la CSMD pourraient très pertinemment être sujets à une lecture commentée de la part de nos parlementaires, pourquoi pas dans le cadre d'une commission ad-hoc afin de lui donner un supplément de souffle politique. Mais pas l'actuel Parlement, plutôt le prochain, qui devrait commencer par implémenter les propositions de la CSMD dans ses règlements intérieurs, en instituant notamment des instances de suivi des recommandations, surtout celles concernant le travail parlementaire. Le prochain Parlement devra se positionner fermement dans son rôle d'évaluateur des politiques publiques d'une part et devra aussi se donner les moyens d'une meilleure efficacité législative d'autre part. Les programmes des partis politiques pour les élections de septembre prochain seront-ils suffisamment imprégnés des propositions de la CSMD ? De toute vraisemblance, ce devrait être le cas. Nous devrions, contrairement à l'accoutumée, assister à des débats partisans intéressants, comportant des choix de priorités cohérents avec l'idéologie de chaque parti, proposant aux électeurs des programmes différenciés. Les rendus de la CSMD obligeront tous ceux qui les exploiteront à s'exprimer sur des questions fondamentales qui requièrent des arbitrages inévitables au cœur desquels s'érige la problématique du financement et de ses sources. Il est question dans le rapport sur le NMD d'endettement, d'impôt de solidarité sur le patrimoine non productif, de contributions sociales sur les hauts bénéfices et les hauts revenus. Se pose le problème de la soutenabilité dans des proportions dignes d'un plan Marshall : « Selon les évaluations préliminaires, il est estimé que les réformes et projets proposés dans le NMD nécessiteront des financements publics additionnels de l'ordre de 4 % du PIB annuellement en phase d'amorçage (2022-2025) et de l'ordre de 10 % du PIB en rythme de croisière à l'horizon 2030 »[2]. Les partis politiques ne pourront pas présenter des programmes électoraux dignes de ce nom s'ils ne se donnent pas la peine d'en préciser les coûts. Ils devront s'appuyer sur leurs économistes afin de préciser dans leurs programmes leur vision de la manière avec laquelle ils comptent donner consistance à l'hypothèse avancée par la CSMD selon laquelle « un amorçage réussi permettra de générer une dynamique positive permettant au NMD de s'autofinancer partiellement, en contribuant à l'accroissement des ressources ». Il ne serait pas surprenant non plus que des partis politiques contestent les recommandations du NMD et en proposent d'autres qu'ils estimeraient prioritaires ou plus pertinentes. Cela enrichirait le débat et animerait favorablement la vie politique et le jeu démocratique. Le Gouvernement et son département des finances devront affiner les estimations des besoins de financement en priorité pour les postes budgétaires de dépense les plus importants[3], l'éducation[4] et la santé[5], érigés par la CSMD comme conditions fondatrices, dont le développement passe par le renforcement des capacités et de l'encadrement humains. Ce sont là deux priorités du NMD qu'il sera difficile pour un programme électoral de contester ou de décaler dans l'ordre des urgences. Nous pouvons penser très valablement que la Loi de Finances 2022 pourrait amorcer la mise en application des recommandations de la CSMD concernant ces deux grands chantiers. Dans le budget de 2021, les dépenses du personnel sont de 48 milliards de dirhams pour le département de l'éducation nationale et de 10,5 milliards de dirhams pour celui de la santé, soit environ 5% du PIB pour les deux cumulés. Si les recommandations concernant ces volets sont adoptées par le Gouvernement actuel, le projet de loi de finances 2022 pourrait commencer à mettre en application la recommandation financière majeure consistant à « rompre, du moins momentanément, avec les règles macroéconomiques contraignantes, tout en veillant à la soutenabilité financière à moyen terme nécessaire au maintien de la confiance des acteurs économiques »[6]. Les rendus de la CSMD se prêtent à plusieurs lectures possibles. Certains les contesteront alors que d'autres les applaudiront. Mais ils auront au moins le mérite d'alimenter la vie politique avec des propositions qui ne manqueront pas d'arrimer le débat et l'action concernant les stratégies et les politiques publiques aux objectifs identifiés et priorisés par la commission. Le débat devra se poursuivre. Mais certaines voix devraient être entendues au plus vite afin que la dynamique du travail collectif puisse être enclenchée sans délai, pour que les citoyens marocains commencent à voir s'éclaircir l'horizon 2035. Par Mohammed Mesmoudi, Docteur en droit et chercheur en politiques publiques [1] Rapport général, p. 21. [2] IDEM, p. 154 [3] « Une politique budgétaire alignée aux objectifs du NMD, actant les réallocations nécessaires au financement des chantiers transformateurs. Cela passe notamment par une priorisation de l'allocation des ressources vers le capital humain... » Rapport général, p. 155 [4] « Investir dans la formation et la motivation des enseignants pour qu'ils deviennent les garants des apprentissages. La qualité d'un système éducatif ne peut dépasser le niveau de ses enseignants. Pour réussir sa renaissance éducative le Maroc doit impérativement valoriser son corps enseignant, rehausser son niveau de compétences, l'encadrer par des normes professionnelles rigoureuses, et rendre le métier d'enseignant et son statut plus attractif pour les meilleurs étudiants ». Rapport général, p. 105 [5] L'objectif est d'atteindre une densité de personnel soignant de 4,5 pour 1000 habitants en 2035 contre 2 pour 1000 actuellement. Cela correspond, en moyenne, à 3.600 médecins et 7.100 infirmiers formés annuellement » Rapport général, p. 114 [6] IDEM, p. 155