Ecrit par Soubha Es-Siari I Le Maroc se prépare à lancer un grand emprunt national à un moment où l'épargne disponible peine à financer l'investissement et ce pour une foultitude de raisons (fiscalité, absence de produits diversifiés, pouvoir d'achat…), En dehors de ce qui est annoncé dans la Loi de Finances 2021 notamment l'exonération des intérêts perçus par les particuliers qui vont participer à ce grand emprunt, rien ne filtre pour le moment. Dans quelles conditions va se faire l'emprunt ? A quoi correspond-il ? Valeur aujourd'hui aucun supplément d'informations ne circule à ce sujet. On nous apprend que des concertations sont en cours avec les acteurs concernés mais pas plus. D'où vient cet argent si on part du fait qu'en 2020, dans un contexte de crise sanitaire, l'Etat a joué au sapeur-pompier en distribuant du cash aux populations lésées. En 2021, c'est l'opération inverse qui aura lieu, l'argent privé va couler dans les caisses de l'Etat. Lire également : Emprunt national : Attention à l'effet d'éviction sur l'épargne ! Tout en étant dans l'attentisme, les gestionnaires de fonds notamment les banques en déficit de liquidité appréhendent une réorientation de l'épargne vers les titres étatiques suite à l'incitation fiscale dont ils vont bénéficier et donc sont mieux rémunérateurs. A rappeler que dans le patrimoine financier des ménages, les dépôts bancaires se taillent la part du lion soit plus de 80%. Aujourd'hui, dans un contexte marqué par les taux bas, ils craignent l'effet cannibalisation de l'emprunt national. Tout compte fait, les banquiers doivent reconnaître que la culture d'investir dans les bons de trésor n'est pas ancrée chez les marocains. C'est plus réservé aux institutionnels. Pour cet emprunt national, il va de soi que l'Etat s'adresse aux mêmes. Ceux-là même ayant bénéficié à deux reprises de l'amnistie fiscale pour déclarer leurs dus. C'est ce qui pousse certains analystes à annoncer que pour réussir ce grand emprunt, l'Etat doit inclure la clause de l'amnistie. C'est pour dire que l'Etat n'a pas à enquêter sur l'origine des fonds. Les appréhensions des banques sont nourries par le taux rémunérateur du compte d'épargne qui reste très dérisoire et n'encourage pas l'épargne. Et donc les titres étatiques peuvent constituer un bon filon pour les particuliers souhaitant épargner. Mais encore faut-il savoir de qui parle-t-on ? De cette frange de la population que l'Etat a essayé d'amadouer à deux reprises par l'amnistie fiscale. L'autre frange de la population qui paie ses impôts arrive difficilement à joindre les deux bouts. Interrogé sur l'impact de l'emprunt national sur l'épargne gérée par les compagnies d'assurance, un assureur répond : « ma conviction c'est qu'il peut y avoir un effet de cannibalisation à court terme mais l'économie fonctionne toujours par répartition. Il n'a y a pas de cloisonnement, de silos entre les différents pans de l'économie. Il y a une transversalité qui se crée ». Il corrobore ses propos par l'exemple du lancement des OPCVM, un moment où les opérateurs craignaient un impact sur les dépôts bancaires. Les deux se sont développés parallèlement. Notre assureur est confiant et estime que s'il y a un phénomène, il ne peut être que temporel dans le temps. En réveillant ce vieux démon qu'est l'emprunt national, le Maroc reconnait que les finances publiques sont sous pression. Elles le sont à un moment où le Maroc se trouve sur plusieurs fronts notamment la relance post-crise, l'élargissement de la protection sociale ou encore la création de l'emploi et l'amélioration du taux de chômage ayant atteint des niveaux inexorables. L'opération serait-elle couronnée de succès si l'on prend en considération que pendant la période des vaches maigres, la thésaurisation est le cadet des soucis notamment des ménages ? Depuis plusieurs années, le taux de l'épargne nationale emprunte un trend baissier créant un biais de plus en plus important avec le taux d'investissement. Il suffit de soustraire les transferts des Marocains résidents à l'étranger pour se rendre compte que l'épargne des ménages oscille autour de 14% de leur revenu disponible brut. On ne cessera jamais de le dire le Maroc a besoin d'une transformation structurelle de son économie pour créer durablement des richesses, revoir son système fiscal, lutter contre l'informel... Autrement, il continuera de verser de l'eau sans boucher les trous du sceau.