Ecrit par S. Es-Siari | D'année en année, le hiatus entre l'épargne intérieure et l'investissement s'élargit. 2021 ne fait pas l'exception. Pour un taux d'investissement de 30,4% du PIB, le taux d'épargne prévu n'est que de 22,1% du PIB. Bien que la confiance des ménages soit plus stable au quatrième trimestre de l'année écoulée, la lecture entre les lignes de certains indicateurs économiques laisse entrevoir que l'exercice 2021 ne serait pas de tout repos notamment pour les ménages. En s'attardant sur le ressenti des sondés par l'équipe d'Ahmed Lahlimi quant à l'évolution du chômage, force est de constater que 85% contre 6,7% des ménages s'attendent à une hausse au cours des 12 prochains mois. C'est pour dire que le spectre de la pandémie plane toujours sur une population qui craint ouvertement pour son emploi voire ses revenus mensuels. Ils sont plus de 73% à considérer que le moment n'est pas propice pour effectuer des achats de biens durables. D'ailleurs pour joindre les deux bouts et couvrir les charges régulières, les ménages s'endettent ou puisent dans l'épargne pour ceux qui en disposent. Ils sont très rares à se permettre le luxe d'épargner dans ces moments de disette. Et pour cause, d'après l'enquête menée par le HCP, presque la moitié de l'échantillon sondé considère que la situation financière s'est dégradée au cours des douze derniers mois. Seuls 1⁄4 d'entre eux anticipent une amélioration de leur situation financière. A partir de ce constat reflétant la faible propension à épargner des ménages, il est illusoire de s'attendre à une épargne conséquente au cours de l'exercice prochain. Une situation exacerbée par la poursuite de la pandémie et les incertitudes qu'elle induit. Investissement vs épargne : le gap se creuse Sur le plan macroéconomique, dans un contexte marqué par la crise sanitaire le taux d'épargne intérieure tel que prévu par le HCP dans son budget prévisionnel se situerait à 22,1 % du PIB en 2021 vs 21,7 % en 2020 ( 23,3% en 2019). Un taux qui faut-il reconnaitre reste bon an mal an à des niveaux très moyens par rapport à d'autres pays à développement comparable. Il reste en parallèle à des niveaux nettement inférieurs à celui de l'investissement qui s'est établi en 2020 à 29,2% du PIB. Il se situerait à 30,4% du PIB en 2021. Le taux d'épargne prévu pour la même année est de 22,1% du PIB. Un simple calcul nous permet de dire qu'au moment où l'investissement devrait augmenter de 4,1% (de 29,2% à 30,4% du PIB) de 2020 à 2021, celui de l'épargne ne progresse que de 1,84% (de 21,7% à 22,1% du PIB). Le gap persistant entre l'épargne intérieure et l'investissement se traduit ipso facto par le recours en permanence aux capitaux étrangers pour financer le besoin d'investissement. A ce titre, il est utile de rappeler que le lien existant entre l'épargne et l'afflux des capitaux étrangers fait toujours office de débat. Deux thèses s'affrontent : selon la première, les capitaux extérieurs permettraient de réaliser les investissements que l'épargne intérieure ne peut réaliser. C'est le principe de complémentarité. La seconde prétend que les capitaux extérieurs se substitueraient à l'épargne intérieure qui aurait donc tendance à fléchir. L'effet sur la croissance serait donc nul et les influences à long terme seraient négatives puisque les comportements de l'épargne auraient été affectés. C'est l'effet de substitution. Quelle que soit l'approche adoptée ou retenue, le Maroc a intérêt à développer son épargne intérieure et ne pas être trop dépendant des capitaux étrangers pour couvrir ses besoins en investissements. D'autant que les capitaux étrangers prennent souvent la forme d'une aide liée qui permet aux pays donateurs de servir leurs intérêts politiques, économiques ou stratégiques. La pandémie qui délabre aujourd'hui l'épargne intérieure n'est que l'arbre qui cache la forêt. Depuis belle lurette, nous avons fait le constat que d'année en année, l'épargne intérieure se détériore et que sa mobilisation et son orientation vers la formation du capital représente le moyen le plus approprié pour parvenir à une croissance à même de faire adhérer le Maroc au cercle des pays émergents. Mais tant qu'il n'y a pas une forte volonté politique pour changer de paradigme, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Aujourd'hui, il est question même, pour assurer la relance et réaliser le projet d'envergure nationale de protection sociale, de lancer un emprunt national empreint d'une exonération fiscale des intérêts perçus pour garantir son succès. Il s'agit en quelque sorte d'une dette du Trésor souscrite en sus des institutionnels par tous les Marocains. Ces mêmes Marocains qui arrivent difficilement à joindre les deux bouts seraient-ils charmés par la carotte fiscale pour y souscrire. Comme dit l'adage: « la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a ».