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[Entretien] Hydrocarbures/La Samir : les dessous de 2 dossiers chauds avec Aziz Rabbah
Publié dans EcoActu le 09 - 03 - 2021


Interviewé par Lamiae Boumahrou |
Plafonnement des prix des hydrocarbures, entente sur les prix, renationalisation de la Samir…, autant de dossiers polémiques et stratégiques qui n'avancent quasiment pas et que le gouvernement entoure d'un grand silence laissant en suspens plusieurs questions. Des questions que nous avons posées au ministre de l'Energie, des Mines et de l'Environnement, Aziz Rabbah, qui pour la première fois s'exprime sur cette actualité brûlante.
EcoActu.ma : Bien que le dossier des hydrocarbures soit entre les mains de la commission ad hoc nommée par SM le Roi pour tirer au clair la confusion qui entoure ce dossier et les versions contradictoires présentées par le Conseil de la concurrence, force est de s'interroger sur le silence radio du gouvernement sur ce dossier. La question qui s'impose pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas appliqué l'article 4 de la Loi sur la liberté des prix et de la Concurrence ?
Aziz Rabbah : L'article 4 de la loi 104.12 sur la liberté des prix et de la concurrence permet à l'administration de prendre des mesures temporaires contre des hausses ou des baisses excessives de prix, motivées par des circonstances exceptionnelles. La durée d'application de ces mesures ne peut excéder six (6) mois prorogeables une seule fois par l'administration.
Actuellement, on n'est plus dans ce cas de figure. Je pense qu'il faut attendre les conclusions de la commission ad hoc nommée par SM le Roi sur ce dossier avant que le gouvernement ne statue sur le plafonnement ou non des prix des produits pétroliers liquides.
Par ailleurs, j'ai toujours défendu la nécessité de mettre en place un système de régulation pour tout le secteur des énergies et des mines au Maroc. Nous avons décidé de réguler le secteur de l'électricité mais il est impérieux d'y inclure également le gaz et les hydrocarbures.
Nous avons certes un Conseil de la concurrence qui veille sur le respect des règles de concurrence dans le marché. Néanmoins, une Autorité nationale de régulation de tout le secteur est impérative. Aujourd'hui, il y a un débat sur la reconversion de l'Autorité Nationale de Régulation de l'Electricité (ANRE) en Autorité de régulation de l'énergie d'une manière globale.
D'ailleurs nous avons ajouté dans le projet de loi N°94-17 relative au secteur du gaz naturel la possibilité que ladite Autorité se charge également de la régulation du gaz naturel.
Soumettre les hydrocarbures au dispositif de régulation de l'ANRE permettra d'accompagner ce secteur vers une maturité concurrentielle. L'ANRE pourra veiller notamment sur le partage d'accès aux infrastructures de stockage et de réception moyennant un tarif d'accès qui doit être équitable, non discriminatoire et orienté vers les coûts.
En attendant une décision sur les prix des hydrocarbures, les compagnies pétrolières continuent de réaliser des bénéfices sur la vente des hydrocarbures que beaucoup estiment illégitimes et immorales dépassant le seuil des 38 Mds de DH (compte non tenu des profits réalisés sur le kérosène, le fuel et l'asphalte). Comment expliquez-vous cela ? Le gouvernement n'a-t-il pas cédé aux lobbies des sociétés pétrolières notamment dans le plafonnement des prix ?
Les prix des produits pétroliers sont libres. Chaque société fixe librement son prix de vente selon sa politique commerciale. Le marché des hydrocarbures est un marché qui compte un nombre assez important d'opérateurs laissant indiquer qu'ils fonctionnent de manière concurrentielle.
Cependant des études ont été menées par les institutions nationales qui se sont penchées sur la question que ce soit le Conseil de la concurrence à travers son avis publié en février 2019 ou bien le Parlement à travers la commission parlementaire qui a mené une mission en 2018 concernant les prix des produits pétroliers liquides. Ces instances ont émis un certain nombre de recommandations.
Le ministère de l'Energie, des Mines et de l'Environnement a pris en considération ces recommandations et a lancé la mise en œuvre de celles qui incombent à ses prérogatives. Et je peux vous assurer que les impacts positifs sur le secteur commencent à se faire sentir.
Donc je ne cède à aucun lobby dans l'exercice de mes fonctions et je ne sens pas cette pression que vous évoquez.
Preuve en est, nous avons procédé à la simplification des procédures pour encourager de nouveaux opérateurs. Au cours de la période 2018-2020, de nouvelles sociétés ont été autorisées pour l'importation et la distribution.
Nous avons également préparé un projet d'amendement de la loi pour encourager les investissements dans les infrastructures de stockage. Cela permettra aux opérateurs d'accéder au stockage qui figure parmi les barrières d'accès au marché pétrolier intérieur ou international. Et pour cause l'investissement dans ce segment nécessite la mobilisation de ressources financières et logistiques importantes.
Tout cela va contribuer à créer une nouvelle dynamique dans le marché et renforcer davantage le fonctionnement concurrentiel du marché pétrolier au profit du consommateur marocain.
De plus le ministère travaille sur la révision du système de contrôle de qualité et de traçabilité des produits pétroliers pour renforcer la protection des droits économiques du consommateur.
Concernant les opérations et les comportements des opérateurs dans un marché censé être libre, le Conseil de la concurrence est l'institution qui est habilitée d'assurer la transparence et l'équité dans les relations économiques, notamment à travers l'analyse et la régulation de la concurrence sur les marchés, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles et des pratiques commerciales déloyales.
Nonobstant, toute réforme engendre forcément son lot de débats, de discussions et d'échange entre les différents acteurs aussi bien publics que privés.
Une question s'impose et qui a fait l'objet d'un projet de loi présenté par plusieurs partis politiques et syndicats devant le parlement : le retour à la compensation des hydrocarbures est-il envisageable ? Sinon, ne faut-il pas revoir les conditions de cette libéralisation pour plus de transparence et une meilleure régulation du marché ?
Il y a lieu de rappeler qu'avant la levée de la subvention des produits pétroliers liquides en 2014, la charge de la compensation atteignait des niveaux alarmants passant respectivement de près de 4 Mds de DH en 2002, 49 Mds de DH en 2011 et 56 Mds de DH en 2012.
Les produits pétroliers s'accaparaient la plus grande part des dépenses de subvention avec plus de 86% du montant total. La part du budget dédié à la compensation dans le PIB est passée de 1% en 2003 à 6,5% en 2012.
Le plan de réforme du système de compensation, engagé par le gouvernement en 2012, visait la maitrise de l'évolution de la charge de compensation en vue d'alléger son impact sur le Budget de l'Etat tout en générant des ressources financières.
Des ressources qui pourraient être allouées à l'investissement, à la création de l'emploi, au développement des territoires et aux services sociaux, à l'amélioration du système de protection sociale, ainsi qu'à l'accompagnement des secteurs compensés vers une libéralisation.
Cela bien entendu en encourageant la concurrence dans les marchés de ces secteurs, en sauvegardant le pouvoir d'achat des citoyens et en prenant des mesures pour la protection des couches sociales vulnérables.
L'Etat envisage actuellement le soutien direct aux populations, c'est l'objet de la loi créant un registre national unifié et un registre national pour la population dont le but est de définir les groupes cible afin de leur permettre de bénéficier du soutien nécessaire.
En effet, ce projet est supposé être une réponse de l'Etat à la fois à la problématique de ciblage des ménages à faible revenu qui doivent bénéficier des programmes des subventions publiques et à celle de la fragmentation du système de protection sociale, caractérisé par des chevauchements et des dysfonctionnements.
La renationalisation de la Samir a également fait l'objet d'un projet de loi déposé par les partis politiques et les syndicats. Un projet rejeté par le gouvernement le 5 février sans donner aucune explication. Comment justifiez-vous cela ?
La société Samir fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire décidée par le jugement rendu le 21 mars 2016 par le Tribunal de Commerce de Casablanca tout en autorisant la poursuite des activités de la société.
Le Tribunal acte la liquidation judiciaire, le 30 janvier 2017, par la mise en vente des actifs de la SAMIR, y compris les unités de production, autorisant le Syndic à recevoir les offres d'achat de la raffinerie. Lesdites offres doivent inclure toutes les données techniques et financières ainsi que les garanties prévues pour l'exécution de l'offre soumise.
L'aboutissement du dossier SAMIR dépend de la décision du Tribunal de Commerce de Casablanca dans le cadre cette procédure de liquidation.
Par ailleurs, je dois signaler que notre pays dispose de toutes les conditions réglementaires et logistiques pour accueillir tout investissement en raffinage et industrie pétrochimique pour le marché national et l'export.
Je tiens à préciser aussi, que nous avons œuvré pour que les 6 filiales de la Samir puissent continuer à fonctionner.
En juin 2020 le gouvernement avait décidé d'autoriser l'utilisation des réservoirs de La Samir par l'Office National des Hydrocarbures et des Mines (ONHYM). 7 mois plus tard, le contrat définitif n'a toujours pas été conclu. A quoi attribuez-vous ce retard ?
Pour louer les réservoirs appartenant à la société SAMIR, l'Etat marocain a dû déposer une demande auprès du Tribunal de Commerce de Casablanca. Le but de l'utilisation de ces réservoirs est de renforcer la sécurité d'approvisionnement du pays en rehaussant le niveau des stocks de sécurité en produits pétroliers d'une part, et d'autre part, pour maintenir les activités économiques et commerciales de l'entreprise conformément au jugement de liquidation de la société rendu le 21 mars 2016.
Le juge commissaire a autorisé, en mai 2020, le Syndic désigné dans la procédure de la liquidation de la société SAMIR, à louer les bacs de stockage de l'entreprise à l'Etat marocain ou à celui qui le représente. C'est l'Office National des Hydrocarbures et des Mines (ONHYM) qui a été désigné comme représentant de l'Etat et par là de conclure le contrat de location desdits bacs.
Toutes les parties prenantes s'activent pour assurer toutes les conditions nécessaires pour la mise en œuvre du jugement relatif à l'utilisation des réservoirs SAMIR. Une consultation juridique est en cours pour bien maitriser tous les éléments de ce projet.
Deux projets de loi relatifs à la cession des actifs de la société La Samir à l'Etat marocain et l'autre à la régulation des hydrocarbures ont été déposés par certains partis politiques au Parlement. Pensez-vous que ces projets puissent aboutir ?
Après l'arrêt de de la raffinerie Samir en août 2015, le dossier de la société Samir a connu plusieurs rebondissements, jusqu'à ce que le dossier soit transféré devant la justice. Le 21 mars 2016, le Tribunal de Commerce de Casablanca acte la liquidation judiciaire de la société tout en l'autorisant à poursuivre ses activités.
Le 30 janvier 2017, le Tribunal décide la mise en vente des actifs de la Samir, y compris les unités de production, avec autorisation pour Syndic de recevoir des offres d'achat de la raffinerie. Lesdites offres doivent inclure des données relatives à l'activité, au financement, au prix de la cession, un calendrier de réalisation, les perspectives de fonctionnement, et les garanties prévues pour l'exécution de l'offre soumise. Ce processus de liquidation de la société « SAMIR » est en cours. Tout repreneur sera le bienvenu.
Le rôle du gouvernement est de sécuriser l'approvisionnement du marché, garantir la concurrence, encourager l'investissement privé et contrôler la qualité.


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