Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
Modèle de développement marocain : Comment neutraliser les germes de l'échec Modèle de développement marocain : Comment neutraliser les germes de l'échec
Le modèle économique a été passé à la loupe lors d'une journée d'étude organisée par la Faculté des sciences juridiques, économique et sociales-Souissi. Une pléiade d'économistes sont intervenus tour à tour pour éluder les principales causes des limites du modèle actuel et surtout proposer des pistes alternatives pour renouer avec le développement et répondre aux aspirations des Marocains. La Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales-Souissi, a organisé une journée d'étude sous le thème « Maroc : Le modèle économique en question ». Une occasion singulière pour analyser cette question qui occupe l'opinion publique marocaine, sous le prisme du monde académique. En effet, cette rencontre a été l'occasion de réunir une pléiade d'éminents économistes pour plancher sur cette épineuse question : comment bâtir un modèle économique qui tient à la fois des attentes de la population et de la spécificité du Maroc, tout en l'inscrivant sur la voie du développement. Pour planter le décor de cette journée studieuse, Professeur Mohammed Akaaboune, a rappelé que le modèle économique du Maroc, comme c'est le cas de nombreux pays en développement, tire l'essentiel de sa substance du Consensus de Washington. Ce consensus a mis l'accent sur la nécessité pour les pays concernés de renforcer les règles de l'économie de marché. Pour résumer l'essence du Consensus de Washington, Pf Akaaboune distingue entre deux types de mesures. Les premières de stabilisation découlent de la discipline budgétaire, notamment l'encouragement de l'épargne et la lutte contre la fuite des capitaux et une compétitivité du taux de change. Puis les mesures structurelles, notamment la libéralisation du commerce, la suppression des barrières tarifaires, la réforme fiscale, l'égalité des chances entre les investissements étrangers et les investissements locaux, la privatisation, la déréglementation pour réduire la bureaucratie et lutter contre la corruption, enfin le droit de propriété comme gage de stabilité pour l'investissement et de lutte contre l'informel. Résultat des courses, les pays ayant respecté ces règles n'ont pas atteint la performance souhaitée. A contrario, des pays comme l'Inde qui ont plutôt opté pour une politique d'hétérodoxie économique ont pris la voie du développement. Dans ce sens Stieglitz a été très critique envers le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM), considérant que cette orthodoxie que ces institutions édictes sont archaïques, ne tiennent pas compte ni des spécificités des pays ni des effets sur les populations qui n'y adhèrent pas ces politiques n'étant pas discutées en interne. Face à ces critiques, l'orthodoxie estime qu'il ne s'agit pas de l'échec du Consensus de Washington mais l'incompétence de ces pays à appliquer les mesures qu'il édicte. Pour le cas du Maroc, les analyses convergent vers l'insoutenabilité du modèle actuel. Akaaboun cite les recherches de l'OCDE, de la BM mais aussi du Centre marocain de conjoncture qui révèle que 97,5 % des patrons sont unanimes que le modèle du Maroc a atteint ses limites. Mais quelle alternative ? Une question bien complexe estime Ahmed Azirar, puisque la dimension économique n'est qu'un aspect de ce modèle et cette complexité s'accentue avec ce qu'il appelle le Diktat de l'actualité : Hirak, Boycott qui symbolisent l'émergence d'une nouvelle opinion publique. Pour cet économiste, il s'agit d'un problème socio-anthropologique d'un Maroc en mutation sociale rapide. Avant de réfléchir à l'alternative, Ahmed Azirar souligne l'importance de bien comprendre le contexte actuel : « Sous l'effet démographique, technologique et économique, il faut analyser quels sont les moteurs de changement face à de nouvelles hiérarchies qui émergent et s'institutionnalisent. Il faut observer ces changements socioculturels mais pas uniquement sous le prisme économique ». L'intervenant souligne que se pose alors la question majeure : Quid de la gestion du changement ? Notamment face à une transition démographique, le Maroc est au top de la force de sa jeunesse et population active. Un atout à ne pas louper mais qui intervient dans un contexte marqué par un taux de chômage alarmant. D'ailleurs, Ahmed Azirar s'arrête quelques instants sur un chiffre qui fait froid dans le dos révélé par le Haut-commissariat au Plan : 1,5 million de jeunes sont hors circuit, ils ne sont ni en formation ni à la recherche d'emploi. Autre élément de cette dynamique de transition est l'urbanisation. Une transformation qualitative fort importante puisqu'avec un taux d'urbanisation de 60%, le Maroc est devenu une société plutôt d'urbains, qui compte l'un des taux d'analphabétisme le plus important, 10 millions d'individus. Une société mutant avec des revendications diverses. Quelle gestion du changement ? Ahmed Azirar rappelle dans ce sens que la Constitution de 2011 fait écho aux revendications du Mouvement du 20 février, mais depuis le Maroc est challengé par les « stop and go » en matière démocratique ce qui pose les problèmes de visibilité et de lisibilité. « D'autant qu'au plus haut niveau de l'Etat on reconnaît que ce modèle est essoufflé. Cela pose avec acuité le bien fondé des revendications sociales ». Il fait remarquer un fait inédit au Maroc : l'opinion publique accepte la pauvreté mais pas l'inégalité. Ce qui pose la question de la gestion de l'Etat dans les moyen et long termes. D'autant plus que nous sommes face d'un côté, à une société en mutation, une population qui exprime de nouveaux besoins, une jeunesse qui ne veut pas que manger mais s'accomplir, une pyramide de Maslow inversée ... et de l'autre coté, toutes les institutions de médiation en crise. « Nous sommes en présence de rapports de pouvoir stagnants... Il faut voir l'âge des médiateurs sociaux, notamment les partis face à une société plus jeune et féminisée et à une opinion en affirmation dont les principaux faiseurs d'opinion tacticiens qui ne cherchent pas la confrontation », analyse Ahmed Azirar avant de s'intéresser à la posture des acteurs. Notamment l'Etat en contrôle intégral « strict » mais qui se pose des questions comme le révèle son projet de formation des agents d'autorité de nouvelle génération. L'économiste note également l'absence d'une démocratie territoriale ce qui explique quelque part des revendications au niveau des territoires, le cas du Hirak du Rif ou encore les manifestations à Jerada. De tous les autres acteurs, deux importants sont véritablement en recul. D'abord les partis politiques, pointés du doigt pour leur opportunisme, populisme et flou idéologique. Pf Azirar évoque même une « Saba » électorale où les diplômés sont au service de candidats incultes... Autre posture qui sanctionne le Maroc est l'élite intellectuelle, notamment les universitaire, qui a battu en retraite et a sérieusement reculé dans l'échelle sociale. Quelle communication existe-t-elle encore entre les différents acteurs de la société ? Et de ce fait comment se fait la gestion de crise ? Le boycott lancé depuis avril dernier a dévoilé la faible marge de manœuvre dont dispose le pays face à la crise et l'absence de médiation politique. Il n'y de ce fait plus de coussin ou disons d'Airbag entre l'Etat et la masse populaire. De l'échec non pas du mais des modèles de développement du Maroc Pour sa part, Said Dkhissi, économiste et ancien doyen de la FSJES-Souissi, a axé son intervention sur les principales causes de la non soutenabilité non pas du modèle mais des différents modèles adoptés par le Maroc, qui ont tous abouti aux mêmes résultats : faible résultat, rythme irrégulier de la croissance, injustices sociales... « C'est qu'il y a des facteurs structurels profonds qui mènent tous à ces mêmes résultats. Comment agissent-ils sur la dynamique sociale, économique, culturelle... ? Et surtout comment les neutraliser » ?, s'interroge Pf Dkhissi. Parmi les nombreux facteurs d'échec qui ont mené à la situation actuelle, l'économiste préfère se concentrer sur deux : L'emprise des idéologies despotiques sur la société et la forte asymétrie de l'insertion économique du Maroc dans le monde. En plus de contrôler tout processus de développement, elles se servent du pouvoir absolu considérant les membres de la société comme des mineurs sur lesquels il faut exercer une tutelle permanente. La religion qui relève de la sphère spirituelle devient un instrument de légitimation ou de conquête du pouvoir, imposant ainsi un référentiel culturel sur l'Afrique du Nord alors qu'elles viennent de l'extérieur, c'est en sus ce qu'avance le Pf Dkhdissi. Quant à l'asymétrie jamais vaincue, elle se creuse davantage à cause de la mondialisation. Ces éléments instaurent un climat d'incertitude et un flou ou une absence de transparence dans les règles du jeu. Un sentiment accentué par la transformation du pouvoir en enrichissement personnel et individuel. Tout cela a bien évidemment des conséquences économiques « c'est le débat entre le travail et la richesse », soutient Said Dkhissi. L'une des implications de cette asymétrie est la réduction de la marge de manœuvre des acteurs nationaux, face aux implications des ALE... les Entreprises elles font face à une rude concurrence ce qui conduit à une déformation de la structure économique, les entreprises choisissent alors de se réfugier dans les secteurs protégés, certaines migrent vers l'informel ou dans les secteurs spéculatives. « Ce n'est pas un hasard si le Maroc n'a pas réussi la transformation structurelle », note l'économiste. Si la série noire s'allonge, Said Dkhissi propose néanmoins des pistes à suivre, notamment reconstruire la politique, redéfinir le rôle de la religion dans la société, changer la pédagogie. Pour toute réforme institutionnelle, il rappelle que c'est l'Etat qui appartient à la nation et non la nation à l'Etat. Autre impératif est que l'acte politique doit être responsable devant la nation. En matière économique, Pf Dkhissi prône le passage de pratiques de quasi-prédation et du gaspillage des ressources vers un système de travail qui développe la richesse. « Il faut investir dans le travail et lutter contre l'enrichissement sans contrepartie. Il faut reconstruire le lien entre travail et richesse. I faut réhabiliter le long terme (Industries, enseignement, secteurs stratégiques, gestion de l'eau et des ressources naturelles)… », ajoute S. Dkhissi. En matière de cohésion socioculturelle, il appelle à plus d'intégration en luttant contre les inégalités sociales et spatiales car tout développement économique doit avoir pour finalité la justice sociale. Aussi, insiste-t-il sur l'importance pour le Maroc de redéfinir une nouvelle finalité à ses relations avec l'extérieur.