Le pourcentage cumulé des personnes infectées par COVID-19 est certes en train de décliner avec le temps mais il ne descend ni suffisamment vite ni vers une valeur suffisamment basse pour que le taux de reproduction descende durablement en dessous de l'unité. En partie à cause des nombres faibles des tests et des infections COVID-19 au Maroc (heureusement !), l'ajustement des données par des lois mathématiques, mieux adaptées aux grands nombres, est très difficile. A cause de cela, il peut être utile d'essayer de « sortir des sentiers battus » des modèles mathématiques les plus élaborés[i], [ii], [iii] qui, malgré un succès certain, peinent à trancher clairement sur le court terme à cause de fluctuations journalières relativement trop importantes qui empêchent de bien simuler la situation actuelle. LE CONSTAT Que leur résultat soit négatif (vert) ou positif (rouge), le graphique de gauche de la Figure 1 montre l'évolution dans le temps du nombre de tests alors que le graphique de droite montre l'évolution de la structure des résultats. Il faut bien rappeler qu'au 13 mai 2020, le total des personnes testées (75'870) ne représente que 0,2% de la population marocaine. Si l'on pouvait considérer que l'évolution du pourcentage de cas négatifs définit une « courbe d'apprentissage » du groupe des « cas suspects » qui sont testés, le pourcentage du cumul des testés positifs décrirait, lui, le complément de cette courbe d'apprentissage ou, si l'on préfère, la courbe d'apprentissage du virus à infecter ledit groupe de « cas suspects » que l'on teste actuellement au Maroc. Dans la recherche d'élément stables peu fluctuants pour plus de sécurité des modèles corrélatifs, l'idée est venue d'étudier le pourcentage du cumul des testés positifs (en rouge dans le graphique de droite de la Figure 1) en fonction du total des tests (somme des deux courbes, verte et rouge, du graphique de gauche de la Figure 1). Cette représentation est montrée dans le graphique de gauche de la Figure 2 dont les symboles représentent les valeurs réelles des pourcentages des cumuls des testés positifs avec une indication de la date d'observation. Depuis le 16 avril 2020, la variation des pourcentages de tous les testés positifs en fonction du nombre total de tests descend de façon lisse, continue et monotone sous une forme épousant assez bien une exponentielle décroissante vers un palier estimé aux alentours de p∞ = 7,81%, avec les données arrêtées au 13 mai. Entre le 16 avril et le 13 mai, la qualité de l'ajustement de la décroissance exponentielle vers un palier n'est pas en cause puisque, malgré 23 degrés de libertés, le facteur de corrélation dépasse 99.9%. Cependant, qui n'est ni épidémiologiste, ni médecin, ni mathématicien, se garde bien de donner une quelconque explication à ce phénomène qu'il suffira d'accepter comme une « réalité expérimentale » afin de pouvoir l'utiliser à bon escient pour des calculs ultérieurs. LES CONSEQUENCES Le premier commentaire est inspiré par la valeur du palier : la descente de la courbe en trait continu noir de la Figure 2 vers le palier en trait mixte signifie que si l'on pouvait attendre indéfiniment en gardant les critères actuels qui mènent au test, on aurait, à terme, seulement 7.81% du total des « cas suspects » qui auraient été déjà infectés : * Un tel taux est insuffisant pour atteindre une immunité collective[i] et si, tous les membres de la population marocaine pouvaient devenir des « cas suspects », cela représenterait, à terme, environ 2.8 millions de personnes infectées. * Rechercher une valeur faible de ce pourcentage est la cause même du confinement qui a aussi pour conséquence l'étalement dans le temps de l'épidémie qui, en retour, permet de soigner les malades dans de meilleures conditions et donc de réduire la mortalité avec des capacités de prise en charge données. Par ailleurs, dès lors que l'on connaît la variation du taux des testés positifs en fonction du nombre total de tests, on peut alors recalculer le nombre de nouveaux cas journaliers puis du taux de positivité des tests journaliers, d'abord en fonction du nombre total de tests (comme montré dans le graphique de droite de la Figure 2), puis en fonction de la date (comme montré dans la Figure 3) : * Historique, puisque le nombre de tests déjà réalisés est connu. Prospective, si l'on suppose le maintien du rythme moyen actuel des tests journaliers. C'est à cause de la légère remontée du taux de positivité journalier (visible sur la Figure 3) ou hebdomadaire (visible sur le graphique de gauche de la Figure 4), que le titre qualifie de « normale » l'actuelle augmentation du nombre de cas. La prévision des 3 semaines suivantes est faite sur la base d'une continuation de 3'200 tests journaliers et montre une poursuite de la montée du nombre de cas du fait de l'augmentation lente du taux de positivité journalier vers la valeur de 7.81% montrée (Figure 3). A en juger d'après le graphique de droite de la Figure 4, l'allure générale passée du nombre de nouveaux infectés hebdomadaires n'est pas trop mal décrite par les calculs, y compris la baisse du nombre de cas positifs durant la semaine du 27 avril au 03 mai 2020. Quant à l'atypisme de la semaine du 13 au 19 avril, on rappellera que les jeudi 16 et vendredi 17 avaient révélé des foyers épidémiques tellement plus inhabituels que leurs nombres de nouvelles infections journalières (259 et 281) n'ont jamais été dépassés depuis. La Figure 5 montre le taux de reproduction du virus qui permettrait, théoriquement, de connaître le nombre moyen de personnes qu'un porteur contagieux pourrait infecter. Ce taux se calcule par le ratio des nouveaux infectés des 7 derniers jours à ceux des 7 jours glissés un jour avant. Ce taux dépend des conditions « offertes » à la propagation de l'épidémie durant la dernière semaine : lorsque le plus probable passe en-dessous de 1, on dit qu'il devient probable que l'infection soit en train de reculer mais dès que la partie haute de l'intervalle de confiance passe en-dessous de 1, on a alors 98% de chance pour que l'infection soit en train de reculer. Or, si le modèle de comportement du taux de positivité de la Figure 2 venait à perdurer, la partie prospective de la courbe en noir montre que, dans les conditions actuelles du confinement et des tests, le taux de reproduction de l'épidémie devrait, en moyenne, descendre progressivement vers l'unité, mais en ne l'atteignant que de façon conjoncturelle. Donc, ce ne sera dû qu'au hasard des fluctuations si nous venions à nous trouver en-dessous de l'unité à la date fatidique du 20 mai ! Je préférerais nettement croire à l'embellie du 13 mai avec ses 95 nouveaux cas ou même me tromper que d'avoir à annoncer que, dans les conditions actuelles, le taux de reproduction de l'épidémie ne descendra pas de sitôt de façon durable en dessous de l'unité. Cela serait essentiellement dû au fait que la décroissance du taux de positivité globale n'a pas été suffisamment rapide ou en tous cas, qu'il aurait fallu que la descente du graphique de gauche de la Figure 2 se fasse vers un taux de positivité nettement inférieur à 7.81% ce qui n'aurait pu être obtenu que si les « cas suspects » et leurs proches s'étaient moins exposés au risque de contamination. Toutefois, il convient de relativiser l'usage du taux de reproduction en vertu de ce qu'en dit l'Encyclopédie Wikipédia4 : « La relation entre le taux de reproduction et le seuil d'immunité collective repose sur un calcul qui n'est valide que dans une population bien mélangée. En revanche, les relations au sein de populations importantes sont mieux décrites par des « réseaux sociaux », dans lesquels la maladie ne peut se transmettre qu'entre pairs et voisins. La forme de « réseau social » peut baisser le niveau d'immunisations individuelles requis pour atteindre l'immunité collective. » C'est ce comportement en « réseau social » de COVID19 qui impose le suivi de dizaines de milliers de personnes qui ont été en contact avec les sujets infectés. En effet, Mohammed El Youbi, Directeur de l'Epidémiologie, annonçait le 25 avril[i] : qu'un cumul de 17'843 proches des cas positifs au COVID-19, soit près de 5 fois le total des infectés de la veille (3'758), avaient été suivis par les services du Ministère de la Santé, sans doute aidés par la Direction Générale de la Sûreté Nationale... pour vaincre les résistances inciviques. Au même moment, 7'048 d'entre eux étaient encore suivies, soit plus de 2 fois le nombre de personnes en cours de soin (3'114). Avec une partie de la population qui manifeste un fort comportement incivique, tel que celui qui est confirmé par les images circulant dans les réseaux sociaux, il semble difficile qu'une approche sécuritaire du confinement puisse réussir. Ceci dit, ce pays n'a pas plus que les autres les moyens économiques de rester en confinement pour un temps indéfini et il va donc bien falloir que le Maroc retourne au travail et aux études progressivement et prudemment, c'est-à-dire en conservant ce qui peut l'être des acquis de ce confinement, semble-t-il plutôt réussi du point de vue sanitaire. Mais quand on pense que quelques cas ont causé ce que l'on sait, comment cesser le confinement sans trop de dégâts avec encore 100 à 200 nouveaux cas par jour ? Sommes-nous encore loin d'avoir payé le prix qu'exigerait COVID19 ? Où devrait-on se situer entre un optimisme motivé par un minimum de confiance dans l'intelligence collective et les institutions, et un pessimisme modéré étayé par des chiffres qui ne vont pas là où on voudrait ? Par Amin BENNOUNA [email protected] [1] Amin Bennouna, "COVID19 au Maroc : le bon choix du confinement précoce", Webmagazine Ecoactu, 23 avril 2020, https://www.ecoactu.ma/covid-19-au-maroc-le-bon-choix-du-confinement-precoce/ [2] Driss Ouazar, Saidou Nourddin, Mustapah El Jaï, 28 avril 2020, "Apports de la modélisation et la simulation numérique à l'aide à la prise de décision dans la gouvernance de la gestion du COVID 19", Webmagazine Ecoactu, https://www.ecoactu.ma/covid-19/ [3] Fouad Elaqqari, "La modélisation mathématique de l'épidémie de COVID19 : Cas particulier du Maroc – Principales conclusions de l'étude", 8 mai 2020 [4] Les taux communément indiqués pour atteindre une immunité collective (ou grégaire) dépassent allégrement les 50%, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Immunit%C3%A9_gr%C3%A9gaire [5] Yasmine Salih, "Coronavirus : Prépondérance de cas parmi l'entourage des patients, soit 85%", Webmagazine Hespress, 25 avril 2020, https://fr.hespress.com/141938-coronavirus-preponderance-de-cas-parmi-lentourage-des-patients-soit-85.html