Le Coronavirus menace les moyens de subsistance de 265 millions de personnes dans les pays à faible et moyen revenu selon les derniers chiffres du Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM) si des mesures ne sont pas rapidement prises pour lutter contre la pandémie. Alors que le Rapport mondial sur les crises alimentaires 2020, publié cette semaine, estime que 135 millions de personnes situées dans 55 pays sont actuellement confrontées à une crise alimentaire aiguë résultant principalement des conflits, des effets du changement climatique ainsi que des crises économiques, les nouvelles projections du PAM font état du doublement des personnes menacées. L'inquiétude est particulièrement importante concernant les habitants des pays d'Afrique et du Moyen-Orient, car le virus menace les vies et les moyens de subsistance mais aussi les réseaux commerciaux dont la population de ces régions du monde dépendent pour survivre. Selon Arif Husain, économiste en chef du PAM, « ces nouvelles projections montrent l'ampleur de la catastrophe à laquelle nous sommes confrontés. Nous devons veiller à ce que des dizaines de millions de personnes qui souffrent déjà gravement de la faim ne succombent à ce virus ou à ses conséquences économiques sur l'emploi et les revenus ». Le PAM est particulièrement inquiet pour les personnes situées dans des zones de conflit et celles qui sont forcées de quitter leur foyer et de se réfugier dans des camps. Les pays concernés sont notamment le nord-est du Nigeria, le Soudan du Sud, la Syrie et le Yémen. . « Déjà avant le COVID-19, leur vie ne tenait qu'à un fil. Ils dépendent littéralement de l'aide du PAM pour s'en sortit. Si nous ne pouvons pas parvenir jusqu'à eux pour quelque raison que ce soit, ils en subiront de lourdes conséquences. Si ce n'est pas nous qui les aidons, personne d'autre ne le fera. », s'inquiète-il. Une mauvaise nutrition et l'immunité faible qui en résulte rendent les enfants particulièrement vulnérables, tandis que les camps surpeuplés peuvent être un terrain fertile pour une propagation rapide d'un virus tel que le COVID-19. L'impact de la pandémie sur les flux commerciaux qui constituent pourtant une aide précieuse pour des millions de personnes pourraient être tout aussi dévastateurs. En 2018, les pays d'Afrique subsaharienne comme la Somalie et le Soudan du Sud ont importé plus de 40 millions de tonnes de céréales provenant du monde entier pour combler les lacunes de la production alimentaire locale. Ces taux élevés d'importation les rendent extrêmement vulnérables aux risques de fluctuations des prix en cas de crise mondiale. Par ailleurs, des pays comme l'Angola et le Nigeria souffriront de la forte baisse de leurs exportations de carburant. « Il est essentiel que les échanges commerciaux soient maintenus, indépendamment de tout ce qui se passe autour d'eux », avertit Arfi Husain. « Si cela s'arrête, le travail humanitaire ne pourra pas se faire. Tout simplement, la vie de millions de personnes dépend du flux des échanges commerciaux et l'impact des perturbations sur la sécurité alimentaire des populations est extrêmement préoccupant. » Les pays qui ont une dette publique importante auront du mal à mobiliser les ressources nécessaires pour répondre à la crise, tandis que d'autres auront du mal à reconstituer leurs faibles réserves en devises ; l'exemple le plus frappant étant le Zimbabwe. Au Moyen-Orient, le Yémen, l'Iran, l'Irak, le Liban et la Syrie sont tous confrontés à de graves problèmes économiques. « Le scénario dans les pays pauvres est trop macabre pour être compris. Nous devons nous préparer à la deuxième et à la troisième vague de cette maladie. Les gens perdent leurs moyens de subsistance et leurs revenus et, dans le même temps, les chaînes d'approvisionnement sont perturbées. Ce double effet risque alors d'accroître à la fois l'ampleur et la gravité de la faim dans le monde. » Pour Arif Husain, l'impact potentiel sur les personnes souffrant d'insécurité alimentaire dans les zones urbaines est extrêmement préoccupant ; la classe moyenne urbaine, les travailleurs journaliers et ceux qui travaillent dans les secteurs informels et de services devenant soudainement vulnérables à la pauvreté et à la faim. Le PAM prend diverses mesures pour réduire l'impact de COVID-19 sur les opérations permettant d'atteindre et de venir en aide aux personnes les plus vulnérables du monde. Il étend notamment son système de surveillance de la sécurité alimentaire à distance et en temps réel dans plusieurs pays, afin d'évaluer le fonctionnement des chaînes d'approvisionnement et de contrôler l'accès des ménages aux services de santé. Les informations sont disponibles à l'ensemble de la communauté humanitaire, tandis que le public peut accéder aux informations via la Carte de la faim — LIVE et le Centre d'analyse de la faim du PAM. Le PAM évalue les zones dans lesquelles les transferts monétaires en espèce peuvent être effectués électroniquement, où la nourriture est facilement disponible. Il travaille déjà de façon continue avec les gouvernements pour renforcer les systèmes de protection sociale qui sont susceptibles d'avoir recours à l'argent liquide comme réponse pendant la pandémie. D'autres mesures comprennent le pré-positionnement de la nourriture au plus près des personnes qui en ont le plus besoin (tant que les chaînes d'approvisionnement fonctionnent encore), la mise à disposition de rations doubles pour réduire le nombre de distributions, l'approvisionnement en rations à emporter pour remplacer les repas scolaires ainsi que le lancement de campagnes d'éducation sanitaire. Le PAM a demandé 350 millions de dollars dans le cadre d'un appel au financement lié au Plan mondial d'intervention humanitaire face au COVID-19. Ces fonds permettront de fournir des services communs, notamment en travaillant avec des partenaires humanitaires pour mettre en place, dans les pays, des installations sanitaires telles que des ventilateurs et des équipements de protection. Plus largement, le plan de ses opérations pour 2020 coûtera au moins 12 milliards de dollars, un chiffre qui pourrait facilement augmenter en fonction de l'impact de la pandémie sur les personnes souffrant de la faim. Au total, 1,9 milliard de dollars de ce financement est nécessaire dès maintenant, pour pouvoir prépositionner la nourriture plus près des personnes qui en ont le plus besoin, alors que les chaînes d'approvisionnement fonctionnent encore. « Plus nous attendons, plus les chaînes d'approvisionnement seront perturbées et plus cela coûterait cher en termes économiques et en vies humaines », a conclu A. Husain. Lire également : [Entretien] Najib Akesbi : Au-delà de la sécurité, la souveraineté alimentaire...