Un fait divers ordinaire fait remonter à la surface la problématique du cash qui échappe aux filets du fisc. En effet, dimanche matin, un individu faisant l'objet d'un avis de recherche au niveau national pour son implication présumée dans une affaire d'escroquerie, dont ont été victimes les commerçants du marché « Lakrea » à Casablanca, suite à plusieurs plaintes de commerçants de prêt-à-porter de ce marché. Ces derniers ont affirmé avoir été victimes d'escroquerie de la part du mis en cause auquel ils avaient remis des sommes d'argent estimées à des centaines de millions de dirhams. Un argent intraçable, on ne sait pas d'où il vient ni vers où il va. Ah les bas de laine ! L'informel a la peau dure Des captures d'écran du « registre » tenu montrent les montants avancés par chaque commerçant à cet individu. Les montants vont de 10.000 DH à 1.400.000 DH et laissent entrevoir l'importance de l'économie souterraine qui prévaut au Maroc et ce cash qui échappe au circuit formel. Pas besoin d'être devin d'ailleurs puisqu'une étude de la CGEM d'avril 2018, a révélé que l'économie informelle pèse plus de 20% du PIB – hors secteur primaire – et 10% des importations formelles, soit autour de 170 Mds de DH. Le manque à gagner pour l'Etat est estimé à 40 milliards de dirhams dont 36 milliards pour les charges fiscales et 6 milliards pour les charges sociales (2,65 millions de personnes y travaillent). Le HCP révèle pour sa part le chiffe de 1.600.000 unités qui travaillent dans l'informel. Ceci explique la levée de bouclier contre les dispositions relatives à la facturation électronique introduites par la LF 2019. A l'époque, en janvier 2019, le ministre de l'Economie et des Finances, Mohamed Benchaâboun, a dû assurer en plein Parlement que les commerçants et artisans soumis au régime forfaitaire ne sont pas obligés de livrer des factures car le Code des impôts ne les y oblige pas étant dispensés d'une tenue de compte. La carotte est-elle suffisante ? Ce qui a poussé l'exécutif à arrondir ses ongles pour cette LF 2020, puisqu'elle a réintroduit l'amnistie pour les contribuables exerçant une activité passible de l'IR qui s'identifient pour la première fois. Faute de moyens de contrôle, le Fisc obtempère par des mesures d'amnistie. Aussi, parmi les mesures relatives à l'Impôt sur le revenu professionnel, il est prévu un abattement de 25 % pour les contribuables dont les revenus sont déterminés d'après le régime du Résultat Net Simplifié, ou le bénéfice forfaitaire, pour le chiffre d'affaires réalisé par paiement mobile. Cette disposition figure parmi les cinq dispositions fiscales proposées par Bank Al Maghrib y compris la suppression du droit de timbre sur le paiement mobile domestique en vue de mener à bien le chantier du M-Wallet lancé en 2018. Ce chantier concocté par les deux régulateurs BAM et ANRT, en partenariat avec les établissements de crédit, les sociétés de transferts, les opérateurs télécoms vise à capter une partie des 400 Mds de DH qui continuent de circuler en cash. Il prévoit sur la période 2019-2024 d'atteindre 6 millions d'utilisateurs et 51.000 agents commerçants au terme de la cinquième année, avec à la clé 1,3 Md de transactions en paiement mobile réalisée par an. Mais voilà, l'interopérabilité du paiement mobile démarrée en novembre 2018 bute encore sur la faible adhésion des commerçants de l'aveu même du gouverneur de la Banque Centrale. Une grande partie de ces derniers opérant en effet dans l'informel, ce qui n'est pas sans impact aussi bien pour les opérateurs du formel souffrant de concurrence déloyale que pour le climat général des affaires. Et ce n'est pas près de changer. « C'est une problématique qui montre les limites des responsables à lutter contre ce fléau surtout pas avec des mesurettes fiscales contenues dans la LF. Il s'agit d'un problème beaucoup plus structurel qui dépasse la simple question fiscale. Même dans l'informel il y a des paliers. Il y a des petites structures qui se battent et qui ne peuvent basculer dans le formel ne serait-ce qu'à cause des cotisations sociales, des taxes professionnelles, les services communaux… D'ailleurs, ces charges peuvent même être un facteur de basculement du formel vers l'informel pour les petites structures qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts. Mais il y a aussi ceux qui brassent des millions et qui n'ont aucun intérêt de renter dans les circuits formels. C'est une problématique beaucoup plus complexe et sa résolution ne peut être uniquement d'ordre fiscal », précise un professionnel des chiffres. Les sept commandements de Tarik El Malki Dans ce sens, il y a lieu de citer quelques actions qui peuvent être entreprises et recensés dans le nouvel ouvrage de Tarik El Malki « Le Maroc, quelles voies d'émergence ? » et qui manient à la fois la carotte et le bâton. L'auteur cite sept principales mesures qui commencent d'abord par l'élaboration, en concertation avec l'ensemble des acteurs, d'une stratégie globale de lutte contre le secteur informel sur la base d'une identification et la hiérarchisation des activités informelles ayant les conséquences les plus négatives sur le pays. En deuxième lieu, proposer une amnistie fiscale avec délai de deux ans pour le passage de l'informel vers le formel. La troisième mesure revêt une importance cruciale, celle de la mise en place des mesures sociales spécifiques pour les micros, très petits et petits : offre de logement social, système de retraite et couverture médicale. La quatrième action concerne l'intégration de mesures spécifiques dans la future Charte de l'investissement. Par ailleurs, Tarik El Malki propose de mettre en place une stratégie de développement de filières de formation adaptées aux métiers de l'informel. Aussi, est-il proposé de mettre en place des mesures de sensibilisation et de formation à travers différents canaux incluant les régions, les collectivités territoriales, les ministères de l'Intérieur, du Commerce et de l'Industrie, le ministère de l'Agriculture, les associations de micro-crédit. Enfin, instaurer un mécanisme de pénalisation accrue de la fraude fiscale accompagnée d'une action renforcée de contrôle. C'est dire que pour résorber un tel fléau qui gangrène notre économie, l'approche doit être multidimensionnelle et allier à la fois des incitations et des sanctions, autrement le phénomène risque non seulement de perdurer mais s'amplifier si les autorités continuent à fléchir face aux lobbys.
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