L'Alliance dépeint un tableau sombre si le gouvernement ne profite pas de ce mois pour rectifier son PLF 2019, sur lequel les économistes istiqlaliens ont tiré à boulets rouges. Le parti de l'Istiqlal (PI), l'une des principales formations de l'opposition s'est fait particulièrement discret ces derniers temps, alors qu'il avait fait beaucoup d'ancre depuis son mémorandum adressé au mois de mai au chef de gouvernement sur la Loi de Finances rectificative. L'Alliances des économistes istiqlaliens étaient également en retrait depuis quelques années jusqu'à une récente rencontre sur le projet de Loi de Finances 2019 (PLF2019). Un PLF ordinaire pour la conjoncture actuelle du pays. C'est ainsi que l'Alliance des économistes istiqlaliens qualifient le projet de Loi de Finances voté par la première chambre. La rencontre tenue le 29 novembre 2019 à Casablanca a connu tour à tour l'intervention de plusieurs membres de l'Alliance sur plusieurs aspects de ce PLF dont les priorités annoncées sont les politiques sociales, la poursuite des grands projets structurels en plus des grandes réformes et bien évidemment veiller sur les équilibres macroéconomiques. Cela dit, l'Alliance reproche au PLF d'être plat, trop ordinaire pour la conjoncture actuelle, ses objectifs ne sont pas ambitieux et des hypothèses dépassées, comme l'explique Abdellatif Maazouz, président de l'Alliance. Pis, il ignore les problématiques rencontrées aussi bien par les ménages que par les entreprises. Les économistes istiqlaliens ont également attiré l'attention sur le niveau d'endettement qu'il faut impérativement contenir si l'on ne veut pas voir l'intervention des institutions internationales dicter au Maroc la conduite à suivre, en référence au plan d'ajustement structurel des années 80. L'Alliance remet également en doute l'atteinte de l'objectif de 1,2 millions d'emplois créés à horizon 2021. « Aujourd'hui l'Exécutif dispose d'un mois pour revoir sa copie en se basant sur de nouvelles hypothèses et en formulant de nouveaux objectifs », Insiste A. Maazouz. Abdelmajid Fassi, membre de l'Alliance et député à la première Chambre, a pour sa part souligné la problématique de la jeunesse dans ce contexte général tel que décrit. Surtout, une jeunesse qui est très attentive à ce qui se passe dans le pays, qui a déserté l'action politique et a trouvé de nouvelles voies pour s'exprimer : Boycott, Hirak, Ultras... « Nous vivons dans un contexte exceptionnel qui nécessite un PLF exceptionnel, car les jeunes ont besoin de réponses et tout de suite, non demain ni dans trois ans », martèle le député. Pour lui, les jeunes ne font résolument pas partie de la vision stratégique du gouvernement et cite à titre d'exemple le Conseil consultatif de la jeunesse qui n'a toujours pas vu le jour malgré qu'il soit constitutionnalisé depuis 2011. Amine Nejjar, le vice-président de l'Alliance s'est attardé pour sa part sur les dispositions en matière d'encouragement des moyennes, petites et très petites entreprises, particulièrement la problématique des délais de paiement qui, selon lui va encore s'aggraver. Ainsi l'un des premiers constats faits est que la loi 49-15 sur les délais de paiement promulguée depuis 25 août 2016, n'a toujours pas de décrets d'application. De même que le consultant regrette que la mise en place d'un observatoire des délais de paiement exclut le secteur privé, pourtant miné par cette problématique. « Nous avons travaillé sur cette question au niveau de l'alliance et nous avons des propositions à faire. Notamment, la loi a plafonné à 90 jours le délai de paiement des créances commerciales dues aux entreprises. Nous sommes pour que cette disposition soit maintenue mais quelque soit le secteur d'activité de l'entreprise. Et il faut matérialiser ces créances par des effets de commerce remis au fournisseur dès réception du service ou marchandise objet du contrat de la transaction », poursuit-il. Et d'ajouter que les entreprises clientes qui dépassent les délais de paiement ainsi fixés doivent être sanctionnées selon un procédé bénéficiant aux fournisseurs non payés. De même qu'il faut permettre au fournisseur non payé dans les délais prévus de constater une provision pour créances douteuses déductible, équivalente au montant des créances en souffrance sans obligation de recours judiciaire. Aussi, sur la base des infos contenues dans les déclarations annuelles souscrites par voie digitale, le client récalcitrant paierait-il une amende au profit du Trésor, entre autres dispositions proposées pour encourager le tissu productif du Royaume. Sur un autre registre, la rencontre a été l'occasion de critiquer les mesures en faveur de la classe moyenne. Autant dire que Ibrahim Ould Errachid, membre de l'Alliance et du Comité central du parti, dresse un tableau noir : les mesures prises sont plus de nature à affaiblir le pouvoir d'achat, renforcé par la stagnation des salaires, et déstabiliser la classe moyenne. Pour illustrer son propos, il cite parmi les mesures en défaveur de la classe moyenne la retenue à la source au taux libératoire de 15% applicable sur le montant brut des loyers, au lieu de l'application du barème de l'IR après abattement de 40%; mesure très favorable aux grands revenus locatifs. Ou encore, le rétablissement de la TVA sur les livraisons à soi-même de construction de l'habitation personnelle et abrogation de la Contribution Sociale de Solidarité, en maintenant l'exonération des constructions dont la superficie n'excède pas 300 m2, réalisées par les personnes physiques à titre d'habitation principale. L'économiste déplore également la décompensation des prix de carburants et la suppression des mesures d'accompagnement pour soutenir le pouvoir d'achat des citoyens (plafonnement des marges et couverture du risque d'augmentation des prix internationaux). Ibrahim Ould Errachid rappelle ainsi que l'ascenseur social est en panne et n'est pas prêt de remarcher et cite un chiffre qui décrit cette situation : 1,9% des fils d'ouvriers seulement peuvent espérer accéder à un niveau de cadre supérieur ! Bien évidemment l'économiste a énuméré certaines mesures pour rectifier le tir. Le dernier à intervenir lors de cette rencontre est Driss Benhima, qui a rejoint le PI et qui est intervenu en sa qualité de membre de l'Alliance des économistes istiqlaliens, autour de la problématique des disparités territoriales. Il a d'emblée qualifié les budgets alloués à la réduction de ces disparités d'être sans vision cohérente. Driss Benhima estime que si le Programme de Réduction des Disparités Sociales et Territoriales est important et voit son budget augmenter pour atteindre 7,43 Mds de DH, ses projets concernent exclusivement des opérations de désenclavement et d'amélioration de l'accessibilité et l'accès à l'électricité, à l'eau potable, aux soins et à l'éducation. Les budgets liés aux problématiques d'investissements économiques, de créations d'emplois et de lutte contre l'exode rural et les fractures territoriales figurent de façon dispersée sur d'autres rubriques. Il rappelle d'ailleurs les six ruptures proposées par l'Alliance des Economistes Istiqlaliens dans le cadre du débat sur le nouveau modèle de développement s'articulent en quatre axes en ce qui concerne la réflexion sur les disparités territoriales : L'impact de la mondialisation sur les territoires fragiles ; La réorientation des investissements publics ; La réussite du démarrage de la Régionalisation Avancée ;L'amélioration du fonctionnement des Conseils Communaux (P.M.). Pour Driss Benhima, il faut une réponse de fond aux fractures territoriales consécutives à la mondialisation. Notamment, l'abandon par l'Etat de ses activités économiques au profit du secteur privé ce qui a attribué à l'entreprise privée le choix de ses implantations, ce qui interdit aux territoires marginaux de bénéficier de l'investissement étatique direct. Aussi, les territoires défavorisés du fait de l'enclavement et du climat ne pourraient-ils être rendus attractifs que par des politiques d'encouragement spécifiques, fiscales ou autres. Le cas des Provinces du Sud et leur exemple mériterait d'être étudié afin d'être étendu avec un programme de développement visible et enclenché par la main de l'Etat pour assurer la croissance et la création d'emplois et de richesse dans la région...Driss Benhima regrette que rien dans ce sens ne figure dans le PLF 2019 ! Questionné à l'issue de la rencontre sur les griefs de l'Alliance contre l'Exécutif, Abdellatif Maazouz, explique que « ...le gros problème aujourd'hui, c'est qu'il n'y a pas de véritable prise en main des agrégats économiques du pays et presque plus d'anticipation. Le seul qui anticipe aujourd'hui, c'est SM le Roi Mohammed VI ! Et quand vous n'avez pas d'anticipation, vous tombez dans le piège de la surprise du fait accompli et vous commencez à jouer le rôle du sapeur pompier. Quand il y a une tension dans une région ou d'ans une autre, l'exécutif colmate et bricole dans l'espoir de contenir les foyers de tensions. Le Maroc qui a une vision et des programmes nous manque ». Le vœu formulé est qu'il ne s'agit pas pour le pays de s'inscrire dans la continuité dans le contexte actuel mais d'innover et développer davantage en reposant sur les acquis des gouvernements précédents.