Conformément aux dispositions de la loi n° 20.13 relative au Conseil de la concurrence, le Conseil a pris l'initiative de donner son avis sur le fonctionnement concurrentiel de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus au Maroc. A cet égard, et conformément aux dispositions de la loi n° 20.13 relative au Conseil de la concurrence et la loi n° 104.12 relative à la liberté des prix et de la concurrence, et après que le Rapporteur général et la Rapporteuse en charge du dossier de l'initiative de donner un avis ont été entendus, lors de la 24ème session de la formation plénière, tenue en date du 26 ramadan (28 avril 2022), le Conseil de la concurrence a émis le présent Avis. Le Conseil de la concurrence a pris l'initiative de donner un avis, par sa décision n° 89/D/2021 du 18 di elhija 1442 (29 juillet 2021), relative à l'examen du fonctionnement du processus concurrentiel de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus et ce, en vue d'évaluer les conditions dans lesquelles ces marchés sont organisés et attribués et répondre à la question de savoir si ces conditions sont conformes aux règles d'une concurrence libre et loyale. Cette évaluation sera complétée par un benchmark dans le but de tirer profit des meilleures pratiques en la matière au niveau international, afin de proposer des recommandations et des pistes de réflexion pour améliorer ce mode de gestion et pour établir des conditions équitables de concurrence. Cette saisine d'office pour avis s'inscrit également dans les recommandations du rapport de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement (CSMD) préconisant la préservation des principes de concurrence et de recherche de la qualité au meilleur coût afin d'assurer un fonctionnement concurrentiel optimal du transport public urbain et interurbain par autobus au bénéfice des consommateurs, de l'efficacité de la dépense publique, et de la compétitivité des entreprises opérant au niveau national, et favorisant l'accès équitable de tous les citoyens à un service public de qualité. Le présent avis du Conseil de la concurrence porte sur l'analyse du fonctionnement concurrentiel du marché de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus, en se basant sur une approche participative à travers l'audition de l'ensemble des parties prenantes au secteur. A cet effet, des conclusions ont été tirées (I) et des pistes d'amélioration sont proposées (II). L'analyse concurrentielle du fonctionnement du marché de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus a permis de constater le niveau élevé de son encadrement régi par un arsenal de textes juridiques divers et variés. Toutefois, il a été relevé que ce cadre juridique est resté inachevé, ce qui a conduit les autorités délégantes à s'appuyer sur les dispositions réglementaires régissant les marchés publics pour lancer leurs appels d'offres et sélectionner le concurrent adjudicataire. Dans le même registre, la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain a révélé que la création de sociétés de développement local (SDL) non contrôlées directement par l'autorité délégante pour réguler le transport, n'a pas permis de mettre fin à la multiplicité des acteurs dans ce modèle de régulation. Bien au contraire, ce modèle a amplifié l'asymétrie d'informations et a créé des problèmes de coordination, de gouvernance entre les acteurs, tout en diluant les responsabilités et en entrainant des coûts de fonctionnement alourdissant les coûts d'exploitation. En ce qui concerne l'analyse concurrentielle, et en vue d'apprécier son intensité dans le marché de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus, une analyse a été menée sur l'évolution des parts de marché en volume et en valeur des opérateurs présents sur ledit marché. Cette analyse a permis de conclure que ce marché se caractérise par un niveau élevé de concentration, où les deux premières sociétés ALSA et City bus ont une part de marché cumulée se situant entre 80 et 90% durant la période 2018-2020, avec une dominance nette de la société ALSA qui a vu sa part de marché passer de 50 à 70%. Ce niveau élevé de concentration semble être dû à la combinaison de trois facteurs essentiels à savoir : – Des barrières à l'entrée très élevées, édictant des conditions techniques et financières d'accès qui favorisent les grandes entreprises, empêchent l'arrivée de nouveaux entrants et excluent totalement l'innovation, la créativité comme critères de sélection. – Un nombre réduit d'appel d'offres portant sur des contrats de gestion de longue durée se situant entre 10 et 15 ans, qui sont généralement prolongés par avenant en faveur de l'opérateur exploitant. – Un faible taux de participation des opérateurs aux appels d'offre des grands centres urbains en raison de leurs capacités techniques et financières limitées. De même, le coût de réponse aux appels d'offres contraint les opérateurs de taille moyenne à ne participer qu'à un nombre limité de ces appels d'offres, du fait de leurs coûts irrécupérables. Recommandations A la lumière des conclusions susmentionnées et en vue d'améliorer le fonctionnement concurrentiel du marché de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus et son mode de régulation, le Conseil de la concurrence recommande ce qui suit: * S'agissant du mode de régulation de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus, il est proposé de revoir le statut et le cadre juridique régissant les SDL, en vue de professionnaliser ces entités et leur donner les moyens juridiques et matériels pour jouer pleinement leur rôle de régulateur de ce marché. Cette révision doit en outre, permettre de renforcer les capacités des collectivités territoriales et leurs émanations, en tant qu'autorités compétentes, de maîtriser le processus de la gestion déléguée allant de l'identification des besoins, à l'appel à la concurrence, la négociation, la contractualisation, la mise en œuvre et au suivi des contrats. Ceci permettra aux délégants de bénéficier d'un transfert de savoir-faire et de la pérennisation de l'actif immatériel de connaissances et des systèmes de gestion, afin de leur assurer une autonomie managériale durable pour la continuité du service public après l'expiration du contrat. * En plus et pour mieux réussir la régionalisation avancée dans le secteur du transport public urbain et interurbain, il est de l'avis du Conseil de la concurrence de régionaliser la Stratégie Nationale de la Mobilité Urbaine et d'accorder plus de pouvoirs aux autorités délégantes dans la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain en termes de planification, de contrôle et de financement. Aussi, le renforcement du transfert des compétences de la SDL et des délégataires aux collectivités territoriales et leurs émanations (ECI et GCT) ne peut que renforcer la gouvernance régionale de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain. * A côté des recommandations susmentionnées, le Conseil de la concurrence propose des suggestions pour assurer une concurrence libre et loyale dans le marché de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus. * Enfin, le Conseil de la concurrence suggère les mesures d'accompagnement suivantes : – L'implémentation systématique dans les contrats de la gestion déléguée du transport urbain et interurbain par autobus du principe de transparence et de liberté d'accès à l'information par les acteurs du marché. Cette information doit être disponible et mise à la disposition des concurrents à toutes les étapes du processus de l'appel à la concurrence. – L'ouverture d'un débat public sur une éventuelle réforme d'envergure du mode de régulation au niveau de l'Etat et en collaboration avec les autorités locales, en vue d'amender la loi organique relative aux collectivités territoriales, pour mieux définir le rôle et les compétences des SDL dédiées à la gestion du transport public urbain. – La mise en place et le développement des mécanismes pour accroître la dynamique concurrentielle entre les différents acteurs du marché des services du transport public urbain et interurbain par autobus par l'adoption d'un cadre contractuel qui clarifie les objectifs et les responsabilités entre les différents intervenants. – Prévoir dans les futurs contrats entre les autorités délégantes et les opérateurs privés des clauses qui permettent à la société délégataire, comme prévu dans l'article 25 de la loi n° 54.05 relative à la gestion déléguée des services publics, d'investir à l'étranger, dans le but d'acquérir de l'expertise technique dans ce marché à l'échelle internationale. – Prévoir un cadre juridique adéquat en vue d'intégrer l'intermodalité entre les différents mode de transport public en commun (bus-tramways..), et promouvoir la multi modalité et l'intégration tarifaire entre les différents modes de transport. – Prévoir dans les clauses des contrats que l'entreprise délégataire peut soumissionner aux appels d'offres internationaux en tant qu'entité indépendante disposant de ses propres références techniques et financières.