Exercer un métier ou entreprendre dans des activités économiques liées aux secteurs des industries culturelles semble peu conventionnel et inquiète l'entourage des jeunes notamment les jeunes diplômés porteurs d'idées de projets culturels ou des jeunes voulant s'investir dans les métiers de la culture. Ceci peut s'expliquer par diverses manières, mais celle qui semble la plus appropriée est relative à la perception de la culture comme étant une composante complémentaire de la vie, un luxe ou un divertissement qui n'a pas forcément la même importance que les besoins vitaux de l'homme. Un autre aspect qui inquiète l'entourage des aspirants entrepreneurs en herbe porteurs d'idées de projets culturels est lié à la gratuité des services offerts dans les activités culturelles qui reposent généralement sur la subvention de l'état. En effet, pour une grande partie des citoyens, la culture est sacralisée, elle ne s'achète pas et elle ne se vend pas. Cela dit, dans une grande partie de l'imaginaire collectif, la culture est une partie de nous et entreprendre dans la culture doit passer forcément par des actes de volontariat, de travail communautaire, des activités de la vie scolaire bénévoles et de diffusions et expositions des prestations culturelles grâce aux subventions octroyées aux professionnels pour offrir gratuitement leurs services. Indubitablement, il sera peu recommandé de mettre tous les secteurs culturels par amalgame vu la diversité des modèles économiques qu'ils présentent. Entre ceux qui empruntent les traits distinctifs de l'économie sociale et solidaire impliquant le besoin de subvention, de parrainage et de mécénat et ceux qui sont plus proches d'un modèle économique à but entièrement lucratif plus autonome et offrant des services B2B ou B2C comme toutes entreprises créatives dans le monde entier. Pour cette première sphère, elle propose inéluctablement un service public que l'état doit procurer aux citoyens et un service payant pour les consommateurs des services culturels (Arts théâtre, peinture, sculpture, événements culturels...). Quant à cette deuxième, elle est génératrice de richesse économique à titre indicatif les médias, la publicité, l'artisanat les parcs de jeux, la haute couture entre autres... Toutefois, pourquoi toute cette réticence à l'égard de la culture ? La réticence est beaucoup plus présente à cette première sphère ( toutes les familles ne toléreront pas que leurs enfants viennent leur déclarer vouloir devenir violoniste, médiateur culturel ou artiste plasticien) . Cela impliquera forcément la fameuse réponse caduque ( cherche à faire un vrai métier et exerce l'art et la culture dans ton temps libre). Ce secteur demeure fragile et ce, malgré les efforts étatiques déployés durant cette dernière décennie. Des questions sur la sécurité sociale, la retraite, les droits d'auteurs sont encore au centre des discussions entre différents acteurs. D'autant plus les difficultés relatives à la gestion de la question culturelle face à l'absence de politiques culturelles au niveau de plusieurs régions du Maroc engendre le manque terrible des espaces culturels et la nomination de gestionnaires peu qualifiés et sans aucun background culturel à diriger des espaces culturelles sans équipements et sans budgets. Rappelons le rapport élaboré par le CESE en 2013 sur les lieux de vie et action culturelle qui soulignait ce qui suit : « Même lorsque ces équipements existent, ils sont rarement bien placés, et souvent mal gérés, tant et si bien qu'ils finissent par devenir de simples lieux déserts, sans vie, ou par être affectés à des activités différentes de celles pour lesquelles ils avaient été bâtis, (...) De même, la responsabilité de leur gestion est confiée à des directeurs n'ayant aucun lien avec l'action culturelle, car non formés et ne possédant ni la compétence nécessaire à la planification et la mise en œuvre, ni le professionnalisme requis pour la communication, les relations avec le public et la durabilité de l'attractivité des contenus culturels et artistiques ». Cependant, plusieurs jeunes créateurs s'attachent à ce rêve de travailler dans la culture comme il y'a des dizaines d'exemples de success stories qui sont parvenus à réussir leurs carrières professionnelles dans les industries culturelles à l'échelle nationale et internationale et qui servent de carburant pour l'encapacitation des jeunes créateurs en herbe. Comment peut-on entreprendre dans la culture ? Entreprendre dans la culture c'est entreprendre avant tout dans des biens culturels dans leurs doubles manifestations à savoir les biens uniques ,non manufacturés, (performance artistique, peinture, sculpture ...) et les biens reproductibles ( livre, cinéma, musique ...) c'est aussi entreprendre dans des services dont la valeur est singulière, une œuvre à l'instant même peut être captée, enregistrée, ou rediffusée, or l'objet du succès d'une création ne peut être dupliqué ou standardisé comme un processus ou une procédure de qualité ou une recette magique du succès. Un chanteur peut cumuler dans une même année un succès mondial sur un titre et un échec colossal sur un autre. L'entreprise culturelle passe avant tout par le choix de l'agglomération et le lieu d'implantation de son activité ( Un parc d'attraction peut être très rentable s'il est mobile et se déplace dans le milieu rural toutefois une agence de Design d'Intérieur aura plus de chance de réussir dans une grande ville). Pourtant, dans les pays encore en voie de décentralisation il est plus pratique d'entreprendre au centre l'exemple le plus frappant est celui du Maroc. Une grande partie de l'activité relative à l'industrie culturelle est centrée avant tout dans les régions du Grand Casablanca et de Rabat et d'une façon plus discrète Marrakech et Tanger. A cette centralisation due à la concentration des moyens de transport notamment les lignes de train, et les vols du et vers le Maroc entre autres s'ajoute une émulation qui a pu engendrer tout un écosystème autour des secteurs porteurs de l'industrie culturelle marocaine dont la haute couture, la production télévisée, les médias, le marché de la peinture et de la musique de la publicité et de l'édition. En effet entreprendre dans la culture passe avant tout par l'amour de créer et par les facteurs humains qui poussent l'entrepreneur à se lancer dans une startup artistique sur un terrain qui reste très glissant et instable. De ce fait Il faut savoir positionner son modèle économique sa segmentation et son marché et pour ce faire nous devons rappeler les différentes voies de l'entreprise culturelle. Les biens non reproductibles et reproductibles Pour cette voie, il faudrait placer son modèle d'affaire sur un terrain placé à mi-chemin entre économie, biens communs et service public. C'est dans cette optique que plusieurs pays accordent des réductions fiscales aux entreprises qui se procurent des œuvres d'artistes vivants et les exposent et les présentent aux publics particulièrement celles liées à la sphère des biens uniques (peinture, sculpture, installation, performance, le spectacle vivant …) Cette spécificité d'entreprendre dans la culture établit un rapport singulier au consommateur ; se procurer un livre se fait généralement une seule fois et ne peut prétendre à accroître la valeur client ou à assurer une fidélisation du client après consommation d'un livre, d'un film ou d'une exposition. De surcroît la prise de risque est plus grande pour un entrepreneur qui ne bénéficie aucunement d'une subvention, d'une action de mécénat ou d'un sponsor. Dans cette perspective, l'entreprise culturelle, par sa spécificité, s'articule sur un modèle économique fluctuant qui emprunte à l'économie sociale et solidaire ses deux aspects fondamentaux : * Le bénéfice économique, par la promotion et la commercialisation des biens culturels ; * Le service public, dans un premier temps par l'inclusion des droits culturels (présents au Maroc in concreto dans le Plan d'Action National en Matière de Démocratie et des Droits de l'Homme 2018-2021) . Dans un second temps par les droits fondamentaux de l'homme et être qui sont en harmonie avec les principes de la diversité culturelle énoncés par l'UNESCO. Puis s'ajoute à l'entreprise culturelle un troisième aspect, celui du droit d'accès à la culture (par le biais de l'article 27 de la Déclaration des Droits de l'Homme) qui considère l'accès à la culture comme droit fondamental. Pour les secteurs des médias, et de la télévision Ils présentent un modèle économique bien plus différents des autres secteurs car il s'appuie sur la proposition d'un contenu à des consommateurs et des espaces publicitaires à des annonceurs qui les achètent selon le nombre de consommateurs. Il est certain que ces différentes sphères des biens culturels ne sont en aucun cas hermétiques les uns aux autres et sont à la fois complémentaires et hybrides surtout avec l'avènement du digital qui a changé considérablement la donne et a minimisé le gap entre le business et la culture. Faut-il se positionner dans la chaîne de valeur comme un entrepreneur ou comme un amateur de la culture ? Il est certain que la position de l'entrepreneur qui s'investit dans la culture est problématique, il serait ainsi difficile de traiter les cas dans leur globalité vu la spécificité, la diversité et la complexité de ce secteur. Alors il faut mentionner que le traitement doit se faire cas par cas pourtant nous pouvant capitaliser sur 3 points essentiels à savoir : – L'entrepreneuriat culturel doit être capable d'apporter une plus-value à travers sa créativité, son innovation et son identité propre, alors une startup doit pouvoir se distinguer par la prise de risque contrôlée et un esprit inventif afin de se positionner aisément dans un marché concurrentiel. – L'entrepreneur en culture est un acteur de développement qui doit veiller au respect des droits culturels, à conserver les spécificités culturelles de son offre et ne pas faire subir au service culturel les sempiternelles approches qualitatives et quantitatives du management de projets. De ce fait, l'impact d'un produit culturel ne se mesure pas de la même façon qu'un produit ou service de consommation. Quand on procure un objet culturel c'est qu'on se procure des heures de travail, des sentiments des émotions un état d'âme du créateur, des va-et-vient difficiles à mesurer par des KPI ou des indicateurs chiffrés. – Outre sa posture d'entrepreneur qui cherchent à se faire des bénéficies économiques, l'entrepreneur culturel est aussi un ambassadeur de la beauté, de l'esthétique et de l'homme et du respect de son entourage et ses collaborateurs car la culture, comme disait Maxime Gorki ,commence là où le travailleur et le travail sont traités avec respect. Enfin entreprendre dans la culture à l'ère Digitale a changé la donne dans le monde en entier par l'accélération des mediums de diffusion artistique dans divers pays le cas le plus frappant et sans doute l'industrie de la musique les plateformes des films et séries … Youtube la plateforme vidéo de Google qui, à elle seule, a versé 4 milliards de dollars à l'industrie musicale et aux titulaires des droits de création entre 2020 et 2021. Et Cette nouvelle voie prometteuse génèrera certainement un nouveau marché à explorer et une perspective de pérennité pour un secteur prometteur mais qui demeure fragile et risqué. Par Hicham IBN ABDELOUAHAB Formateur et consultant en Développement culturel et artiste Scénique