La loi n°94-12 relative aux bâtiments menaçant ruine et à l'organisation des opérations de rénovation urbaine le 08 avril 2016, par le Parlement met le département de Benabdallah au cœur d'une actualité dramatique. Tous les regards se retournent vers le Département de l'Habitat qui a voulu s'occuper d'un dossier dont le Ministère de l'Intérieur voulait se débarrasser. Après le recensement opéré par le Ministère de l'Intérieur, suites aux instructions Royales en 2012, les pouvoirs publics peinent à mettre en place une stratégie d'intervention opérationnelle. Sur les 43.000 unités recensées, on n'a pu traiter en quatre ans que près de 4000 unités. On découvre alors la complexité du phénomène dont l'éradication nécessite un cadre législatif adéquat, des budgets considérables, un savoir-faire qui fait défaut, un ou plusieurs opérateurs et des montages institutionnels bien spécifiques. Des résultats du recensement inquiétants Il ressort du recensement du Ministère de l'intérieur de 2012 que le parc des habitations qui menacent ruine (HMR) au niveau national s'élève à 43.734, dont 36.327 habitations occupées (soit 83 % du parc total) abritant 84.148 ménages et 7.407 habitations vacantes. Si on considère que chaque ménage abrite en moyenne six personnes, ce sont alors 504.888, soit plus d'un demi million qui sont concernés par ce phénomène. Ces statistiques donnent une idée sur l'immensité des catastrophes à venir et l'urgence d'une mobilisation pour les éviter. Comme on devrait s'y attendre, le phénomène se retrouve essentiellement dans les villes qui concentrent 80% du parc soit 35.204 Habitations menaçant ruines. S'agissant de la répartition spatiale, le phénomène des HMR touche toutes les régions du Royaume avec néanmoins une concentration autour de certains grands pôles urbains. En effet, plus de 60% du parc HMR identifié au niveau national se concentre au niveau des quatre régions suivantes : Meknès -Tafilalet avec 7.951 (soit 18 %), Marrakech-Tensift-AI Haouz : 6.554 (soit 15 %), Fès-Boulemane 6.288 (soit 14 %) et le Grand Casablanca : 5.831 (soit 13 %). Lorsqu'on affine l'analyse on trouve qu'environ la moitié (49%) des ménages occupants le parc HMR se concentrent au niveau de deux régions : celle du Grand Casablanca : 20733 (soit 25 %) et celle de Fès-Boulemane: 2047 (soit 24 %). La loi sur le menaçant ruine : élément de la stratégie pour intensifier les interventions Lors de la présentation du projet de loi, le ministre de l'Habitat a précisé que ce texte est un élément essentiel de l'intervention au niveau national pour intensifier les interventions et sauver des vies humaines menacées par la vétusté de leur habitat. Il permettra de déterminer les rôles et responsabilités de l'ensemble des intervenants (Etat, collectivités territoriales et propriétaires de l'habitation menaçant ruine), définir la procédure de notification aux propriétaires ou aux occupants afin qu'ils assument leurs responsabilités et identifier les mesures à prendre en cas de non-exécution de travaux ou au cas où il s'avère impossible de connaitre l'identité des personnes concernées. En effet, la loi n°94-12 sur le menaçant ruine comble le vide juridique qui a, pendant longtemps, caractérisé ce domaine. Parmi les innovations majeures de ce texte, il convient de mentionner tout d'abord la définition claire du bâtiment menaçant ruine qui est « tout bâtiment dont l'effondrement partielle ou total est susceptible de constituer une menace pour ses occupants, ses voisins et aux passants » La deuxième innovation de cette loi est qu'elle responsabilise directement le propriétaire en instituant l'obligation d'entretien et de réparation sous peine de sanctions. En effet tout propriétaire qui refuse d'exécuter les travaux d'entretien exigés par l'administration est passible d'une peine de prison de un à trois mois et d'une amende allant de 30000 à 50000 dh. Lorsqu'un propriétaire loue un immeuble classé par les services municipaux comme menaçant ruine, il encoure une peine allant de trois mois à un an de prison et une amende allant de 50000 à 300000 dh. En cas de défaillance du propriétaire, le président du Conseil communal est tenu de procéder à l'identification des immeubles menaçant ruines et à procéder soit à leur réparation soit à leur démolition en recourant, le cas échéant, à la force publique. Si le président refuse d'exercer ses compétences, l'autorité locale peut se substituer à lui et procéder directement aux démolitions nécessaires et ce aux frais du propriétaire. Mais l'innovation la plus importante de loi réside dans la création d'une Agence Nationale de Rénovation Urbaine et de réhabilitation des bâtiments menaçant ruine en lui octroyant les prérogatives de la puissance publique afin de lui permettre de mener à bien les missions qui lui sont assignées en matière d'élaboration d'études, de stratégies, de programmes urbains et de projets relatifs à la rénovation urbaine et à la réhabilitation des tissus et des bâtiments menaçant. L'Agence a le statut d'établissement public géré par un directeur et un Conseil d'Administration présidé par le Ministre chargé de l'Habitat et de la politique de la ville. Risque de chevauchement des compétences de l'Agence avec les autres acteurs Malgré toutes les précautions prises, la nouvelle loi comporte un grand risque de chevauchement des compétences avec celles des collectivités locales et des agences urbaines, ce qui annonce de nombreux conflits d'attributions entre les multiples acteurs qui interviennent déjà dans ce domaine et risque de neutraliser l'Agence à créer pour lutter contre le menaçant ruine. En effet, toutes les compétences confiées à l'Agence sur le menaçant ruine se retrouvent en partie chez le conseil municipal, en partie chez l'autorité locale et en partie chez l'Agence urbaine. Benabdellah a échoué dans les concertations interministérielles à doter l'Agence du menaçant ruine d'un territoire exclusif d'intervention, comme l'Agence Bouregreg. De même l'Agence n'a aucune représentation territoriale. Du coup pour intervenir, elle est obligée de passer par les autres acteurs qui maîtrisent les territoires et qui sont réunis dans la Commission administrative instituée par la loi. Et rien ne laisse penser que ces acteurs territoriaux vont laisser la nouvelle Agence réussir là où ils ont échoué. En attendant de trouver des issues à ces conflits de compétences qui se profilent à l'horizon, la ruine va continuer à ronger nos villes, nos médinas et nos Ksours, comme vient de le rappeler le dernier drame survenu à Casablanca. Des réalisations gouvernementales très limités En quatre ans le programme du gouvernement dans le domaine de la lutte contre l'habitat menaçant ruine n'a permis de traiter que 4.086 sur 43.000 habitations, selon le recensement réalisé en 2012. Beaucoup d'observateurs pensent que le Ministre Benabdallah est tombé dans un piège en acceptant de s'occuper du menaçant ruine, un dossier explosif dont le Ministère de l'Intérieur a voulu se débarrasser. L'actualité leur donne raison. Avec le vieillissement progressif du parc logement, la prolifération de l'habitat clandestin et le non respect des règles de sécurité dans la construction, les effondrements des immeubles vont devenir de plus en plus fréquents. Le cas de l'immeuble qui vient de s'effondrer à Sbata est un exemple qui malheureusement est appelé à devenir de plus en plus fréquent. Certes l'enquête est en cours. Mais les premiers éléments d'information recueillis montrent qu'il s'agit d'un immeuble de R+1 sur lequel le propriétaire a ajouté trois étages sans renforcer la structure initiale du bâtiment. C'est un cas très fréquent dans les logements économiques et dans l'habitat clandestin. C'est dire toute l'ampleur des drames à venir. Comme à son habitude, Benabdallah s'est empressé de réagir avec la clôture de l'enquête en rejetant la responsabilité sur les services de l'Intérieur et de l'urbanisme. Visiblement, le Ministre Benabadallah veut seulement le privilège de la compétence et les moyens de l'Agence de réhabilitation, mais il refuse d'assumer la responsabilité du secteur. Mais celui « qui aime le Saint doit l'accepter avec tous ses ustensiles, comme dit le dicton populaire ». S.ALATTAR