Les grandes enseignes ont adopté des stratégies nouvelles de développement. Tandis que certaines se restructurent, d'autres se repositionnent en adoptant de nouveaux concepts de magasins et une nouvelle politique de prix. Au cours du deuxième semestre 2009, les premiers résultats de ces stratégies annonceront une nouvelle configuration du marché. A quelques jours seulement de l'ouverture de l'hypermarché Marjane à Saïdia, la tension monte à l'extrême au sein du top management de Marjane Holding. Mouatassim Belghazi, le président directeur général de l'ONA, met la pression pour inaugurer ce grand magasin à temps, soit début juin. Cela coïnciderait avec le lancement officiel de la station balnéaire de la ville. Pour une grande enseigne comme Marjane, une installation dans une ville avant tout le monde renforce sa stratégie d'expansion et de couverture géographique. L'ouverture de magasins dans de nouvelles villes augmente le chiffre d'affaires de l'enseigne, ce qui génère encore plus de cash flow, qui pourra être mobilisé pendant plusieurs mois, et qui pourra servir à des projets d'expansion. Elle permet également de renforcer la centrale d'achat. Plus le réseau grandit et plus la commande s'élargit, plus l'enseigne négocie les prix des produits avec ses fournisseurs. Sur ce dernier point, c'est une autre stratégie qui se réalise. Marjane est leader sur le marché marocain avec 18 hypermarchés (y compris celui de Saïdia). Avant l'arrivée de Carrefour, lorsqu'elle négociait les prix avec les fournisseurs, elle mettait en avant le poids de son réseau étendu de magasins. Mais c'était sans compter sur l'introduction sur le marché des produits de marque propre de Carrefour (MDD). Ce qui a bouleversé tous les calculs. Désormais, la guerre des prix est précédée d'une guerre d'espionnage entre les responsables marketing des deux enseignes (Label'Vie et Marjane). Guerre des prix et MDD Chaque jour que Carrefour Salé baisse les prix, le lendemain, Marjane annonce des promotions. Mais Marjane se retrouve devant un concurrent sérieux en matière de politique de prix. L'on se souvient que l'équipe Export de Carrefour (France) s'était déplacée au Maroc durant la deuxième semaine de février. Le but n'était pas seulement d'assister à l'inauguration de l'hyper de Salé, mais surtout de faire un tour du côté de la zone franche de Tanger. A Tanger Med, Carrefour a un grand projet qui définirait sa future politique logistique. Elle cherche à délocaliser son principal et gigantesque entrepôt situé à Valence, en Espagne, où le géant réalise son deuxième meilleur chiffre d'affaires au monde, à Tanger. Grâce à cet entrepôt, elle approvisionnera aussi les hypermarchés Label'Vie, optimisant ainsi le coût de la logistique et permettant une disposition de la marchandise. Dès l'instant où Marjane a appris les intentions de Carrefour, elle a élaboré un plan stratégique. Il s'agit d'étendre le réseau des plateformes de distribution. Sur le terrain, Marjane va disposer de plusieurs entrepôts régionaux pour réduire les frais de logistique (Saïdia, Fès...). Il faut dire que même les grandes enseignes comme Aswak Assalam, Label'Vie ou Hanouty sont sur cette voie. «La stratégie des grandes enseignes de la distribution au Maroc s'articule autour de 5 axes: développement et expansion (réseau magasins), merchandising (agencement et implantation produits), formation (RH), plateformes de distribution (entrepôts régionaux) et création de marques propres (MDD)», explique A. Lamouri, DG de Synergic. La question de l'entrepôt et du pouvoir de la centrale d'achat a pénalisé l'enseigne Hanouty Shop à ses débuts. Et même par la suite, quand elle a disposé d'un entrepôt à Médiouna, elle a rencontré des problèmes avec ses franchisés qui se sont approvisionnés directement de chez les fournisseurs de Hanouty pour avoir plus de marges de bénéfices. Actuellement, la chaîne est à 150 magasins dont 30 propres. Les dossiers des franchisés sont passés au peigne fin. La chaîne est devenue beaucoup plus regardante en matière d'emplacement, un critère pris à la légère au début. Et pour cause ! Elle avait le souci d'atteindre un objectif de 300 magasins. Aujourd'hui, Hanouty a créé un nouveau concept, qui s'éloigne un peu de l'épicerie du coin et qui se rapproche beaucoup plus de la tendance de la concurrence. Elle va tester dans quelques jours (juin) sa première superette (200m2) comprenant presque tous les rayons de produits frais (boucherie, légumes et fruits). Ce magasin est un magasin propre. La chaîne ne compte pas pour l'heure franchiser ce concept. Son objectif: renforcer la centrale d'achat pour négocier des prix bas. La question des plateformes régionales et la refonte du merchandising est aussi au coeur de la stratégie de Aswak Assalam. L'enseigne ouvrira d'ici le mois d'août deux nouveaux magasins sur Casablanca, situés à Belvédère et Ouled Ziane, au rez-de-chaussée d'un immeuble qui abritera le nouveau siège de la chaîne filiale du groupe Ynna Holding. BIM, le hard discounter turc, possède sa plateforme logistique à Ain Sebaa à Casablanca. La superficie de ses magasins varie entre 200 et 300 m2. Le turc a créé un entrepôt dans le but d'atteindre le même objectif, mais en adoptant une politique différente. Ainsi, contrairement aux autres enseignes, la relation avec les fournisseurs est toute autre: BIM n'a pas exigé des droits d'entrée ou de référencement, pas de retour de marchandise, ou que ses magasins soient approvisionnés directement. Ce qu'il a demandé par contre, c'est une remise de fin d'année et une remise importante sur les prix. Mais la grande politique prix d'un hard discounter demeure les MDD (marques de distributeurs). BIM est en train de négocier des contrats dans ce sens. Il a déjà exigé les résultats techniques des analyses de ses produits aux fabricants. Dans la même lignée, l'on apprend que les grandes enseignes négocient elles aussi des contrats de fabrication de produits de marque propre dans l'agroalimentaire pour cette année 2009. Décidément, c'est la guerre des prix qui s'annonce. La chaîne Metro, qui dispose déjà d'une gamme variée de MDD, est confinée dans sa logique de Cash and Carry, c'est-à-dire qu'elle travaille avec des gens patentés. Donc, la stratégie merchandising n'est pas la même que celle des autres enseignes. Nouvelle stratégie de merchandising Le 18e hypermarché Marjane qui ouvrira ses portes en juin à Saïdia répond à une architecture intérieure d'agencement et d'assortiment des produits tout à fait nouvelle. Une stratégie de merchandising que la holding a entamée depuis quelque temps. Le leader national des hyper a en effet testé cette méthode en vogue en Europe. Pour être bien précis, un avant-goût a été découvert avec l'ouverture de Marjane Kénitra l'année dernière. Ce concept inédit consiste à passer de l'architecture classique, aujourd'hui dépassée en Europe (allée centrale à l'entrée à gauche où on passe par l'électroménager puis le bazar, puis le textile, les produits de grande consommation et enfin les produits frais) d'un hyper segmenté en plusieurs univers (univers blanc, univers culture...) à une nouvelle configuration du magasin beaucoup plus attrayante. Le choix de cette stratégie marketing est dictée par le comportement du client tout au long de sa tournée au sein de l'hyper. Mais Marjane, qui est pionnier dans cette stratégie, fait les choses dans la douceur pour voir si le client acceptera ce changement. «Shop-in-Shop» L'autre stratégie marketing de Marjane (que Aswak est en train d'échafauder aussi) toute récente celle-ci, que le top management est en train de tester sur ses deux hypermarchés de Rabat et Fès, c'est le principe du «Shop-in-Shop». A l'opposé de l'image ancienne d'un hyper aux linéaires trop remplis, Marjane va bouleverser la conceptualisation traditionnelle d'un hyper. Il s'agit de créer des magasins au sein du magasin. Le nouveau concept, réalisé actuellement sur Rabat et Fès, permet de mieux mettre en avant un univers où le produit phare (machine à laver par exemple) est proposé avec tous les accessoires requis (détergent, fer à repasser...). Le merchandising de ce nouveau concept est particulièrement épuré. «Ce concept permet de sortir d'un agencement classique en rayons à une configuration en petits magasins. C'est ce qu'on appelle la «vitenamisation». C'est un sous-positionnement par rapport au positionnement par secteur», explique A. Lamouri, expert et directeur général de Synergic. Le «Shop-in Shop» permet à Marjane d'être en avance sur ses principaux concurrents, Aswak Assalam et Label'Vie-Carrefour. Le troisième volet de la stratégie de merchandising de Marjane est le nouveau concept que la holding est en train d'expérimenter à Khéribga. Il s'agit de transformer des supermarchés Acima en mini-Marjane d'une superficie de 1.500 m2. Le but étant d'être à proximité des clients à l'intérieur de la ville. Ces trois volets, qui versent dans une même stratégie marketing, s'ajoutent à la guerre de place, une autre manière de gonfler la marge net des grandes enseignes. La marge net sur les produits distribués ne dépasse guerre les 2%. Au vu du chiffre d'affaires réalisé (près de 7 milliards de DH pour Marjane Hyper), les bénéfices paraissent raisonnables. Mais pas alléchants. Les grandes enseignes poursuivaient depuis longtemps une autre politique. Elles tiraient profit des droits d'entrée et de référencement ainsi qu'une remise de fin d'année pour gonfler les caisses. C'est ce qu'on appelle la marge arrière, qui se situe entre 6 et 8% du chiffre d'affaires. Sachant que la logique de la grande distribution est purement financière, et constatant le souci de couverture géographique avant les autres, ces enseignes ont créé une autre source de revenus. C'est la location à l'intérieur du magasin de rayons au profit d'un producteur, au grand dam de son concurrent. La location pour toute l'année rapporte gros. Immobilier de location ou shopping shop ? Cette formule n'étant pas suffisante pour certaines grandes enseignes, elles développent le concept de shopping shop. C'est ce qui annoncera la nouvelle configuration du marché des hyper. Les grandes enseignes Marjane Holding, Aswak Assalam et Label'Vie affinent en effet leur stratégie, basée sur la construction de surfaces dépendantes de celles de l'hypermarché pour le shopping. Il faut avouer qu'encore une fois, l'enseigne Marjane Hyper est pionnière. L'enseigne l'a en effet testé à Marrakech et les résultats obtenus l'ont encouragée à aller de l'avant. Mais comment en est-on arrivé là ? Jusqu'à un passé proche, les hypermarchés Marjane créaient des espaces shopping à l'intérieur de l'espace construit du magasin, à l'image de Marjane Sidi Maarouf et Idrissia à Casablanca. En plus d'un pas de porte, elles louaient des espaces de vente à des franchises. Cela s'est avéré être une mine d'argent. La réflexion a commencé pour développer ce concept. Il y a quelques mois, Marjane a procédé à l'extension de l'hyper Marrakech. Elle a acquis deux terrains dépendants de l'hyper et a construit des magasins de shopping qu'elle louera aux franchises. Du coup, le concept a porté ses fruits. Actuellement, ce même concept est développé au Marjane Hay Riad à Rabat. Cela permettra à l'enseigne de se positionner devant Carrefour Salé. Car, en plus de Hay Ryad, l'hyper de Bouregreg est un concurrent sérieux de l'enseigne française. Dans la même ligne de mire, l'hyper de Bouregreg sera supprimé pour être relogé dans l'enceinte du projet de Bouregreg avec le concept du shopping shop. Ce sera en effet la tendance dans les prochaines années. L'immobilier de location se développera avec le temps. Et c'est dans ce sens que Marjane est en train de développer le concept des magasins spécialisés. ElectroPlanète, spécialisé dans l'électroménager, en est la preuve. Le premier magasin, ouvert depuis près de 7 mois, a été implanté à proximité de l'hyper de Marrakech. L'enseigne mise sur le flux clients du magasin pour garantir le succès d'ElectroPlanète. Le deuxième verra le jour en juin à Casablanca et le troisième à Rabat. Tout bien pensé, les stratégies de merchandising, de couverture géographique, de shop-in-shop et de shoping shop ne sont qu'un moyen de former dans les prochaines années des grands groupes qui seront appelés à manger les petits. Si Label'Vie s'adosse aujourd'hui à l'expertise de Carrefour, rien n'empêche une grande enseigne de s'associer dans deux ou trois ans au turc hard-discounter BIM. D'ailleurs, le business plan de ce dernier (dont les grands axes ont été révélés par Challenge) montre que l'enseigne a prévu un partenariat avec un grand groupe du secteur. Ce ne sera pas Label'Vie, qui s'est associé à Carrefour, et dont les produits de marque propre sont concurrents de ceux du turc. Quant à Aswak Assalam, il fera son entrée sur le marché casablancais dans les deux mois à venir à travers deux magasins bien placés. Aujourd'hui, tout est question de foncier. Et celui qui en dispose le plus dictera la nouvelle configuration du marché.