Le capital investissement est une discipline qui arrive à maturité dans notre pays. La floraison des fonds et la croissance exponentielle qu'a connues ce marché dénotent du dynamisme du secteur. Toutefois, nos capitaux-risqueurs restent prudents et préfèrent les secteurs à profil de risque doux. Pis encore, il n'existe que très peu de fonds spécialisés dans la création d'entreprises. L'état semble vouloir prendre le relais pour cette mission d'intérêt public. A ussi incroyable que cela puisse paraître, le capital-risque est né avec un certain Christophe Colomb et le pionnier de cette technique n'est autre que la reine Isabelle de Castille», avance Borja Garcia-Nieto, président du groupe financier Riva y Garcia, devant une assistance presque médusée. On pourrait y voir un chauvinisme espagnol qui voudrait faire du monarque espagnol et de son époux Ferdinand des pionniers d'une discipline qui, à proprement parler, est née avec la finance moderne. Mais, le banquier espagnol s'en défend et explique son propos : «Christophe Colomb avait un projet, découvrir le nouveau monde, et pas de moyens à sa disposition pour le mener à bien. Isabelle la Catholique les lui a donnés et a pris le risque avec lui». CQFD pourrait-il dire, mais loin s'en faut, le plus important, c'est de saisir le principe de cette technique financière. De manière plus orthodoxe, Fawzi Britel, associé gérant du cabinet Deloitte, donne une définition au capital investissement : «C'est un apport de fonds propres et d'un savoir faire». Le but ultime de cet outil de financement reste la création de valeur. Une décennie de rodage Après une décennie de rodage, ce métier a connu un développement exponentiel au Maroc ces dernières années. En effet, il est passé de 400 millions de DH en 1996 à plus de 5 milliards actuellement. Cette évolution exponentielle s'explique par la floraison de fonds d'investissement dans le giron du développement du secteur financier marocain. Il est loin le temps des précurseurs de l'étoffe de Saâd Bendidi qui, en 1992, a créé un fonds de 50 millions de dirhams nommé «Mousahama». Aujourd'hui, le fonds Mutandis ne représente pas mois de 770 millions de dirhams. Mais au-delà de la problématique de taille, c'est surtout la spécialisation des fonds qui pose problème. En effet, Fawzi Britel déplore : «Les fonds de capital création restent très faibles dans notre pays et il y a très peu de fonds d'amorçage», avant d'être plus catégorique : «Les business angels n'existent pas dans le royaume». Le capital investissement reste cantonné dans une logique opportuniste pure. Car nonobstant le fait que notre pays soit rangé parmi les économies émergentes, le comportement en la matière est très proche de ce qui se passe dans les pays développés. La multitude de fonds qui peuplent la sphère économique nationale ne sont pas friands de risque, ou comme l'avance Adil Douiri, créateur du fonds Mutandis : «Nous préférons investir des secteurs où le profil de risque est doux». D ‘autant plus que le fonds de l'ancien ministre se spécialise dans le capital transmission. Cette technique permet aux entreprises locales de sortir du capitalisme familial. Pour Adil Douiri, il s'agît avant tout de prendre le relais dans la gestion d'entreprises dont la renommée est établie. D'ailleurs, pour minimiser le risque, Mutandis ne choisit que des entreprises qui ont une relation directe avec le client final. Le B2C est une garantie contre le risque. Mais il ne s'agit nullement pour ce fonds de laisser ces entreprises telles quelles, puisqu'elle vivent leur vie, mais bien au contraire de les doter d'une vision stratégique et d'un business plan en bonne et due forme. «Il s'agit pour nous d'accélérer le développement de ces entreprises, c'est en quelque sorte notre apport à la communauté», explique Adil Douiri. Si l'on comprend très bien la valeur de ce travail, surtout en ce qui concerne la mise à niveau des entreprises nationales avec en ligne de mire la libéralisation des échanges. Il n'en reste pas moins que le capital-risque est censé être un levier de développement de la création d'entreprises. Or, selon les dires de Fawzi Britel : «cette fonction reste quasi inexistante dans le royaume». Pire, «le capital investissement ne s'adresse pas aux petites et moyennes entreprises dans notre pays». Adil Douiri défend son corps de métiers : «Par définition, le capital pour création est plus petit. Car les besoins pendant la phase de création sont par nature moins importants». De toutes les manières, les fonds suivent la demande et il est de bonne guerre de tout faire pour que leur business soit rentable. Quid de l'état ? N'est-il pas le plus amène à mener des missions d'intérêt public ? La réponse des officiels n'a pas tardé à venir. Le top management de l'AMPE a annoncé la création de trois fonds de 100 millions de DH chacun. Le premier sera dédié à la création, le deuxième au développement et le dernier à la transmission. Une initiative louable et qui ne manque pas d'intérêt si elle ne se fige pas au stade du projet. Les fonds toujours majoritaires En matière de capital investissement au Maroc, il est une donne qui reste constante au niveau de tous les fonds existants. Il s'agit du fait que tous ces fonds cherchent de facto une position majoritaire dans les entreprises où ils investissent. Selon les spécialistes, la position minoritaire est difficile à gérer. Elle est même intenable selon les dires d'un gérant de fonds. Le capital investissement ne se contente pas d'apporter du capital à l'entreprise. Il s'agit avant tout d'apporter un capital intelligent. Cette notion indique l'implication du fonds dans la gestion de l'entreprise. Ainsi, elle apporte les meilleures pratiques et après des études étayées, choisit une stratégie globale pour l'enseigne. Mais cela ne s'arrête pas à l'établissement d'un business plan. Les gestionnaires de fonds s'engagent dans l'opérationnel et leur savoir-faire est une garantie en soi. Toutefois, Adil Douiri tient à faire une dichotomie fondamentale. Les bailleurs de fonds ne s'immiscent pas dans la gestion et les gestionnaires ont toute la latitude de prendre des décisions managériales, du moment qu'ils opèrent dans l'intérêt des investisseurs. Aussi, ces éléments montrent la nécessité de s'installer en majoritaire pour pouvoir mener à bien le travail.