Faire un parallèle entre la protection du consommateur et celle des actionnaires minoritaires s'est imposé. La société au sens civil du terme représente à bien des égards la société dotée d'un capital. La lecture du projet de loi sur la protection des consommateurs insiste sur les jalons d'un verrouillage de l'action revendicative, à l'image de celle fixée par les textes sur la S.A ou encore la SARL. Ils appartiennent à une catégorie d'actionnaires particulière. Ils ne profitent guère des opportunités qu'offre la position d'actionnaires majoritaires. Les minoritaires représentent une classe d'actionnaires plus fragile que les autres. L'actionnaire de référence a incontestablement une longueur d'avance sur la foule des minoritaires. Les protéger est d'autant plus d'actualité que le cadre juridique accorde cette prérogative au commissaire aux comptes. Comment explique-t-on que jusqu'à présent, aucune association représentant les actionnaires minoritaires n'ait encore vu le jour ? A qui la faute ? Et bien, il se trouve que les raisons vont bien au-delà d'un défaut de mouvement. «Nous sommes face à une situation où les intéressés sont beaucoup plus dans une logique de boursicoteurs. Les minoritaires n'adhèrent pas à une vision de permanence ou encore de moyen terme», explique à ce sujet Zakaria Fahim, expert-comptable et commissaire aux comptes. Comment cela se déroule-t-il sous d'autres cieux, où la protection du consommateur donne lieu à une véritable organisation, tant des instances civiles qu'administratives, les minoritaires se regroupant afin de défendre leurs intérêts. Ils utilisent un organe qui est notamment destiné à servir d'interface entre les comptes et les actionnaires majoritaires. Avec leurs quatre à cinq actions, les petits porteurs peuvent également se constituer en minorité de blocage. Très rares sont les affaires jurisprudentielles recensées à ce niveau. L'une d'entre elles est celle qualifiée d'abus de minorité. Le cas d'espèce concerne le refus de la minorité face à une augmentation de capital. Le juge a débouté les plaignants, arguant que l'opération d'augmentation de capital se faisait dans l'intérêt de l'entreprise. En se présentant devant le juge en tant qu'association, les revendications de la minorité auraient-elles eu plus de poids ? Autre affaire. En 1998, la BNDE a procédé à une augmentation de capital pour porter sa participation à 80% dans le capital de la BMAO, dans l'optique d'une fusion. Mais la fusion n'a jamais réussi, la justice a bloqué l'opération. Les actionnaires minoritaires de la BMAO ont intenté une action en justice pour stopper ce qu'ils considéraient comme une malversation, dans la mesure où l'offre proposée par la BNDE (une action BNDE pour 10 actions BMAO) était dérisoire. Au sein des sociétés cotées, le système est verrouillé et tout est mis en oeuvre pour tenter d'arracher le consentement de la minorité légale. Même si, sur le plan législatif, des dispositions s'occupent de la préservation des droits des minoritaires. En ce qui concerne les sociétés faisant appel à l'épargne publique, il est stipulé que tout actionnaire minoritaire doit être informé de la manière dont la société est conduite. Il a même la possibilité de s'opposer à toute décision prise durant les assemblées générales extraordinaires et ce, à la condition qu'il existe une minorité de blocage qui équivaut à un tiers de voix plus une. Par ailleurs, les minoritaires ont, de par la loi, un droit de regard sur le contrôle de la légalité quant aux participations aux assemblées générales. Il se traduit par la possible révocation du commissaire aux comptes et la désignation d'un expert chargé de présenter un rapport de gestion. Par ailleurs, lors des assemblées générales ordinaires, s'ils réunissent 1/10ème du capital social, les actionnaires minoritaires peuvent intervenir dans la convocation de l'assemblée en cas d'inactivité du conseil d'administration. De plus, ceux qui détiennent au moins 5% du capital ont la possibilité d'inscrire à l'ordre du jour des projets de résolution. Au cas échéant, si ce droit n'est pas pris en compte, il s'en suivra la nullité des délibérations. Étant donné cet arsenal de droits, reste à savoir ce qu'il en est de l'application. De parole d'expert, “ ces droits sont très peu exercés. Nombreux sont ceux qui pensent que la justice est lente. Par ailleurs, comme les minoritaires ne sont pas regroupés en association, les dépenses engendrées par ce genre d'initiatives sont décourageantes. Une association leur permettrait de mutualiser les coûts”, estime Zakaria Fahim. En termes de recours, c'est la saisine directe du président du tribunal qui leur est offerte. C'est ainsi que si les minoritaires représentent au moins 1/10ème du capital, ils peuvent demander au président du tribunal la récusation ou encore la révocation du commissaire aux comptes. Ils ont également la possibilité de demander à la haute instance du tribunal de désigner un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur des opérations de gestion. Il peut également se trouver qu'un projet de fusion lèse les actionnaires minoritaires. Et ce même si le texte de loi prévoit “l'accord unanime des actionnaires ». Faute de constituer un groupe de force, l'institution du commissaire aux comptes devrait parer au plus urgent. “Si la loi accorde aux dirigeants la responsabilité d'arrêter les comptes, de mettre en place un dispositif de contrôle interne ou celui d'une organisation qui fonctionne, elle désigne également en le commissaire aux comptes le rôle de garant et d'appui des droits des minoritaires”, indique à ce sujet notre praticien. Si les minoritaires ne prennent pas leurs responsabilités en abandonnant leur posture de spectateurs, les actionnaires de référence continueront à faire cavalier seul. Un peu de benchmark En matière de droit des actionnaires minoritaires, l'expérience française est fort édifiante. Car dans l'hexagone, on ne compte pas moins de trois grandes associations qui ont fait leurs preuves dans le domaine, sans compter les associations spécifiques. L'association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM), créée en 1991, est la plus médiatisée des associations dont l'objet est de défendre les intérêts collectifs des investisseurs. En 1998, elle conteste les modalités d'absorption d'Havas par la Compagnie Générale des Eaux et obtient près d'un milliard d'euros supplémentaires pour les minoritaires d'Havas. Mais, au-delà du simple fait de revendiquer et de défendre, l'association des petits porteurs actifs (APPAC) a été créée dans le but de participer aux conseils d'administration et de ne pas fuir les responsabilités. À nos acteurs nationaux d'en prendre de la graine pour sortir de leur logique de boursicoteurs du dimanche.