Avec la crise financière internationale et la chute vertigineuse des cours du pétrole, les investisseurs arabes ne risquent-ils pas de revoir leur rythme d'investissements à la baisse, voire tout simplement annuler les projets à venir? Je ne pense pas que quelqu'un détienne une réponse tranchée à cette question, car il y a autant d'arguments qui pèsent pour le maintien ou même le renforcement des investisseurs arabes au Maroc, que d'arguments contre», lance d'emblée Karim Fekkak. D'abord, la plupart des pays arabes qui ont investi au Maroc ont des économies solides et sont dotés d'importantes réserves en devises, que ce soit Bahreïn, l'Arabie Saoudite… Les fonds souverains de ces pays-là disposent de 1,5 trillion de dollars sous gestion, dont la moitié est détenue par l'Arabie Saoudite. Ce qui fait dire à Karim Fekkak que les investisseurs arabes ont déjà une sorte de cagnotte, un trésor de guerre, malgré la chute des cours du pétrole qui sont passés de 140 dollars à moins de 60 dollars le baril, et qu'ils ont de toute façon besoin de s'exporter. «Autrement, expliquez- moi pourquoi Gordon Brown, le Premier ministre britannique, s'est rendu en Arabie Saoudite pour solliciter leur aide financière», s'interroge-t-il. Pour sa part, Bouab Rochdi, président de Golden Tulip Farah Maroc, et par ailleurs très bien introduit auprès des investisseurs arabes, témoigne dans le même sens: «aujourd'hui, il n'y a pas le moindre signe de ralentissement. Les chantiers continuent, et je ne pense pas qu'il y aura de projets abandonnés ou arrêtés». Les horizons de l'OCDE… Seulement, en ces temps de crise, il y a des investissements très intéressants à faire dans les pays de l'OCDE à économie stable. A ce niveau–là, deux scénarios sont alors envisageables: soit les investisseurs arabes essaient d'en profiter et de se positionner, soit ils préfèrent s'abstenir car ils savent au vu de leurs expériences passées que dans ces pays-là, ils ne sont pas chez eux. «Personnellement, je ne crois pas qu'ils investiront en masse malgré les opportunités qu'offre «ce noël avant noël», à savoir la crise dans les pays de l'OCDE. Peut-être qu'ils essaieront tout au plus de maîtriser quelques secteurs stratégiques, car ils ont toujours en mémoire l'après-11 septembre, quand leurs investissements avaient été malmenés dans certains pays industrialisés», explique Karim Fekkak. «Le problème pour ces investisseurs arabes est qu'aujourd'hui, le contrôle de flux d'argent est devenu très sévère, que ce soit aux Etats-Unis ou ailleurs. L'origine des flux financiers est scrupuleusement décortiquée. Sans compter qu'aujourd'hui, ils ne déposent plus leur argent en Suisse, car les banques ne donnent plus d'intérêt, ni aux Etats-Unis car avec le passage du régime Bush, les investisseurs arabes ne sont plus tellement les bienvenus, et idem à Londres», poursuit Bouab Rochdi. Du coup, selon certains observateurs, nous assisterons davantage à un mix entre les deux scénarios: les investisseurs arabes ne délaisseront pas les pays d'Afrique du Nord où ils ont pratiquement toute la latitude pour mener à bien leur business, et ne se rueront pas non plus sur les opportunités offertes par la crise. Cela dit, il est important de garder à l'esprit que la plupart du temps, pour financer leurs projets, les investisseurs arabes n'apportent pas de pétrodollars. L'essentiel des investissements annoncés est levé et mobilisé sur la place financière casablancaise. «D'ailleurs, dans la plupart des cas, leurs fonds proviennent également du client final. En général, ils encaissent même leur marge avant de démarrer leur projet», assure un banquier d'affaires rompu aux négociations avec les Emiratis. La question alors n'est plus «est-ce que les investisseurs arabes vont poursuivre leurs engagements au Maroc, étant donné la crise financière internationale et la chute du cours du pétrole ?», mais «est-ce que la demande va continuer à être au rendez-vous pour que leurs projets puissent continuer à voir le jour ?». En d'autres termes, la pérennité des investissements arabes, qui pour la plupart se résument à l'immobilier, dépend essentiellement d'un seul paramètre: la demande. La question est alors «Qui va acheter?». «Une question d'autant plus cruciale lorsqu'on sait que Emaar par exemple est une machine à spéculer. Ils ont des montages financiers très sophistiqués, car même pour leurs fonds propres, ils font appel à des investisseurs privés qu'ils rémunèrent d'une manière assez particulière: ils leur réservent les meilleurs emplacements dans chacun de leurs projets. Par exemple, prenez le projet de «Tinjis», aucune villa en front de mer n'a été mise en vente. Elles sont destinées à ces fameux investisseurs privés. Qui va acheter ? Mais ce qu'il faut savoir, c'est qu'elles leur sont vendues au même prix que les autres villas du projet (entre 12 et 13 millions de dirhams), de façon à ce qu'ils puissent les revendre beaucoup plus cher», explique notre banquier. Bien évidemment, pour que cette machine à spéculer fonctionne, il faut qu'il y ait des acheteurs. Résultats, les investisseurs arabes surfent sur la vague de la commercialisation à l'international. Tous sont partenaires ou actionnaires de réseaux internationaux d'agences immobilières. Seulement, les acheteurs européens et américains risquent de ne plus être au rendez-vous, vu l'entrée en récession de la plupart des économies des pays industrialisés. «Le marché va probablement être difficile durant les trois prochaines années, à moins qu'une clientèle arabe importante ne se mette à acheter en masse. Pour ce qui est de la demande domestique, elle existe, notamment grâce à l'économie souterraine qui investit massivement dans l'immobilier. Seulement, elle reste insuffisante vu le nombre de villas en vente et dont le prix va de 1 million à 3 millions de dollars», affirme Karim Fekkak. «Il y a aura sans doute un ralentissement, dans la mesure où la plupart des investisseurs seront dans l'expectative, ce qui se traduira forcément par une baisse des nouveaux projets en 2009», poursuit Bouab Rochdi. Mais selon certains observateurs, le Maroc restera malgré tout une belle plate-forme pour les investisseurs arabes, car même nos pays concurrents sont hors jeu : le Liban en raison des attentats qui y sont perpétrés, la Tunisie n'offre pas le même produit que le Maroc, et l'Egypte reste moyennement attrayante. Et à Karim Fekkak d'ajouter: «les investisseurs arabes vont sans doute ralentir le rythme et jouer la montre, mais pas au point de fatiguer le gouvernement et de perdre leurs projets». Car tous ont signé des conventions d'investissement avec le gouvernement, ce qui leur confère des avantages fiscaux…, mais à condition de respecter les délais de réalisation. «Au pire des cas, nous avons des champions nationaux qui peuvent venir à la rescousse en reprenant les projets déjà lancés. N'est-ce pas ce qui s'est passé pour Fadesa avec Addoha et pour Port Lixus avec Alliances ?», conclut Karim Fekkak. ◆