Comprendre les rapports d'audit établis par les commissaires aux comptes est considéré comme un luxe. Son importance résulte directement de la protection des actionnaires minoritaires. Leur protection repose sur la connaissance des fondamentaux de l'entreprise Qui sont ceux qui ne font pas que feuilleter rapidement les pages des publications financières en y jetant un coup d'œil distrait, lorsqu'elles alourdissent les journaux à des périodes récurrentes ? Une source d'information inestimable pour les analystes financiers, puisqu'elles concernent les investissements de leur clientèle. Hormis les institutionnels, il y a cette masse anonyme de petits porteurs qui, souvent par mimétisme, placent leur épargne. Ceux que les chiffres embrouillent et qui sont incapables de justifier leurs choix par des arguments à connotation purement financière. «Il existe un véritable handicap en termes de lecture. Il faut être un initié pour comprendre. Force est de reconnaître que c'est la principale contrainte pour les petits porteurs », reconnaît cet expert-comptable, lui-même à l'origine de ces rapports d'audit. La difficulté de la transmission des données au commun des mortels est inhérente à cette approche technique adoptée par les praticiens. On peut aisément répliquer qu'il ne s'agit pas d'une exception nationale. Loin de là. Sauf que sous d'autres cieux, des filets existent pour ne pas exclure cette catégorie de souscripteurs, qui ces dernières années au Maroc a envahi en masse le place casablancaise. «C'est l'inexistence d'associations d'actionnaires minoritaires qui amplifie le problème», ne manque pas d'ajouter la même source. Un constat que cet autre auditeur ne dément pas. «Aujourd'hui, l'idée de développer une association d'actionnaires minoritaires n'effleure même pas les esprits. Les gens n'ont pas encore compris que l'union fait la force. C'est carrément une question de pédagogie», explique à son tour Zakaria Fahim, expert-comptable et commissaire aux comptes. À en croire nos intervenants, une association reste le seul moyen efficace de vulgarisation. Elle servirait de plate-forme à l'explication de la formulation comptable ; peu à peu, les membres s'initieraient à ce genre de langage. Selon un témoignage, il se trouve que «80% des petits porteurs ignorent ce qu'est un commissaire aux comptes ». Et puis sur le ton de la plaisanterie, Zakaria Fahim donne plus d'explications : «nous représentons un métier ingrat. Le terme de commissaire renvoie même à une notion sécuritaire, celle de commissaire de police». L'ignorance des petits porteurs C'est dire l'ignorance à laquelle sont voués les petits porteurs ! Mais à qui revient le rôle de les informer ? Et par ailleurs, le rapport qu'émet l'auditeur est-il suffisant pour connaître la valeur réelle de l'entreprise ? À ce sujet, les concernés sont unanimes pour souligner qu'« il s'agit uniquement d'une certification des comptes que la société a établie en se référant à un référentiel comptable. Ce sont les analystes qui réalisent la valorisation. Le bilan donne une valeur qui est éloignée de la valeur réelle». Quant au business-plan, sur lequel se base en général les appréciations sur une entreprise, il ne transmet que les hypothèses du management. Pour cet analyste financier, «nous partons du principe que l'information est fiable. A charge pour nous, à partir de ce qui relève des provisions, de voir ce que vaut l'entreprise. La tendance des investisseurs est de revenir vers les fondamentaux et les valeurs réelles», confie-t-elle. Comme le reconnaît Zakaria Fahim : « les analystes financiers sont les autres partenaires de ce processus. Ils peuvent remédier à la situation en émettant des corrections. Ils sont des prescripteurs, ils contribuent à orienter les petits porteurs dans leur prise de décision. Leur mission consiste à lire, tout d'abord, puis à analyser le rapport d'audit, puis à en faire ressortir la substance et à la mettre à la disposition du boursicoteur», estime-t-il. Les documents d'audit tiennent lieu de matières premières, que l'analyste analyse et exploite dans le dessein d'informer ses clients souscripteurs. Faute de quoi, les non-initiés ne relèvent nullement que «lorsqu'il s'agit de réserves autres que techniques et qui se réfèrent à des provisions de créances relatives à la clientèle à hauteur de 30%, la majorité des actionnaires ignorent que cela engloutit une part des résultats énoncés». L'importance est telle que la formation représente la meilleure alternative. «Elle est également l'un des soubassements de l'intérêt de se regrouper, car cela favorise l'échange. Il faut reconnaître que la communauté des actionnaires est très hétéroclite, ils sont de profils très diversifiés», précise Zakari Fahim. Et en endossant sa casquette de membre du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD), il lance au passage la journée de la «Finance pour non financiers», destinée aux Cjidistes. Tenez-le vous pour dit. Jamal Maâtouk, conseiller juridique chez Juris Land «Ils ne peuvent pas être lus par les profanes» Challenge Hebdo : la protection des petits porteurs est-elle bafouée par la difficulté à décrypter les rapports d'audit ? Jamal Maâtouk : il est clair qu'il n'y a pas de compréhension des rapports des commissaires aux comptes. Ils ne peuvent pas être lus par des profanes. Les auditeurs doivent dresser leurs rapports de la façon la plus lisible. Il est surtout évident qu'il faut simplifier les choses et introduire des notions plus « vulgaires » et accessibles au grand public. Je dirais même que les commissaires aux comptes devraient adopter une approche tautologique. Autrement dit, ils pratiqueront une formulation technique pour ensuite l'expliquer, en usant d'un style explicite. C. H. : selon vous, quelle autorité devrait intervenir pour améliorer la situation ? J. M. : à ce niveau, il est incontestable que c'est au législateur d'intervenir afin d'émettre une réglementation, qui viserait la simplification et la démystification de l'information financière. L'Etat doit jouer un rôle de sensibilisation et de vulgarisation au profit des petits porteurs. C. H. : quelles sont les conséquences qui nuisent aux actionnaires minoritaires ? J. M. : cela favorise le désintérêt de l'actionnaire minoritaire. Il devient cet actionnaire fantôme. D'ailleurs, d'autres facteurs concourent à cette situation. D'une part, la tenue des assemblées générales des sociétés cotées se tient généralement durant la même période. Elles se déroulent en simultané. Et comme les portefeuilles des petits porteurs sont généralement diversifiés, ils ne savent plus où donner de la tête. Par ailleurs, un effet psychologique intervient également, qui incite le minoritaire à l'absentéisme. Il est dépassé par les discours tenus durant ces assemblées. Une fois qu'il s'est décidé à participer à l'une d'entre elles, il lui faut se soumettre à des procédures et à des formalités qui en décourageraient plus d'un.