Ils s'agrippent aux pylônes électriques, arrachent les câbles de la voie ferrée et des bouches d'égouts. Ces actes de vandalisme ne traduisent pas un simple désir de destruction ou une impulsion psychédélique. Il s'agit bel et bien d'opérations mercantiles. Les instigateurs sont issus de différents horizons et ces vols entrent dans un processus bien huilé et rodé. Les autorités ne cessent de recevoir des plaintes déposées par les entreprises qui subissent ces exactions. lesquelles, du coup, enregistrent des pertes sèches de plusieurs millions de DH annuellement et un manque à gagner pour l'Etat de plus de 2 milliards de DH, selon les conclusions d'une étude, récemment rendues publiques par la Commission Européenne. Les dégâts sont palpables à plus d'un niveau. D'ailleurs, les filières démantelées ne répondent pas toutes aux standards du crime organisé. Par ailleurs, il faut préciser que l'écoulement de ces produits bénéficie de certaines dispositions fiscales qui n'en rendent le business que plus attractif ! Finalement, à qui profite le vol ? à quelque chose malheur est bon ! Cela pourrait bien être le slogan estampillé sur les pancartes des centaines de ferrailleurs approvisionnés régulièrement par des bandes de malfrats faisant des câbles de cuivre et autres métaux subtilisés leur cœur de business. Un commerce tellement florissant qu'il a fini par attiser les convoitises d'un raz-de-marée composé de groupuscules hétérogènes. Chômeurs chroniques, voleurs à l'arrachée convertis à un banditisme d'un autre genre, délinquants, vagabonds et chiffonniers, mais aussi des salariés convertis le temps d'un hold-up en truands professionnels figurent sur les bancs des accusés arrêtés lors des multiples descentes opérées par les services sécuritaires. A Casablanca par exemple, fief de ce type de gangstérisme, des opérations de vol de câbles de cuivre sont enregistrées au quotidien. Pis encore, lors des jours fériés ou des périodes de congés annuels, moments de répit général par excellence, les opérations de vol atteignent leur apogée. Le commerce qui en découle s'active à grande vitesse, profitant d'une accalmie sécuritaire, paradoxalement tranquillisante. Les procès-verbaux rédigés par la police ou la gendarmerie royale corroborent ce constat. En effet, selon ces documents internes, en dehors des vols dont font l'objet les sites de sociétés abandonnés pour cause de cessation d'activités, du pain béni pour les voleurs, il ne se passe pas un jour sans que l'ONE (Office National de l'Electricité), Maroc Télécom, l'ONCF (Office National des Chemins de Fer) et Lydec ne montent au créneau en déclarant de nouveaux cas de vols. Pour les uns, l'objet de la plainte porte sur des câbles téléphoniques, pour les autres, il est fait allusion aux fils électriques, à des longueurs de rails en fer ou encore à des bouches d'égouts. En effet, en août dernier, les plaintes des entreprises lésées ont doublé voire triplé. A Casablanca, des secteurs comme le Port, Lissasfa, Hay Hassani, Bernoussi, Ain Sebaâ, Hay Mohammadi, Sidi Othmane, Oulfa, Sidi Moumen (Attacharouk) ont constitué une cible de prédilection des voleurs de câbles électriques et téléphoniques. Des voleurs pas comme les autres Quand le mal vient de l'intérieur, il est encore plus dur à apprivoiser. Voilà un cas parmi d'autres. En 2007, un vol de câbles des rails de l'ONCF sème le trouble au sein de l'Office, dont le management ne comprend pas comment un tel incident a pu arriver malgré le renforcement du dispositif de sécurité. Il n'a pas fallu longtemps aux enquêteurs pour dénouer le mystère. Les instigateurs de l'opération étaient les propres agents de sécurité de la boîte. Certes, des cas similaires ne sont pas légion, mais de tels modes opératoires ont tout de même été à maintes reprises cités dans les PV de police. Une exception. Car la règle renvoie à des situations complètement divergentes où tout est diligenté de l'extérieur et d'une manière anarchique. La montée en puissance des cours des matières premières au Maroc comme à l'international n'a pas été pour calmer l'euphorie (voir l'article sur l'étude réalisée par la Commission Européenne). Bien au contraire. Depuis quelques mois, cela a mis de l'huile sur le feu faisant de ce business illicite un marché encore plus juteux, attirant par ricochet des profils qui n'y prêtaient pas la moindre attention. Le kilo vendu, durant les périodes normales entre 30 à 35 DH (contre 50 DH dans le marché formel) voit son niveau augmenter de 10, voire de 15%. Une envolée des prix dont les répercussions n'ont pas tardé à se faire sentir. Pendant les mois d'août et de septembre, une dizaine d'incidents identiques ont été dénoncés à Casablanca. Parfois plusieurs cas durant la même journée, comme ce fut le cas en ce premier septembre quand trois opérations d'envergure ont été menées. Le chiffre avancé est plus qu'alarmant : quelque 900 paires de câbles ont été subtilisés. En des termes moins barbares, cela voudrait dire qu'environ 200 abonnés ont été privés du service de la téléphonie fixe de Maroc Télécom. Autre opération, non moins alarmante. Un cas loin d'être isolé. Et pour cause. Plusieurs vols de même dimension ont été perpétrés le jour même dans la périphérie casablancaise. Le 21 septembre, c'est une autre plainte qui atterrit au bureau de la police. La victime dépouillée de ses câbles électriques n'est autre que la société VCR appartenant à Said Alj. Pendant ce temps-là, Hay Mohammedi était le théâtre d'une opération similaire ciblant cette fois-ci les câbles téléphoniques installés par Maroc Télécom. Le lendemain, des câbles électriques appartenant à Lydec connaissent le même destin. Le 27 septembre, des rails du réseau ferroviaire de l'ONCF ont été arrachés à proximité du dépôt même de l'office. Le Wali réagit La cadence connaît une telle frénésie que Mohamed Kabbaj, Wali de Casablanca, est sorti de son mutisme. Durant la première semaine de septembre, suite aux plaintes de certains opérateurs, il a réagi en envoyant une missive aux services de la sécurité de la métropole, les appelant clairement à renforcer leurs équipes intervenant dans les opérations de surveillance. Selon une source des services de sécurité de la ville, les raisons ne sont pas à rechercher dans le manque d'effectifs. Il n'en demeure pas moins qu'il faut souligner un problème d'enchevêtrement de compétences territoriales, entre la gendarmerie royale et les services de police. D'autres raisons sont néanmoins mises en exergue. «Une stratégie sécuritaire ne peut être efficace sans une implication effective de la part des entreprises victimes des opérations de vol. Chaque fois que les plaintes atterrissent en grande quantité chez les autorités, ces dernières provoquent des réunions d'urgence avec les services de sécurité pour les inciter à déployer plus d'efforts». Et de préciser : «il faut savoir que la multiplication des opérations de surveillance a permis d'interpeller des bandes de voleurs ici et là, et de connaître le profil de leurs membres et leur modus operandi, mais jamais de mettre fin à ces actes de vol imprévisibles dans le temps et l'espace». En effet, si en France, les opérateurs télécoms et d'électricité ont pris l'initiative de placer des caméras de surveillance dans les regards (ouvertures de chambres souterraines de câbles téléphoniques ou électriques), au Maroc, on en est encore qu'au stade de la réflexion. Les services sécuritaires suggèrent de brancher des systèmes d'alarmes reliés aux arrondissements de police les plus proches. En attendant, l'intervention de la police ou de la gendarmerie n'a le mérite que de repousser les voleurs vers des quartiers périphériques ou des communes rurales enclavées. C'est le cas des voleurs qui opèrent à Casablanca et qui partent vers Ain Harrouda, Ben Hmed…, lorsque l'étau se resserre autour d'eux. Le grand défi demeure incontestablement celui de la traçabilité des matériaux. L'instruction se trouve dans une situation de paralysie. Les ferrailleurs s'approvisionnent aussi bien auprès des revendeurs du secteur formel (ONE, ONCF, Lydec, Maroc Télécom…) qui les fournissent dans ce que l'on dénomme dans le jargon «les déchets neufs», issus des chutes ou des rebus de la fabrication, qu'auprès du marché parallèle. A la moindre perquisition des forces de l'ordre, il leur est présenté des factures témoignant de la licité de leur commerce. Ces ferrailleurs disposant de leurs propres fonderies ne trouvent aucun mal à faire un amalgame entre les métaux de différentes origines. La tâche n'en est que plus ardue pour les forces de police. ◆