Le Maroc a connu une avancée significative dans le classement mondial des recettes touristiques selon l'Organisation Mondiale du Tourisme (OMT), passant de la 41ème à la 31ème position entre 2019 et 2023, comme l'a annoncé le ministère du Tourisme, de l'Artisanat et de l'Economie Sociale et Solidaire. Un bond extraordinaire certes, mais qui s'accompagne d'importants défis. Zoubir Bouhoute, nous livre une lecture détaillée des chiffres et des défis du secteur. Challenge :Quel bilan dressez-vous du secteur touristique au Maroc ? Zoubir Bouhoute : Le secteur touristique marocain a enregistré un bilan globalement positif en 2024, avec un retour notable à des niveaux de fréquentation et de recettes proches de ceux d'avant la pandémie. En effet, le Maroc a accueilli plus de 13 millions de touristes durant les neuf premiers mois de l'année, un chiffre qui dépasse les attentes et marque une nette reprise par rapport aux années précédentes. Cette croissance est le fruit d'une série d'initiatives stratégiques : la modernisation des infrastructures, l'élargissement de l'offre touristique, incluant des circuits culturels, balnéaires et d'aventure, et des campagnes de promotion ciblées qui ont permis d'attirer des visiteurs internationaux. Cependant, cette reprise s'accompagne de défis importants. Certaines destinations touristiques souffrent de la saturation et d'un manque de gestion de la capacité d'accueil, ce qui nécessite une planification plus fine pour éviter la congestion et garantir une expérience de qualité. De plus, des inégalités persistent entre les différentes régions du pays, notamment en ce qui concerne l'infrastructure touristique, et la question du développement durable reste primordiale afin de préserver les ressources naturelles et culturelles du Maroc. Ainsi, tout en célébrant ces résultats encourageants, le secteur doit continuer à s'adapter aux nouvelles dynamiques du tourisme, en misant sur la diversification de l'offre et le développement durable, tout en répondant aux enjeux de répartition des retombées économiques, particulièrement en direction des zones rurales et moins développées. Challenge :Selon vous, qu'est-ce qui a contribué à la montée du Maroc de la 41ème à la 31ème place mondiale en termes de recettes touristiques ? Z.B. : La montée du Maroc dans le classement mondial des recettes touristiques résulte principalement des efforts de promotion menés par l'Office National Marocain du Tourisme (ONMT), notamment à travers la campagne Maroc, Terre des Lumières. Cette initiative a permis de valoriser les richesses naturelles et culturelles du pays, attirant une clientèle internationale. En parallèle, la multiplication des lignes aériennes et l'augmentation des connexions directes ont facilité l'accès aux principales destinations marocaines, renforçant ainsi l'afflux touristique. Un autre facteur important a été l'inflation mondiale, qui a entraîné une hausse des prix dans le secteur touristique. Cette augmentation des tarifs a directement contribué à la hausse des recettes, même si elle a pu affecter le pouvoir d'achat de certains visiteurs. Malgré cette inflation, le Maroc a su maintenir une position attractive grâce à la diversité de son offre et à sa capacité à attirer une clientèle prête à investir dans des expériences touristiques de qualité. Challenge :Quelles sont, selon vous, les réalités cachées derrière ces chiffres positifs en matière de recettes touristiques ? Z.B. : Derrière ces résultats positifs, plusieurs défis subsistent. Bien que les recettes touristiques connaissent une forte augmentation, elles sont concentrées principalement dans des destinations phares comme Marrakech, Agadir et Casablanca, laissant d'autres régions moins développées à l'écart de cette dynamique. Cette concentration des bénéfices soulève la question d'une répartition plus équitable des retombées économiques du tourisme, notamment en direction des zones rurales. Par ailleurs, pour que cette croissance soit pleinement durable et bénéfique à l'ensemble du pays, il est essentiel de diversifier l'offre touristique dans les régions moins fréquentées, tout en garantissant une expérience de qualité homogène pour tous les visiteurs. Challenge :Pensez-vous que le développement touristique a bénéficié à toutes les régions du Maroc de manière équitable ? Pourquoi ? Z.B. : Le développement touristique dans certaines régions du Maroc souffre d'un manque de connectivité et d'attractivité pour les investissements, en particulier dans des destinations comme Ouarzazate, où de nombreux hôtels restent fermés. Cette situation est en grande partie due à l'insuffisance des infrastructures de transport, qui rendent l'accès difficile, et à l'absence de projets permettant de dynamiser l'offre hôtelière. Les investissements nécessaires pour moderniser ces établissements sont peu attractifs, en partie en raison de l'absence de soutien significatif des autorités locales. En effet, le faible accompagnement du secteur par les responsables locaux dans le cadre des programmes de développement régional explique en grande partie ce retard. Malgré des efforts de la part du gouvernement pour diversifier les destinations touristiques, le manque d'engagement des acteurs locaux pour attirer des projets d'infrastructures touristiques, notamment dans des zones comme le Sud ou les montagnes, empêche une véritable dynamique. Il est essentiel que ces régions bénéficient d'un meilleur accompagnement local pour transformer leur potentiel en véritable levier de développement économique. Challenge :Quel est votre avis sur la durabilité de cette croissance des recettes touristiques dans les années à venir ? Z.B. : La durabilité des recettes touristiques au Maroc repose sur plusieurs axes stratégiques. Tout d'abord, il est essentiel de renforcer la connectivité aérienne, notamment par l'augmentation du nombre de lignes directes vers des marchés clés. Cette initiative doit s'accompagner d'efforts de promotion continue, en mettant en avant les atouts touristiques du Maroc pour attirer une clientèle internationale. La diversification des marchés cibles, en particulier vers des pays émergents comme les Etats-Unis, la Chine, le Brésil et le Japon, est indispensable pour assurer une croissance soutenue des flux touristiques et des recettes. Parallèlement à cela, il existe déjà une charte d'investissement qui a permis d'encourager les investissements dans le secteur. Cependant, il serait pertinent de porter la prime sectorielle à 10% au lieu de 5%, ce qui inciterait davantage d'investisseurs à renouveler les infrastructures hôtelières et à investir dans les zones encore sous-exploitées. De plus, il est nécessaire de faciliter l'accès au crédit, en simplifiant les mécanismes et en offrant des conditions attractives pour les projets touristiques. Dans ce cadre, des programmes comme «Go Siyaha» et «Cap Hospitality», qui soutiennent l'entrepreneuriat et l'innovation dans le secteur, devraient être renforcés et maintenus sur le long terme afin d'assurer une croissance équilibrée et pérenne. Enfin, l'implication des autorités locales, des élus et des acteurs régionaux est indispensable pour soutenir les zones moins favorisées. Ces régions risquent d'être davantage exclues si les efforts de développement ne sont pas soutenus à l'échelle locale. Il est essentiel que les responsables régionaux s'engagent pleinement dans la mise en œuvre de politiques adaptées et dans la facilitation de l'accès aux ressources. Pour que ces initiatives soient véritablement efficaces, il est également nécessaire de mettre en place des budgets à la hauteur des ambitions, afin que chaque région puisse pleinement profiter des bénéfices du secteur touristique. Sans cette implication locale et un financement adéquat, ces zones risqueraient de rester marginalisées, privant ainsi l'ensemble du pays des avantages d'un développement touristique équilibré et inclusif. Challenge :Quelles innovations ou améliorations devraient être envisagées pour capitaliser sur cette dynamique positive ? Z.B. : Pour tirer pleinement parti de la dynamique positive du secteur touristique, il est primordial d'intégrer les technologies numériques, notamment les applications mobiles et les plateformes de réservation en ligne, afin d'améliorer l'expérience client et de mieux gérer les flux touristiques. L'intelligence artificielle (IA) joue un rôle clé dans cette transformation, permettant de collecter et d'analyser des données en temps réel, d'anticiper les besoins des visiteurs et d'adapter l'offre touristique en fonction de ces insights. De plus, l'IA peut être utilisée pour la gestion des ressources, la personnalisation de l'expérience et la prévision des tendances. Parallèlement, il est essentiel de soutenir l'adoption de pratiques écoresponsables, telles que le développement d'infrastructures durables et la mise en place de pratiques respectueuses de l'environnement dans l'hôtellerie. La formation des professionnels du secteur à l'utilisation de ces outils numériques et à la gestion durable des ressources doit également être une priorité. Enfin, la promotion des régions moins visitées, soutenue par l'IA pour identifier les destinations émergentes et optimiser les campagnes de marketing, pourrait permettre une répartition plus équilibrée des flux touristiques et favoriser un développement plus durable et inclusif à l'échelle nationale. Son parcours Zoubir Bouhoute est un Expert et chercheur en tourisme, reconnu pour son engagement et ses contributions significatives au secteur. Il occupe aussi le poste de Directeur du Conseil provincial du tourisme de Ouarzazate. Originaire de Taza, Zoubir Bouhoute a suivi son parcours académique à l'Université Mohammed V Souissi. Son expérience académique, combinée à sa passion pour le développement touristique durable, lui a permis de jouer un rôle clé dans la promotion de l'offre touristique de Ouarzazate. Son Actu Le Maroc a connu une avancée significative dans le classement mondial des recettes touristiques selon l'Organisation Mondiale du Tourisme (OMT), passant de la 41ème à la 31ème position entre 2019 et 2023, comme l'a annoncé le ministère du Tourisme, de l'Artisanat et de l'Economie Sociale et Solidaire. Cette progression remarquable, l'une des plus élevées parmi les 50 premières destinations mondiales, souligne le dynamisme et la résilience du secteur touristique marocain, ainsi que l'efficacité des stratégies mises en œuvre.