Dans la course au marché de la LGV, la France tire son épingle du jeu. En tant que « preferred bidder », elle renforce ainsi sa coopération avec le Maroc. Inauguré à Tanger par Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le Président de la République française, Emmanuel Macron, le train à grande vitesse Al Boraq est l'une des grandes vitrines qui envoie une lumière reluisante du Maroc dans la région MENA ainsi que sur le continent. Mobilisant une enveloppe de l'ordre de 22,9 milliards de dirhams, ce gigantesque projet de mobilité s'inscrit dans le cadre du schéma directeur de LGV visant la construction d'un réseau d'environ 1 500 km, composé de l'axe « Atlantique » Tanger-Casablanca-Agadir et de l'axe « Maghrébin » Rabat-Fès-Oujda. Comme un grand pari, à la lumière des défis notamment la viabilité du projet auprès du grand public, Al Boraq, quatre ans après, a conquis le cœur des Marocains. Aujourd'hui, la suite de ce projet, fruit d'un partenariat solide entre la France et le Maroc, ouvre un chapitre compétitif. 20 milliards de dirhams, c'est le coût total du repositionnement stratégique du secteur ferroviaire au Maroc. Lorgné par bon nombre d'acteurs, à l'heure où nous écrivons ces lignes, c'est la France qui, d'après les mots du consultant en politique publique Michel Vialatte, est aujourd'hui le « preferred bidder ». Alstom et Egis, bras armé de la France dans l'industrie ferroviaire, en marge de la visite du Président Emmanuel Macron, sont revenus au-devant de la scène. Comme tous les présidents avant lui, Emmanuel Macron ne sous-estime guère la diplomatie des grands contrats qui soutient en grande partie le commerce extérieur français. Dans cette interview accordée à Challenge, l'expert en politique publique décortique ce partenariat stratégique France-Maroc dans les grandes infrastructures. Question : Dans l'un de nos papiers, il y a de cela quatre mois, vous aviez prédit le retour d'Alstom et Egis dans le dossier de la LGV. Pour motif clé : « la continuité technique ». Chose faite aujourd'hui, après la visite du Président Macron. Comment décortiqueriez-vous ce choix stratégique Michel Vialatte : Le Maroc est face à l'obligation de réussir la mise en service en 2029 de la ligne de TGV Kenitra/Marrakech, qui garantira la continuité de la liaison à grande vitesse existante reliant Tanger à Casablanca/Rabat/Kenitra et la desserte du Sud du Royaume. Cette obligation est liée à la co-organisation de la Coupe du Monde de football 2030, qui créera, dès après sa mise en service, un pic de fréquentation spectaculaire sur cette ligne. Sa gestion, grâce à l'homogénéité du matériel ferroviaire et à celle des systèmes d'exploitation, est la clé de la réussite de ce pari. Car un tel tronçon à réaliser en quatre ans (2022-2029), c'est une gageure ! Lire aussi | OCP, Bpifrance et ENGIE : des partenariats stratégiques pour la décarbonation et la sécurité alimentaire en Afrique Question : C'était connu de tous. Ce projet était lorgné par beaucoup d'acteurs. Quels ont été selon vous les atouts du savoir-faire français ? De plus, sur le plan du transfert technologique, que vaut l'offre française ? Michel Vialatte : Le groupe Alstom n'est encore que « preferred bidder » (soumissionnaire privilégié) pour la fourniture de 18 rames à grande vitesse, qui est l'un des quatre lots de l'appel d'offres de l'Office national des Chemins de Fer (ONCF) pour l'acquisition de 168 trains. Cela le met en concurrence avec deux constructeurs espagnols, CAF et Talgo, ainsi que le coréen Hyundai Rotem. Mais cela signifie qu'Alstom est en pole position pour cet appel d'offres encore en cours grâce au protocole d'accord signé lundi 28 octobre devant le Roi Mohammed VI et le Président français Emmanuel Macron. Je pense que le choix fait par Alstom en 2023 de créer une deuxième usine de matériel roulant ferroviaire à Fès, de l'accompagner de transferts de technologie et d'un programme de formation aux métiers du ferroviaire, a été décisif et augure des nouvelles formes de partenariat économique franco-marocaines. Le communiqué du Palais, suite à la rencontre entre les deux chefs d'Etat, affirme : « une volonté partagée de construire sur les acquis et les complémentarités du partenariat pour le projeter de manière irréversible vers une nouvelle phase, dans des secteurs stratégiques répondant aux transformations des deux pays ». Alstom a su l'anticiper. Question : L'aéronautique a été aussi au cœur de cette rencontre Maroc-France. Safran, l'autre géant français, a été aussi en pole position. Peut-on dire que la France est un allié stratégique du Maroc dans le cadre de sa volonté de souveraineté industrielle ? Michel Vialatte : 150 moteurs LEAP sur 4000 en service dans le monde, sur les Airbus A320 et Boeing 737, soit près de 4 % du parc mondial, feront l'objet d'une maintenance au Maroc, créant 600 emplois et générant 25 000 m2 d'ateliers. Le choix de Safran vient puissamment conforter l'écosystème aéronautique marocain. Et il y a fort à parier que les 4 % évolueront vite à la hausse, faisant du Maroc une plate-forme de maintenance parmi les plus importantes au monde. Oui, la France est bien l'alliée et le partenaire du Maroc dans sa stratégie de confortement de sa souveraineté industrielle. Lire aussi | Emmanuel Macron réaffirme son soutien à la marocanité du Sahara dans un discours historique au Parlement [Vidéo] Question : Quel est le poids d'un tel projet à la veille de la Coupe du Monde ? Michel Vialatte : Les projets tant ferroviaires qu'aéronautiques prédisposent le Maroc à faire face au défi que représente pour lui la co-organisation de la Coupe du Monde, et peut-être l'accueil de la finale de celle-ci au futur stade de Benslimane. Les flux de visiteurs et spectateurs des matchs, venus du monde entier, qui seront à gérer en pleine saison touristique estivale dans l'été 2030, nécessitent la mise en place d'une task force dotée de compétences fortes en ingénierie du transport, aérien, ferroviaire et maritime. Question : Maroc-France : 10 milliards d'euros d'investissements. Comment interprétez-vous ce chiffre ? Michel Vialatte : L'annonce est considérable ! Ces 10 milliards annoncés sont à comparer aux investissements directs étrangers (IDE) en provenance de France de l'année 2023, qui atteignaient 1,3 milliard d'euros, dont 440 millions concentrés dans le secteur industriel, représentant 32,6 % du total des investissements directs étrangers dans le Royaume. Le rapport est de 1 à 10, même s'il faut évidemment tenir compte de ce que ces 10 milliards supplémentaires s'échelonneront sur une période pluriannuelle.