La première partie du projet de ligne ferroviaire à grande vitesse du Maroc a été réalisée par le groupe français Alstom. Pour l'extension de la ligne jusqu'à Marrakech et Agadir, plusieurs spéculations sur les probables entreprises exécutrices de l'offre vont bon train. Paris demeure sur le qui-vive. Comme tous les présidents avant lui, Emmanuel Macron ne sous-estime guère la diplomatie des grands contrats qui soutient en grande partie le commerce extérieur français. La RATP, la SNCF, Dassault Aviation, Safran, Alstom, EDF… sont des milliards qui tombent dans l'escarcelle de l'industrie française. « Vendre à l'étranger est devenu après la Première Guerre mondiale une nouvelle mission de la diplomatie française, » explique dans son ouvrage intitulé « Diplomatie et grands contrats : L'Etat et les marchés extérieurs ». « Une transaction est considérée comme un « grand » contrat à partir du moment où la part française dépasse 3M€. Ces grands contrats se répercutent directement sur nos exportations, » révèle la lettre Eco n° 34 du Trésor – Les « Grands Contrats » signés par les entreprises françaises dans les pays émergents. Lire aussi | LGV Kénitra-Marrakech: Plus de 3 MMDH pour l'appel d'offres concernant les installations signalisation et télécommunications Dans la diplomatie économique globale de la France, ces gros contrats ont un poids financier assez important sans oublier la mise en avant de l'expertise française. Ces dernières années, la grosse machine industrielle française a subi de grosses turbulences. Le cas du dossier des sous-marins décroché par le groupe français Naval d'un montant d'environ 34 milliards d'euros, détourné par la suite à la dernière minute par la concurrence américaine, a été pour certains experts un signe apparent de cette crise souterraine de l'influence française dans le sentier des grands contrats commerciaux. « Au Maghreb, le Maroc (700 M€ sur 2005-2007) et la Tunisie (300 M€) apparaissent en 4ème et 7ème positions. L'Afrique du Sud paraît marginale (200 M€), mais un grand contrat signé par Alstom en février 2008 modifiera clairement ce classement, » expliquait la lettre du Trésor. En effet, il faut noter que le Maroc est un partenaire historique de la France et un véritable partenaire d'affaires. Rappelons que pour la première partie du projet LGV sous l'ancien Président Sarkozy, le groupe Alstom avait décroché un contrat de près de 400 millions d'euros pour la fourniture de quatorze rames de TGV sur l'axe Tanger-Casablanca. Quand les affaires prenaient l'eau « Aujourd'hui, la France est en recul net sur les appels d'offres de projets structurants au Maroc. C'est dorénavant l'Espagne et même l'Allemagne, deux pays qui soutiennent le plan d'autonomie marocain, qui multiplient les coopérations dans le domaine de l'hydrogène, de l'industrie ou de l'agriculture avec le Maroc, » nous confiait l'expert en géopolitique Anas Abdoun dans l'un de nos articles sur le sujet. En chiffre, Madrid a signé une vingtaine d'accords de coopération tandis que Berlin a augmenté ses exportations vers le Maroc de près de 30 % en 2022. « Ayant misé sur le marché algérien comme alternative, la France ne parvient pas non plus à percer une voie économique sur ce terrain. Tous les appels d'offres concernant le BTP ou les investissements dans les infrastructures sont confiés à des entreprises turques ou chinoises, tandis que sur le volet énergétique, ENI reste l'entreprise étrangère majeure en Algérie et l'Italie son principal partenaire européen », ajoutait Anas Abdoun. Lire aussi | La LGV Marrakech-Agadir attribuée à une entreprise chinoise? L'ONCF fait le point « La diplomatie économique française mise beaucoup sur l'échec militaire de la Russie et la mise à nu de son système d'armement pour tenter de vendre des équipements militaires à l'Algérie et profiter ainsi de l'augmentation record du budget militaire algérien, qui a atteint 22 milliards de dollars. Mais là encore, la relation stratégique de l'Algérie et de la Russie et la nature hautement politique des contrats d'armement, sans oublier les problèmes d'interopérabilité des équipements, laissent douter de la possibilité pour Paris d'avoir une part majeure dans les achats d'armement de l'Algérie, » précisait l'expert. Paris en action Aujourd'hui, il semble que la France a décidé de revoir sa diplomatie et les récentes visites officielles et actions qui ont suivi en témoignent. La décision de l'Elysée autorisant ses institutions étatiques de développement à investir dans les Provinces du Sud traduit bien cette nouvelle dynamique de la France et le retour à la normale dans les rapports avec le Maroc. « La France est un partenaire historique, les relations sont multiples et touchent divers secteurs notamment l'automobile, l'aéronautique, la LGV… Nous souhaitons que les choses se clarifient pour une continuité paisible de ce partenariat, » nous confie l'économiste Ahmed Azirar. Rappelons d'ailleurs que depuis un certain moment, Paris a été éclipsé par une forte concurrence dans le cas précis du projet de l'extension de ligne LGV Marrakech-Agadir. À titre d'exemple, lors du Forum économique Maroc-Espagne, un mémorandum d'entente dans le domaine des infrastructures, entre le Ministère des Transports, des Mobilités et des Programmes Urbains du Royaume d'Espagne et le Ministère de l'Equipement et de l'Eau du Royaume du Maroc a été conclu, indiquait une Déclaration conjointe publiée à l'issue de ce sommet. Lire aussi | Afrique Atlantique: vers une nouvelle doctrine économique? Aujourd'hui, même si la concurrence est rude, la France n'en demeure pas moins éjectée de la course à la lumière des derniers événements. « Au Maroc aujourd'hui, il y a un souci d'efficacité qui se pose à la veille de la Coupe du monde de 2030. Selon mes sources, le Maroc compte lancer la première ligne Kenitra-Marrakech en septembre 2029, » nous confie Michel Vialatte, consultant en politique publique. Et d'ajouter : Ayant fait la première partie du projet avec le constructeur Alstom, ce serait un peu complexe sous un angle exploitation et maintenance pour la seconde partie de changer de constructeur. Il y a donc un enjeu de continuité technique. Avis partagé par l'économiste Ahmed Azirar : « La France a des avantages comparatifs sur le dossier de la LGV. Il serait compliqué de changer de technologie. » Expliquant que le Maroc est aujourd'hui dans une logique de développement d'une industrie ainsi qu'un secteur qui ambitionne de contribuer au projet Afrique Atlantique. « Et pour cela, il faut un cadre clair de transfert de technologie. » Pour rappel, la liaison LGV Kenitra-Marrakech se fera sur une distance de 370 kilomètres et celle entre Marrakech et Agadir sur 239 kilomètres avec une assiette foncière mobilisée de 1 300 ha. Elle nécessitera un investissement de plus de 50 MMDH. La vitesse d'exploitation devrait atteindre 250 à 320 kilomètres par heure. La LGV au Maroc: au départ était la France Fin 2004/début 2005 : Karim Ghellab, alors ministre des transports du gouvernement Driss Jettou, annonce le projet de train à grande vitesse. Le maillon prioritaire du réseau annoncé est la LGV Tanger-Kénitra, le tronçon Marrakech-Agadir étant présenté comme une étape ultérieure. L'itinéraire annoncé se démarque de celui de l'autoroute, alors également en projet, en choisissant de desservir Essaouira, ville de second rang comptant 80 000 habitants mais importante du point de vue touristique. 2006 : Elaboration du Schéma Directeur de la Grande Vitesse Octobre 2007 : Signature du Protocole d'Accord entre la République Française et le Royaume du Maroc pour le projet de train à grande vitesse Tanger-Casablanca Mars 2008 : Création d'une Direction à l'ONCF pour le pilotage du projet 2008 : L'ONCF confie au laboratoire Public d'Essais et d'Etudes (LPEE), désigné adjudicataire du marché pour les reconnaissances géotechniques et géologiques de la première tranche de la Ligne à Grande Vitesse (LGV), 2010 : l'ONCF confie à Egis/Ingema la maîtrise d'œuvre intégrée des voies, caténaires et bases travaux pour l'ensemble de la ligne à grande vitesse Tanger-Kénitra ainsi que celle du génie civil du tronçon Nord (87 kms) et à Systra le tronçon sud (122 kms). Février 2010 : Signature du Contrat-Programme Etat-ONCF et de la Convention de financement du Fonds Hassan II pour le développement socio-économique Juillet 2010 : Acceptabilité environnementale accordée par le Comité National d'Etude d'Impact (CNEI) 2 septembre 2013 : l'Office National de Chemin de Fer attribue au groupement constitué de Colas Rail Maroc, Colas Rail et Egis Rail, la réalisation du projet de conception et de réalisation de la Ligne à Grande Vitesse entre Kenitra et Tanger.